La Ronde

de

Un enfant compte sur ses doigts de un à dix. Chacune de ses énumérations provoque l’apparition dans ses mains d’un animal. D’abord un escargot, puis un oiseau, ensuite un tigre et ainsi jusqu’au surgissement d’un cheval, élément ultime qui entraînera tout ce monde dans une ronde.
Avec ce postulat simple, porté uniquement par l’éloquence des images, Louise-Marie Cumont nous parle de l’enfance, du fait que le monde s’y construit en même temps qu’il est découvert, et que la perception de la quatrième dimension y initie son mouvement unidirectionnel par l’accumulation d’apprentissages, qui feront tourner la roue.

Chaque animal semble symboliser une étape de l’enfance ou la découverte de sentiments. Le premier, l’escargot, rampe et possède cette coquille visible à la forme spiralée, qui dessine l’idée d’un début. En sortir devient comme une naissance. L’oiseau serait la parole, légère, volante, chantante. Le tigre serait une force pulsionnelle, voulant tout au long de l’histoire essayer d’attraper l’oiseau. Le papillon évoquerait lui l’imaginaire, et ainsi de suite avec les autres figures du bestiaire.
A travers celui-ci, c’est moins la nature que lui-même que l’enfant du livre découvre. Ces animaux qui l’entourent sont comme des consciences multiples, des éléments de caractère aux interactions allant croissantes au fur et mesure qu’ils apparaissent.
Le cheval serait une forme d’autonomie achevée, et le fait qu’il entraîne tous les animaux dans une ronde dont l’oiseau parleur/chanteur deviendrait le centre, confirmerait cette hypothèse.

L’auteure utilise des broderies bengalaises appelées « kanthas » pour illustrer son bestiaire. L’emprunt et la technique ajoute l’idée, dans cette enfance découvrant le monde et le temps qui le baigne, de rythmes et d’époques dépassant la vie humaine, où les généalogies s’accumulent et brodent des formes d’existences. Que ces kanthas soit un travail de longue haleine, fait en commun par des femmes de village, qu’ils recyclent des vêtements usagés pour en faire le plus souvent des couvertures pour enfants, amplifie cette symbolique déjà riche, ancre l’histoire dans les traces des comptines ou des contes de veillées populaires.
Tout cela se fait muettement, avec la musique des images, dont les rythmes structurants sont le décompte de l’enfant de 1 à 10, et le lent parcours de l’escargot qui fera le tour du livre, en partant en haut à gauche vers le bas à la première page, pour arriver au même endroit mais par la droite à la dernière. Ces deux mesures exprimeraient le fait que l’enfance est, en nombre d’années, une période courte de l’existence, mais est peut-être la plus longue en temps psychologique. L’arrivée de l’escargot marque moins une fin que le début d’un autre cycle où s’inscrit celui de la ronde lui-même.

L’usage d’une tradition et d’une symbolique indienne enrichit aussi une vision de l’enfance où des boucles s’imbriquent, puisque cette civilisation voit le monde comme une succession de cycles, qu’ils soient mythologiques et cosmogoniques, ou plus individuels dans ceux des réincarnations. L’apparition dans la dernière image des quatre roues du Dharma et leurs octuples rayons, va aussi dans ce sens. Le fait qu’une des quatre se superpose à la coquille de l’escargot suggérerait plus précisément que l’enfance est à la fois un début mais aussi un aboutissement ultime dont l’équilibre éphémère serait un mouvement, une danse joyeuse tissée de curiosité.

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Chroniqué par en octobre 2016