Labyrinthe

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Six carrés, contenant six labyrinthes autonomes composés de lignes brisées évoluant en spirale, semblant s’animer par leur répétition et les effets d’optique que cela provoque. Six cases en gaufrier créant comme une porte à caisson solennelle, accentuant par le dynamisme de ses motifs géométriques et hypnotiques l’entrée vers une autre dimension. Celle-ci est la troisième, elle se parcourt à la manière de certains jeux vidéo des tout débuts, dans de longs couloirs dessinés par quelques lignes droites, en « fil de fer » comme on disait alors, mais où le vert ou le jaune des écrans monochromes a fait place à un mauve imprimé propice à l’illusion par sa nuance indécise.

Le récit est un parcours où l’on doit tourner quatre fois et dans autant de directions différentes qui sont, respectivement, à droite, en bas, à gauche et enfin en haut. En dehors de toute logique directionnelle, le chemin semble se terminer une planche avant celle qui l’a initié. Déroutant à la lecture, ce milieu l’est moins si on l’imagine en apesanteur, où l’idée de descente ou d’ascension par exemple, s’annule dès qu’un couloir a été franchi. Reste qu’au bout de huit planches, le sentiment de désorientation est là, la distance parcourue semble neutralisée, ou pour le moins se cristalliser autour de l’illusion d’avoir tourné en rond dans un vague quadrilatère.

Pour réaliser ce récit troublant, l’auteur utilise deux planches de six cases carrées, reproduites quatre fois chacune à un détail prêt. Celui-ci est simple mais fondamental et consiste en la rotation coordonnée sur un côté de toutes les cases d’une planche, dans le sens des aiguilles d’une montre. Le couloir qui se parcourt en deux planches est le même, mais le changement de direction alors induit le rend inédit. L’opération est répétée deux fois de plus, jusqu’à ce que les cases aient fait un tour sur elles-mêmes.

Si le dessin semble basique, Alexis Beauclair lui insuffle une grande subtilité dans les choix de composition. La case 5 des planches paires joue par exemple sur un décalage infime de l’ordre du millimètre pour ne suggérer qu’au dernier moment le changement de direction.
L’intelligence de l’auteur est aussi d’avoir fait commencer son récit à mi-chemin d’un couloir[1] et de savoir jouer sur d’autres registres elliptiques provoqués par son dispositif. L’idée de répétition suggérée dès la couverture laisse, par exemple, imaginer que le chemin parcouru peut se poursuivre plus loin[2], voire à l’infini.

Le schéma récapitulant ci-contre le parcours planche par planche[3] peut donner l’idée d’une structure labyrinthique plus vaste, s’opposant à l’illusion d’un retour à la case départ comme faussement affirmé par la dernière planche. Cette portion pratiquée peut apparaître comme un brin, une brique ayant la forme d’un méandre composé d’une ligne brisée en quatre parties, qui serait à la base d’un ensemble dont l’architecture, la singularité, l’attracteur étrange diraient certains, émergerait au bout de plusieurs milliers de couloirs parcourus. Une entité difficilement imaginable dans une dimension autre, qui se déduit de ce parcours fait en apesanteur, sans haut, ni bas, mais par l’ouverture d’un côté dans des conduits carrés. Un peu comme si, pour un jeu de construction de type Lego, on avait conçu un élément ressemblant à une poutre avec une attache mâle à une de ses extrémités et une femelle à l’autre, mais placés uniquement sur un de ses côtés. Une brique élémentaire qui ne permettrait d’élaborer des structures qu’en apesanteur.
Sur le schéma, la portion en pointillés suggère la suite de cette histoire et la disposition contre-intuitive de cet éventuel parcours de huit planches supplémentaires qui seraient rigoureusement identique à celles imprimées.

L’ouvrage d’Alexis Beauclair constaterait de manière astucieuse qu’un dispositif lié à la tabularité d’une planche, à une contrainte finalement assez simple et s’amusant de l’illusion de la troisième dimension sur un support n’en contenant que deux, peut aller au-delà de ces mesures en en suggérant une sans nom, tout en entretenant un récit classique, avec un début et une fin où tout redeviendrait normal.
Le choix du titre, Labyrinthe, se trouve ainsi renforcé en ne renvoyant plus seulement – voire simplement – aux jeux vidéo des débuts, mais aussi à ces structures traditionnelles liées à la spiritualité (le labyrinthe de Chartres par exemple), dont la conception utilise deux méandres grecs étirés circulairement. En quelque sorte, l’auteur réactualiserait ces deux parties permettant de concevoir un dédale plus vaste, mais où la spiritualité le céderait au spirituel.

Notes

  1. De la dimension d’une flèche sur le schéma. Pour cette raison, la première flèche a une moitié bleue en pointillés et une autre en rouge. Les pointillés dans une flèche indique une partie déduite, en rouge une partie parcourue. La partie en bleu de la dernière flèche parcourue indique que cette partie est vue, donc ni déduite, ni parcourue.
  2. Les quatre flèches bleues en pointillés par exemple.
  3. Section rouge, avec l’indication des parties que décrivent chaque planche.
Chroniqué par en mars 2016