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Lenin Kino – Méditations graphiques I

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Deux mots en titre. L’un, un peu comme une vieille idée personnifiée qui a échoué, en tout cas dans le passé, dans les couleurs délavées, les gris, avec — ou peut-être à cause de — ce qui fait ruine aujourd’hui. L’autre, le mouvement, le cinéma en Russe, et que l’on comprend ici aussi par le «kinésis» grec. Finalement les bornes sont là. Dans les deux cas le temps, le passé, puis le présent se créant dans le mouvement (de gestes ou de pensées), qui enregistré comme au cinéma ne se révèle qu’un passé de plus, exposant toute la fragilité de «l’être en avant» toujours ramené à sa/la mémoire, un peu comme on le sera à la terre sur laquelle on se déplace actuellement.[1]

C’est pourtant de celle-ci que l’on sortira en ouvrant ce livre de bande dessinée. Quittant la gangue, le cercueil, pointant le regard vers ce qui se dépeint, où la pensée non dite peut entrer dans des images-lieux, où le présent, ce temps de l’entre-deux, se crée par le regard les explorant. On parcourt des yeux en sachant que l’image devant nous était avant, sera après,[2] était au-dessus, à côté, sera derrière la page puisque il s’agit d’une bande dessinée. La clef de ce livre est peut-être là, dire ce rapport au temps qu’est la bande dessinée, qui n’est pas celui de l’écriture[3] ou du cinéma, qui n’est pas mémoire mais se veut présent en faisant, comme lui, de l’entre-deux instantané son moteur, son mouvement. A cela s’ajoute l’humanité d’images sortant de la matière opaque (pigmentaire, terrestre) en étant sur toile (écran), car c’est la mémoire qui affleure jusqu’à cette surface qui fait présent, un peu comme nous dans ce flux entre hier et demain.

Silhouettes, livre, animal, structures, trames, objets, esprits, architecture, images, écrans de télévision, voir ou s’y voir, tout cela est montage et tout cela semble surgi de manière parcellaire tout en s’accolant et se côtoyant au hasard.
Pour montrer quelle histoire ?
Aucune véritablement,[4] toutes potentiellement, mais surtout, la mienne, la vôtre, ici et maintenant, dans un regard entre quelques pages, dans un mouvement en 32 pages et 64 cases.
Bien sûr ces images représentent (re-présentent en cela elles sont mémoires) elles évoquent, rappellent ou font métaphore d’autre choses, elles vous disent que vous êtes plongé dans un livre qui se veut présent mais commente aussi ce présent où l’on ne vit pas que d’un regard dans le pigmentaire.

Est-ce pour se souvenir ou oublier ?
Surtout pour démontrer le présent, pour démonter l’actuel, son inactualité, pour démonter l’image clinquante qui triomphe partout. Un système autre, un système parallèle, un système peut-être échoué ailleurs, encore vivant (mouvant) dans la bande dessinée. C’était en sous-titre, c’est une méditation graphique, une réflexion par la bande, pour essayer voir ce que l’on vit sans voir, pour inviter ou initier au regard réflexif en acte.[5]

Notes

  1. Le futur. Notons que le titre, s’ancrant dans la Russie, contient l’idée des plaines (la terre donc) immense et à perte de vue, et celle du froid (figeant, mortel).
  2. Sauf pour la dernière image.
  3. D’où le mutisme de ce livre.
  4. Mise à part celle irréductible à toute création du pourquoi et/ou comment l’avoir réalisée.
  5. Ami lecteur, lectrice mon amour je t’invite aussi à lire les deux passionnantes «auto-interviews» d’Olivier Deprez sur son livre, la première se trouve là, la seconde ici.
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Chroniqué par en décembre 2009