Mao et moi

de

Se souvenir de ce qui a été agréable, comprendre pourquoi cela l’a été après avoir dit comment cela ne le fut plus. Comme il s’agit d’enfance, le dire avec cette voix vierge de jugement, toujours dans l’attente et la découverte permanente. Puis montrer ses images, par/avec ces livres d’images qui s’adressent aux enfants justement,[1] pour montrer, remettre et transmettre.

Mao et moi est un titre intelligemment conçu. Un peu comme le symbole du yin et du yang, il synthétise opposition et association,[2] qui se double ici, en France où vit l’artiste, d’une sonorité sixties,[3] époque précise où débute le récit. L’intitulé dit le lieu, la décennie et sous-entend la découverte d’une relation personnelle à ceux-ci, sûrement autobiographique puisqu’il n’y a pas d’autre nom que celui de l’auteur.

En 1966, Chen Jiang Hong avait trois ans, la révolution culturelle commençait. Il avait donc exactement l’âge où la mémoire émerge et se fonde pour vivre ce moment d’Histoire. Avec simplicité, il esquisse sa vie et celle de sa famille sur dix années, où ce qui aurait pu être une vie paisible doit faire face aux remous d’une prise de pouvoir aberrante, par un vieux timonier en fin de course mais au charisme incroyablement puissant. L’Histoire se perçoit du quotidien, du familial, de l’amical, dans une perception du monde en train de se construire.

L’album est grand pour que l’on puisse s’y perdre, pour que la notion d’album comme collecteur de souvenirs s’y épanouisse, pour qu’il fasse panorama aux regards contemplatif, et aux temps (1966-1976) qui s’y étirent en tout sens au gré des pages tournées.

Les images sont multiples et/ou contiennent la multitude. Elles sont séquences, film personnel, déroulé de passé. Les mots s’affichent en dessous à la manière des bandes dessinée traditionnelles chinoises (les lianhuanhua), mais en étant moins des textes récitatifs que narratifs. L’auteur dit «je», il n’est pas le commentateur, sous-titreur d’images éloquentes pour lecteurs déficients.

Les traits de pinceau et les déploiements pigmentaires d’encres et de lavis dans les porosités étudiées du papier de riz, disent la Chine millénaire, dans les langages du présent confronté à un passé encore trop présent. C’est sur ce dernier point que Mao et moi diffère du Mur de Peter Sis avec lequel autrement on le rapproche aisément. La Tchécoslovaquie est aujourd’hui une démocratie, la Chine est toujours une dictature. Pour le reste, ces deux livres offrent le même et heureux espoir à ceux qui les lisent. Endoctrinés dès le plus jeune âge, les deux auteurs ne sont pas devenus des pantins. Ils nous disent que l’enfance peut être inaltérable de par ses qualités, attentive qu’elle est aux différences, aux défaites parentales, se posant les questions que l’on ne se pose qu’avec elle, qui fait que l’on distingue mieux qu’à tout âge, la nudité du roi.

Notes

  1. Chen Jiang Hong ne fait pas que des livres pour enfants, il fait aussi de la peinture.
  2. Il est toujours un peu caricatural d’évoquer le yin et yang quand il s’agit de la Chine, surtout à la manière trop rapide d’une courte chronique. Mais ce que le titre annonce, le livre le contient : un vieillard connu, un enfant inconnu, une vie qui se termine, une vie qui commence, un pays qui brûle sa culture, un enfant qui la découvre, des millions de petits livres rouges dans des mains, le rouge du sang sur un genoux écorché, etc.
  3. A cause de deux chansons devenues des classiques : Et moi, et moi et moi de Jacques Dutronc et Mao et moa de Nino Ferrer. La première n’ayant peut-être pas l’évidence du titre de la seconde, je rappelle qu’elle commence par : «Sept cent millions de chinois, et moi, et moi, et moi».
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Chroniqué par en octobre 2008