
Mimodrames
L’homme qui montra le mieux les limites théoriques et drolatiques du flegme britannique serait-il Henry Mayo Bateman ? A la lecture de ce choix d’une soixantaine de Mimodrames, publiés entre 1916 et 1930, on serait enclin à le penser, tant l’énergie intacte de ces saynètes muettes semble déchaîner pour le pire et le plus drôle, ces trésors d’énergies morales contraintes permettant de rester calme en toutes circonstances.
Ici, tout démarre généralement dans une rythmique calculée voire familière, pour se terminer dans une démesure enflant têtes ou décors pour mieux laisser dans le hiatus de ce parcours le rire cathartique se libérer avec éclat. Le génie et l’acuité de Bateman étant de prendre ses lecteurs littéralement corps et âme.
Cette anthologie bilingue français-anglais a semblé profiter d’une double heureuse opportunité. D’abord l’exposition d’Art Spiegelman mettant en lumière dans son « musée privé » le dessinateur britannique parmi d’autres maîtres ; ensuite une exposition monographique au Cartoon Museum de Londres intitulée « The man who went mad on paper » (du 11 avril au 22 juillet 2012). L’ouvrage est assorti de deux textes : une introduction d’Anthony Anderson retraçant la vie d’Henry Mayo Bateman (1887-1970), et une postface de Thierry Groensteen évoquant l’art du mimodrame.
Un peu comme pour Hergé, l’œuvre de Bateman reflète assez fidèlement sa vie. Il trouve son inspiration dans ses contrariétés du quotidien, qu’elles soient un échec à son engagement militaire, un goût inassouvi pour la peinture, voire des aléas administratifs et fiscaux témoignant indirectement de son très grand succès auprès des plus grands magazines anglais. L’auteur se défoule, se décharge dans le dessin à charge par la grâce et la légèreté d’un humour dont l’absurdité est le moteur, entretenant autant qu’entrainé par un trait virtuose.
Comme le montre Anderson, l’idée de cette série « The man who… », de ces récits de une ou plusieurs planches, doit beaucoup aux histoires sans paroles de Caran d’Ache, mais aussi, et cette fois-ci un peu comme Windsor McCay, à un goût pour le théâtre, le music hall, voire les débuts du cinéma et du dessin animé. Bateman passe d’un illustrateur de blague, de dessin légendé,[1] à un plaisir graphique pur, libéré des mots et du « ne pas à dire », pour mieux montrer, dévoilé dans l’agilité de l’esprit et du souffle moqueur de soi, un « mieux vaux en rire » dynamique.
L’essentiel de ces histoires témoignent d’un auteur dans sa trentaine. Bateman arrêtera son activité de dessinateur après 1935 pour se consacrer à la peinture. Son œuvre a profondément marqué aussi bien les générations de dessinateurs qui le suivront que les britanniques en général. Cette idée de carrière courte, un peu comme Bill Watterson, renforce la fulgurance intacte de ces œuvres, où apparaît une époque autant que la vitalité d’une neuvième chose se découvrant comme liberté.

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