Le Miroir de Mowgli

de

Mowgli, fils des loups, homme des bois, rencontre un orang-outang,[1] son cousin d’évolution, son reflet par la bande.
Homme nu de par son statut d’enfant perdu,[2] orphelin pour le moins de la civilisation, il n’aurait jamais vu son semblable inversé, son reflet. Alors, quelques singeries bien imitées d’un de ceux sympathiques à qui on n’apprend pas à faire les grimaces, peut faire que la déduction d’un cousinage pas si lointain que ça dans une jungle, peut le devenir par alliance, voire grégarité pubertaire.

Une quasi retrouvaille post phylogénèse, où pour le plus sapience des deux, il s’agirait surtout de trouver son semblable, son reflet, son inversé(e) complémentaire, se voir dans l’autre comme dans ce lac miroir où ils vont ensuite se désaltérer. Et puis, survient cette étrange et magnifique scène du reflet du visage de l’homme bu par un orang-outang se révélant femelle enceinte. Reflet-semence aspiré(e), Mowgli croit voir l’animale fécondée à/par son image et s’imagine père du petit singe mis au monde.

Mais si le singe ne se fait pas d’illusion, Mowgli s’en fait bien trop de par sa situation de sauvageon. Le surgissement du loup, sa famille,[3] entamera cet illusoire, le fera fuir. S’en suivra une quête de l’illusion perdue, qui, du ressemblant à l’ombre projetée, de restes squelettiques aux défécations pachydermiques, égrainera cette famille du trompe-l’œil et du trompe soi-même bien connu de tous. Un coup sur la tête d’un vrai singe mâle sera l’apex d’une aventure et d’une bosse crânienne lui donnant du bienheureux les allures. Si chute et dérive suivront, le petit d’homme parviendra à devenir grand avec quelques dents en moins,[4] en finissant par littéralement revenir de ce reflet aspiré qui l’avait tant marqué. Plus d’image, pas de miroir, mais de sa résurgence il découvrira enfin son semblable (à l’endroit) et surtout pas son reflet.

Le miroir de Mowgli serait le stade du miroir non dans une surface polie, mais dans un lointain semblable, celui dont l’évolution nous fait descendre. Un peu moins poli forcément, ce miroir simiesque révèle l’homme sans son semblable, dans l’illusion par ignorance identitaire.[5] On retrouve dans ce livre des thématiques chères à Ollie/Olivier Schrauwen, et autrement abordées dans L’homme qui se laissait pousser la barbe. Au-delà de ce talent singulier et fascinant qui s’affirme à chaque ouvrage, une grande part de la beauté de ce livre est qu’il est aussi une réflexion par la bande, au propre comme au figuré. Les possibilités tabulaires de la planche, la symétrie qu’elle fait naître quand on la divise par son milieu, autant d’éléments qui, habilement exploités ici, semblent être à l’origine de l’histoire autant qu’ils la racontent et qui, par exemple, la concluent magistralement d’une manière impossible autrement quand neuvième chose.
Ajoutons à cela un usage savant de la couleur — de deux complémentaires d’où nait le vert — et cet album se révèle le miroir sans défauts d’une humanité qui ne doit pas se perdre dans son reflet (narcissisme) mais, bien au contraire, aller au-delà de ce miroir qu’elle incarne véritablement et où l’écho du monde la fait réfléchir et avancer.

Notes

  1. Orang-outang signifie homme des bois en malais.
  2. Qui comme une statue aussi blanche que lui a une feuille pour cache-sexe. Mowgli n’a pas vu les hommes mais aurait déjà le réflexe de cacher ce qui fait de lui un mâle voire surtout un homme ? Cette feuille se révélera avant tout le symbole de sa virginité au sens large. Par la suite, une érection surtout pas matinale aura raison de cet hymen végétal, tout en initiant les pertes progressives des illusions déterminant cet enfant sauvage.
  3. Celle dont il est le loup comme le dit la locution latine.
  4. Désillusions de l’image du corps, dans sa fragilité, son inconstance et sa décrépitude programmée.
  5. Ou bien par surinterprétation identitaire.
Site officiel de Olivier Schrauwen
Chroniqué par en mai 2011