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Moi, le loup et les chocos

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Le loup n’y est plus, dans nos têtes et dans nos cœurs, ce n’est plus la terreur, le «Big Bad», le Grand Méchant. Aujourd’hui, c’est d’autres ou d’autres choses que viennent les craintes. Et s’il y a bien quelques bergers pour crier «Au loup !», c’est moins par peur que par l’appréhension d’inconfort dans leur rapport laborieux à la terre. Tous urbains dans nos têtes ou dans nos cœurs, le loup descendu des steppes ou des forêts se confond désormais, dans cette écologie de la vitesse consacrant le flou du paysage, au chien perdu tirant une langue aussi immense que sa peur.

Atterré et atterrissant là où le décor rectiligne s’impose, n’ayant plus le souffle pour l’abattre,[1] il ne lui reste que le vague filet de la parole. Sachant que c’est précisément ce qui manque à tout animal de compagnie, c’est ce qui le fera remarquer aux yeux enfantin du «Moi» de la couverture, c’est-à-dire nous et quelque soit notre genre puisque nous avons tous eu une enfance.
C’est donc lui, à peine sorti du mutisme qui justement définissait l’enfance, peu pressé de rentrer de l’école, attentif à l’infime de par sa taille, qui va gentiment aider sans compter le grand méchant des contes devenu S.H.C. (sans histoires connues). Sans nier qu’il soit loup, il faut bien avouer qu’il le confond un peu avec le chien qu’il aimerait avoir, et s’il l’invite chez lui à reprendre du poil de cette bête qui ne semble plus l’animer, c’est un peu comme on ramène l’oiseau blessé tombé du nid. Heureusement il y a la parole et l’aspect concessionnel qu’elle porte en son statut conventionnel. Il pourra l’appeler Zorro plutôt que Bernard moyennant deux petits suisses à la fraise.[2]

Coacher le Grand Méchant à redevenir ce pourquoi il existe n’est pas le moins facile, car il y a les parents qui impliquent la clandestinité de l’action. Tout se passe donc dans la chambre pour ses deux résistants avec pour cachette ultime le fameux placard où logent les cauchemars dans d’autres livres pour enfants.
L’autre problème est celui de la nourriture. Les Grand Méchants c’est bien connu ça carbure. C’est justement ce problème persistant qui a donné cette ampleur à leur méchanceté, dans un cercle vicieux où la conséquence est devenue le moyen car palliant momentanément la cause, dans un vertige sans fin motivé par trop de faim. Heureusement il y a les chocos à la rondeur catacoustique figurée d’un cercle cette fois-ci vertueux. Un tel régime donnera diététiquement les chocottes (voire des cauchemars) à ceux et celles ayant oubliés leurs goûts culinaires enfantins. Avec un peu de souvenirs et devinant dans la forme et l’emballage de ces biscuits, ceux utilisant un prince pour nom et emblème on se dit qu’après tout c’est logique et que le conte est bon.

Bien sûr il y a les doutes, les phases dépressives. Les chocos c’est bien, ça endort le ventre, mais cela reste de la nourriture de louveteaux ou de louvarts. Un Grand Méchant même de nature imaginaire est classé carnivore et a besoin de ces nourritures terrestres consistantes, à fortes valeurs spirituelles et symboliques, puisque classant l’homo sapiens sapiens dans le comestible. En louvoyant à l’aide de boîtes pour chats, l’autonomie croissante du petit moi vient à bout des incertitudes du canis lupus. Certes le symbolique s’y perd, mais moins par la nourriture proposée que le constat inconscient de l’exactitude quotidienne de la fameuse maxime antique désignant l’homme comme un loup pour l’homme. Entraîné à l’aune d’autres peurs, d’autres imaginaires (vu à la T.V.), le loup apprend et accepte sans le savoir sa qualité spectaculaire de Grand Méchant auprès de publics exclusivement enfantins, en ne tirant plus désormais sa satisfaction dans leur consommation mais dans celle de leur imaginaire entre cour de récré et biscuits industriels nappés de chocolats.

Plein de tendresse et d’humour, ce livre a le charme des incertitudes indolores. Classé en jeunesse dans la plupart des librairies mais empruntant sa forme et une partie de son imaginaire[3] à la bande dessinée, narratif au présent pour le premier chapitre puis au passé pour les suivant pour terminer sur un conditionnel présent, c’est dans cette justesse floue que Delphine Perret cerne joliment d’un trait crayonné le ton en enfance de son histoire. Des silhouettes, un dessin aérien et minimal entouré de mots flottants signifient tout aussi finement la présence par le vide de la compagnie de l’imaginaire dans l’appréhension du monde et de soi. Beaucoup de blanc donc, car il s’agit de laisser libre une petite personne, un petit moi, face à une construction imaginaire et séculaire de grandes personnes s’inquiétants pour leurs loupiots.

Notes

  1. Il n’est ni de paille, ni de bois.
  2. Notons pour ceux et celles ayant encore peur du loup que ces «petits suisses à la fraise» désignent bien des produits laitiers aromatisés, et non de jeunes citoyens helvétiques entourés de ces fruits du fraisier charnus, rouges et comestibles.
  3. On pense évidement à Calvin & Hobbes par exemple.
Chroniqué par en mars 2006