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Monologues for the coming plague

de

Malgré ce qu’indique la quatrième de couverture, il est difficile de croire que Monologues for the coming plague soit vraiment le résultat d’une écriture automatique. Plutôt que de se laisser voguer au fil de ses idées, Anders Nilsen revient encore et encore explorer les mêmes situations banales, simples dialogues entre deux personnages sans décor, triturant des échanges faits de phrases qui semblent empruntées à une vie pétrie de platitudes et de tournures convenues.
A raison d’une image par page, le dessin est brut et immédiat, laissant transparaître les ratures et les hésitations de ce langage visuel réduit à l’essentiel mais qui fonctionne plutôt sur l’immédiateté des scènes — on se retrouve alors à dévorer ce livre, tournant rapidement les pages, dans une dynamique qui tiendrait presque du flip-book.

Puisque le trait se fait minimaliste, l’attention se reporte alors sur le texte — un texte mis en avant pour mieux pouvoir en souligner l’inutilité. Quand il ne déraille pas pour se retrouver de plain pied dans l’absurde, le discours se retrouve littéralement destructuré, démonté, mélangé, dans l’infime espoir d’en faire sortir quelque chose qui fasse sens. D’autres obstacles viendront se présenter — depuis l’aphonie temporaire des personnages à l’éloignement en passant par les ratures, on retrouve en leitmotiv durant tout le livre le problème de communication, ou plus précisément, d’incommunication.[1]
Car ils sont là, les «monologues» du titre, dans ces dialogues de sourds où chacun évolue dans sa bulle, tout en nourrissant l’espoir que l’autre réagisse et réponde. A moins que, comme c’était déjà le cas dans Dogs and Water, un interlocuteur muet ne serve de déclencheur à un épanchement intime.

On le comprend, on ne trouvera pas vraiment d’histoire dans ce livre, mais plutôt des scènes et des séquences qui se répondent de loin en loin, et construisent au fil des pages une ambiance faite de malaise et de surréalisme. Il y a bien des chapitres avec des titres génériques (introduction, intermission, epilogue) ou simplement descriptifs (semiotics, job hunt, the wilderness, if you meet the buddha on the road), mais ces indications restent vagues, et servent plus à mettre en exergue une thématique qui reviendra en écho plutôt que de réellement correspondre à une narration bien identifiée.
Le livre lui-même est un objet étrange, transcription brute mais se voulant fidèle des carnets de croquis originaux (hors un léger réarrangement «pour des questions de continuité», selon l’aveu de l’auteur) — allant jusqu’à adopter deux types de papier, l’un bleu-gris et épais, l’autre blanc et plus fin. On pourra toujours tiquer sur le prix ($19) pour quelque chose qui se lit aussi vite, mais c’est également ce grand écart entre le luxe de l’objet et l’aspect brut du contenu qui participe à son caractère unique.

Etrange et souvent drôle, Monologue for the coming plague réussit à dépasser le simple plaisir de l’absurde pour devenir un véritable projet d’exploration et d’expérimentation — à ranger sans hésitation à côté des travaux de Florent Rupert et Jérôme Mulot.

Notes

  1. Thème que l’on trouvera encore sur la photo de montagne choisie pour illustrer le dos et les rabats de couverture du livre, découpée en trois parties non contiguës portant chacune un personnage ainsi séparé des autres. Et pour celui qui pousserait le vice à reconstituer la-dite photo — les trois personnages se tournent alors le dos.
Site officiel de Anders Nilsen
Chroniqué par en octobre 2006