Nous n’irons pas voir Auschwitz
Quand l’auteur de ce livre naissait, Tardi commençait de publier C’était la guerre des tranchées dans la revue (A Suivre).[1] Pourquoi ce parallèle ? Parce qu’au-delà du point commun ennéaphilique évident, Jérémie Dres et l’auteur d’Adèle Blanc-Sec ont celui d’avoir recueillis les souvenirs d’un aïeul[2] avec ce regard distancié d’une troisième génération, structurant plus ou moins consciemment son identité dans une mémoire familiale allant au-delà des géniteurs. Dans les deux cas, cela fit bande dessinée, mais avec cette nuance fondamentale dévoilant trente ans d’évolution radicale de la neuvième chose, où l’on passe d’une œuvre de fiction et de reconstitution du passé, à un récit autobiographique[3] et une recherche de traces dans le présent.
Mémoire, quête d’une vérité, témoignage, tout cela demeure parmi les éléments le plus prégnants des deux démarches. Reste que si les lecteurs de Tardi ont été informés de l’importance originelle de son grand-père dans son obsession pour la première guerre mondiale, c’est avant tout par le biais d’entretiens et d’articles montrant les recherches, rencontres, voire voyages, qu’avait effectué l’auteur pour asseoir ses reconstitutions ou en affirmer leur véracité. Le travail de Jérémie Dres commencerait justement dans ce qui était jusqu’alors un à-côté de la neuvième chose. Ces recherches, ces entretiens, ces pérégrinations deviennent ici la bande dessinée, à la fois reportage, récit de voyage, carnet/journal personnel avec sa part d’autofiction dans la retranscription.
Il ne s’agit pas d’opposer deux démarches, mais de se rendre compte un instant, à partir d’un point commun, du chemin parcouru, de la liberté qui a été gagnée, des murs qui sont tombés. Au-delà de sa valeur intrinsèque et directe liée en partie à son sujet et largement évoquée ailleurs par de nombreux commentateurs, ce livre est aussi le signe d’une liberté artistique acquise, autrement parallèle à celle (géopolitique) constatée dans un ex-pays de l’Est.
Peu importe que cela soit éventuellement dû à un changement du statut de l’auteur de bande dessiné, au succès de l’autobiographie en neuvième chose, ou bien à une différence de discours, de caractère, de génération, etc. Le fait est que Jérémie Dres témoigne par lui-même, se met en scène. Pas de reconstitution, pas de fiction, mais une interrogation sur les deux, à travers, par exemple, la reconstruction « à l’identique» du centre de Varsovie, ou bien des ces histoires sur l’antisémitisme soi-disant violammment persistant des polonais.
Comme tous, l’auteur connaît l’Histoire et ses horreurs. Mais il en cherche les histoires minuscules comme la sienne d’à peine trente ans. Il en cherche les coulisses en même temps que des restes archéologiques affleurant, assises de son identité et de celle de sa famille. Il veut en voir les lieux, les gens, et une généalogie qu’il partage en partie. L’auteur ne va donc pas logiquement voir les traces d’un génocide précisément raconté, mais celle d’une vie qui se maintient, voire se renouvelle et semble toujours, même présente ou contemporaine, au-delà de la manière dont on la raconte, comme insaisissable. Paradoxalement en apparence, Jérémie Dres n’aura pas été voir ce qui reste de ce qui est réputé inimaginable, irracontable mais a vu un inimaginé et un «irraconté» du commun actuel, qui vivifieraient autrement la mémoire.
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