Poungi la racaille

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Poungi est un pingouin en survêt jaune, bas du front, malpoli, et pas très futé. Poungi est une sorte de cousin de banlieue d’Alfred, le pingouin de Zig et Puce. Poungi est l’antidote absolu à cet imbécile de Pingu. Poungi est une racaille.

Comme toutes les racailles ovipares de toutes les banlieues antarctiques, Poungi zone entre les igloos, s’embrouille avec des baltringues et vomit sur les videurs des boîtes. Poungi parle comme un charretier du XXIe siècle, drague relou, mange gras et sucré, traîne avec ses potes dans les teufs de la nuit polaire, et grille ses neurones de pingouin sur une pléstécheunne. Avec Poungi La Racaille, Bastien Chanmax reconstitue dans les glaces du pôle une banlieue plus vraie que nature, et brosse en 45 dessins pleine page (plus 57 autres dans Poungi II) le portrait hilarant de ses zonards polaires. Avec un art consommé de la tchatche et un travail irréprochable de la couleur (aplats pastels, dégradés acides, jeux de transparence, drapés somptueux et ombres légères : rarement la couleur numérique a semblé si spontanée et si évidente), Chanmax force l’adhésion. Aussi absurde et décalé qu’il soit, Poungi est crédible, parce que chaque mot, chaque attitude, chaque situation tombe juste.

Qu’il s’agisse de carotter l’entrée d’une boîte, de racketer les eskimos ou de travailler son wheeling en motoneige, Poungi est vrai, Poungi sonne vrai, Poungi est à hurler de réalisme. Feignant, obtus, mal embouché, obsédé par les meufs, Poungi a cent trente mots de vocabulaire qui lui suffisent pour se la péter d’une force herculéenne.
Et puis il y a de jolies filles (magnifiquement croquées par Chanmax) : Poungi est entouré d’une brochette de pingouines aux formes pleines et aux poignets délicats qui ramènent une mèche sur leur front d’un geste tendre et las pendant que l’autre abruti de pingouin en survêt’ jaune se la raconte. C’est systématique : soit il n’y a pas l’ombre d’une chance qu’elles lui accordent un regard, et il les drague comme un néanderthal ; soit elles lui font des avances charmantes, et il les jette sans même s’en rendre en compte, trop occupé à répondre à ses SMS ou à mater les autres filles.
Poungi est un échec pathétique, si mécaniquement même que peu à peu, au fil des planches, on ne sait plus trop si Poungi est hilarant ou attendrissant. Chanmax parvient — surtout dans le second tome, sorti en octobre 2006 — à sauver un peu son personnage, et à susciter chez lui l’ombre fugace d’une hésitation, d’une inquiétude, qui l’humanisent encore plus. Dans ce registre aussi Chanmax assure : il a capté à merveille le côté un peu fumeux de ces grandes tirades lyriques à travers lesquelles Poungi-la-racaille cherche à s’ausculter l’âme.

Heureusement, ça ne l’empêche pas de brancher comme un malade dans le métro, de se comporter comme un porc dans la rue, de vanner les petits et de provoquer inutilement les gros. Au fil des aventures de Poungi, c’est la bulle rhétorique qui apparait : la masse d’une vie faite de codes, de surcodes, et de gimmicks sans consistance — et pourtant il faut bien vivre, avec ces apparences et ces rodomontades colorées et creuses.
Poungi est le héraut, le porte-drapeau de cette fausse culture faite de télé-réalité, de jeux stupides et de surconsommation sans envie : Poungi est l’emblème de ce vide qui voudrait être une culture, et Chanmax en saisit somptueusement les effets de manches répétitifs et les coups à blanc, laissant par instant filtrer l’ennui qui nappe la banlieue polaire. Poungi est l’anti-Donald, le vilain petit canard de la bande dessinée, le pingouin bête et méchant qui met à nu les fantasmes pauvres et le fétichisme flashy de notre désert polaire à nous.

Bref, Poungi est une véritable caricature au sens classique du terme : une charge, une jolie petite satire, construite autour d’une unité formelle très pure (le dessin unique, croquant une situation qui cristallise un état d’esprit, un rapport de force, un décalage social ou un malentendu) : Poungi est un lointain Poulbot, une gravure de mœurs, un Bofa de l’âge 3D.
Allez sur le site de bkcrew et parcourez les galeries : vous verrez, autour de Poungi, les caricatures de people, les portraits, les crobards. Il faut faire ce détour pour mesurer le sens du trait et du volume qui est investi dans les dessins de Poungi, et mieux en profiter.
Après quoi, on peut le ranger dans la bibliothèque à côté de son grand frère Temps de Canard, pour le relire de temps en temps, comme on feuillette un San-Antonio entre deux Ellroy.

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Chroniqué par en septembre 2007