Le Prince du Cœur

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La première bande dessinée de Jean-Louis Costes, Le Prince du Cœur, vient d’être publiée par les Requins Marteaux : 88 pages tout en couleurs, qui succèdent à ses dessins et peintures. Jean-Louis Costes a toujours dessiné la plupart de ses pochettes de CD et de K7, fait le graphisme de son site web délirant — ainsi que ses fameux gif animés.

En utilisant des éléments symboliques simples et universels, il conte ici les cruelles aventures initiatiques de son Prince du Cœur, par de pleines pages d’images au texte minimal, qui composent un livre de contes, plus qu’une bande dessinée. Le récit tient du scénario de road movie, il est essentiel et hyperactif. Sur le bord des routes tordues empruntées par le Prince il y a de gros buissons de cul et et de larges fossés d’émotions euphoriques ou désespérées, cette baston grand-guignol des sentiments qu’on aime dans les shows de Costes. C’est simple et efficace comme un cahier de poésie tenu par un cancre appliqué mais sans règle. Cases : zéro ; bulles : zéro … au cours de bande dessinée, c’est peanuts.

C’est du dessin immédiat, avec un souci scolaire de la compréhension du récit. Le texte et les dialogues manuscrits sont nerveusement soulignés. Ce besoin de compréhension forcené s’illustre par une «signalétique» pop, qu’il utilise aussi pour ses accessoires scéniques : cœurs, crânes, bites, couteaux, smileys sont escortés de flèches et de traits qui guident la lecture.
A fond de feutres et de crayons cire, de hachures furax et d’effets spéciaux patraques, à base de trait au bic et de de bouts de scotch, on reconnaît le style de Jean-Louis Costes, avec des thèmes bien larvés dans son œuvre graphique : la guerre, l’amour, la haine, la foi, les religions et croyances, le sexe, mais aussi la vieillesse et la solitude, l’homme sauvage, les animaux. Les îles, la jungle et les HLM au fond. L’Enfant plane au-dessus, ou en nous, on ne sait plus, qu’il soit martyr idiot ou cruel, c’est sa candeur qui met à l’épreuve la société des hommes, et leurs guerres intestines.

Depuis Les fées, les culs, les tourments, Costes parle de la force de l’amour et de son pouvoir subversif, après avoir remué la merde, la haine et la rage pendant des années. Prince du Cœur transperce cette ère nucléaire vert acide et jaune fluo, parmi les méga zébrures au rayon laser, les multi naissances façon cata in vitro, et les animaux drôlement mutés ; il connaîtra aussi les expériences archaïques et mystiques les plus primitives.
Typique de son auteur, au gré de son trip Prince du Cœur se montre à la fois cru et mystique, débile et profond, tropical et banlieusard. Au final, des inventions graphiques se dégagent avec force, comme ses labyrinthes — de langues par exemple — laborieux et bancals, ses sacs de nœuds — de bras — coudés, entrelacés, ou de faisceaux qui fusent en sens contraires.
Pour Prince du Cœur la fin est belle, et dégage une voie cosmique pour l’opus qui devrait suivre, et qu’on attend les ongles rongés, un cœur taillé au cutter sur la table.

Site officiel de Jean-Louis Costes
Site officiel de Les Requins Marteaux
Chroniqué par en janvier 2011