Sam’s strip

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Quel est l’auteur vivant de la même génération que Charles Schulz, qui commet chaque jour un strip parmi les plus vendus au monde et ce depuis plus de 50 ans ?
Bill Watterson ? Non, soyons sérieux voyons, quelqu’un qui continue de dessiner et serait né dans les années 20, pas dans les années 50.
Alors ? Mais si voyons, c’est Mort Walker. (Qui ça ?) L’auteur du célèbre et célébré Beetle Bailey. (De quoi ?)

Oui, il faut l’admettre, Mort Walker reste de nos jours un inconnu en France, un des rares endroits où il n’a pas ou peu vendu son strip vedette au fameux troufion.[1] Aux États-Unis, il est pourtant un monument, né pour un genre — le comic strip — et devenu rapidement un de ses maîtres.
Devant une telle œuvre, Sam’s strip est l’ouvrage idéal pour ce faire une idée du travail de Mort Walker et comprendre son implication profonde dans la neuvième chose.

Cet album réunit toutes les aventures de Sam parues dans la presse quotidienne entre le 16 Octobre 1961 et le 1er Juin 1963. Sam est une personnalité caricaturale du comic strip, à la fois comme personnage/héros mais aussi comme entrepreneur/réalisateur de bandes dessinées pour la presse. Avec son faire-valoir sans nom,[2] il forme un couple à la Laurel et Hardy se cherchant dans la réussite d’un strip au point de convoquer mécanismes du genre et séries qui en font l’Histoire et les succès.

Ecrit à deux mains, mais dessiné par Jerry Dumas[3] ce livre offre un grand intérêt pour principalement trois points :
– Il regroupe une des premières bande dessinée (sinon la ?) à faire de la bande dessinée et son Histoire son sujet principal.
– Il reflète une prise de conscience et une manière de voir très sixties vis-à-vis de ce qui va s’appeler ici le neuvième art.[4]
– Enfin, elle montre à quel point le comic strip est lié à la presse, comment il se positionne face à l’actualité[5] et les problèmes de compréhension et de traduction que cela peut engendrer de nos jours.[6]

Si la lecture de strips ainsi réunis peut parfois être rapidement indigeste, elle est ici stimulée par le fait qu’il s’agit d’une œuvre circonscrite temporellement et «professionnellement» si l’on peut dire. C’est une véritable photographie d’une époque et d’une manière de faire de la bande dessinée. A travers les conventions des héros, par exemple, ce sont celles des dessinateurs de comic strips, alors principalement new-yorkais comme le rappelle Mort Walker, que l’on peut déceler. Les gags ne se limitent pas seulement à jouer sur l’usage des onomatopées, des bulles, et autres mécanisme visibles. Le coût de l’encre, le faire-valoir à payer, tout cela est évoqué de manière à montrer que ces quatre cases horizontales sont aussi une véritable entreprise, un studio dont on ébauche l’organisation par analogie facile avec ceux du cinéma (le faire-valoir comme acteur, Jerry Dumas comme habilleur, décorateur, Sam qui se rêve star, etc.).

Sam’s strip n’a pas rencontré le succès escompté, trop private joke d’une certaine manière, manquant d’une certaine poésie peut-être. Sam se dit «prêt à tout pour faire rire» dans le dernier strip et se condamne sur cette boutade.[7] Pour Mort Walker ce sera peut-être aussi une manière de faire de l’Histoire de la bande dessinée autrement. Une dizaine d’années plus tard il réalisera un musée de la bande dessinée qui ouvrira en 1974. Ce National Cartoon Museum déménagera plusieurs fois avant de fermer ses portes en 2002, laissant une collection de 200 000 originaux aujourd’hui intégrée dans celle de la Ohio State University. Sam’s strip a donc été la première brique (non jetée) d’un musée qui n’eut rien d’imaginaire.[8]

Notes

  1. Du moins pour les moins de 40 ans voire même de 45. Pas de présence en librairie comme Schulz, encore moins à la télé en dessins animés, auxquels s’ajoute la disparition des strips dans la presse qui ne date pas non plus. Bref et sans ajouter la fin du service militaire, nous pouvons constater que l’œuvre de Mort Walker semble bel et bien oubliée dans nos contrées ennéaphiles.
  2. Qui s’appellera Silo quand les personnages seront tout deux repris en 1977 dans le strip Sam & Silo, et transformés en policiers de quartier débonnaires.
  3. Mort Walker n’est pas comme Schulz l’unique auteur de son œuvre. Il s’est rapidement entouré de collaborateurs, dont Jerry Dumas. Autour de Beetle Bailey et Hi and Lois s’est créé un studio où les fils de Walker ont fini par travailler, voire même les fils de ses premiers collaborateurs.
  4. D’abord une perception liée à l’enfance, à la fois par les séries qui ont marqué la jeunesse des deux auteurs, mais aussi comme genre pour enfant en faisant directement allusion aux illustrateurs des livres de contes (ici John Tenniel l’illustrateur d’Alice au pays des merveilles). Ensuite une utilisation adulte des comic strips puisqu’il y a une analyse de leurs mécanismes, de leur Histoire, mais aussi comme commentaires de l’actualité et des principaux événements mondiaux.
  5. En y faisant écho ou au contraire en faisant tout pour ne pas le faire.
  6. Sur ces deux derniers points les notes en fin de volume et la traduction réalisée par Harry Morgan reste un travail remarquable et emblématique de ce qu’il faut faire.
  7. Nous noterons aussi que le strip ou le gag en une ou deux planches ont été les seules formes qui très tôt et pendant longtemps ont permis d’apporter à des degrés divers un certain recul sur certaines particularités de la bande dessinée. Dans les années 30, Hergé se dessinant comme dessinateur rabroué par ses personnages Quick et Flupke en sont un exemple.
  8. Notons que Mort Walker a poursuivi son analyse du vocabulaire des comics dans son The lexicon of comicana publié en 1980. Pour plus d’informations sur Mort Walker, je renvoie à l’entretien fleuve de R.C. Harvey publié dans The Comics Journal n°297 d’Avril 2009.
Site officiel de Jerry Dumas
Site officiel de Actes Sud - L'An 2
Chroniqué par en septembre 2009