Scott Pilgrim

de

Bryan Lee O’Malley est un jeune auteur canadien, d’origine asiatique, qui fait partie d’une jeune génération bouillonnante d’auteurs américains — cette génération qu’on retrouve chez Oni Press, chez AdHouse, dans des anthologies comme Flight ou MeatHaus et dans moult webcomics. Une génération moderne qui a intégré le manga et l’animation japonaise[1] avec ses autre influences «pop culture» : comics, musique, cinéma, design…
Scott Pilgrim, la série de graphic novels un peu folle que Lee O’Malley réalise actuellement, en est le plus parfait exemple. Il y jette pêle-mêle et allégrement comics, manga, jeux vidéos, slackers, rock indépendant, sitcoms, RPG, comédies (romantiques), baston, cinéma d’action (asiatique ou pas)… j’en passe et des meilleurs.

Mais en premier lieu, Scott Pilgrim est une comédie romantique, un «soap-opera» revendiqué et assumé qui reprend les recettes addictives du sitcom.
On y suit les «aventures» du loser-héros Scott Pilgrim, jeune slacker torontois. Il sort avec une lycéenne chinoise et végète béatement dans sa «precious little life». Puis une rencontre va tout bouleverser — celle de la fille de ses rêves, Ramona, une américaine livreuse à rollers de son état. Le couple Scott x Ramona va alors tenter de vivre son histoire d’amour malgré les obstacles posés par des passés amoureux assez «chargés» — car entre les ex-petites amies de Scott et les ex-copains de Ramona, ils auront fort à faire !
Autour du couple principal, on trouve une galerie de personnages secondaires hauts en couleurs, que ce soient les ex déjà évoqué(e)s, les membres du groupe dont Scott est le (médiocre) bassiste ou son colocataire gay. Tout ce petit monde fort sympathique de «twenty-something» gravitant autour de la scène rock d’un Toronto réaliste s’avère finalement assez représentatif de cette génération. Car on sent bien que Lee O’Malley a mis sincèrement du sien et de ses expériences dans ses personnages. Le tout est finalement rehaussé par des dialogues percutants, un rien écrits, mais pleins d’esprit.
Du vrai bon sitcom donc, jusqu’aux «oooohhh» d’un imaginaire public de studio lors d’une scène de baiser.

Car sur ce cadre de soap-opera générationnel, l’auteur va se permettre une liberté qui touche parfois au n’importe quoi jubilatoire. Le monde de Scott Pilgrim grouille d’éléments parfaitement fantaisistes (mais complètement fun), échappés des références, influences (déjà citées) et/ou de l’imagination débridée de l’auteur.
A commencer par le fait que les ex de Ramona ne sont pas juste l’incarnation du «deuil» nécessaire pour que la relation avec Scott puisse progresser. Ils sont sept, maléfiques et dotés de pouvoirs sur-humains ! Scott va devoir les vaincre, au cours de combats délirants empruntés à Space Channel Five, aux jeux de baston 2D ou encore aux jeux de skate à la Tony Hawk. Quant aux jeunes femmes, elles n’hésitent pas à régler leurs crêpages de chignons à coup d’arts martiaux ou de «marteau +2 contre les filles».
Ainsi tout peut arriver dans la série : le véganisme procure des pouvoirs psychiques ; Ramona, livreuse ninja, emprunte des autoroutes sub-spatiales, passant par hasard à travers les rêves de Scott[2] ; il y a des cyborgs, des morceaux de rock qui assomment le public, des points de sauvegarde dans les coins des salles de concert, des pièces et des items spéciaux laissés par les vaincus…

Le tout est parsemé de références plus ou moins cachées et/ou évidentes à la pop culture. On trouvera donc des pubs pour Trapnest (Nana), un titre à la «Harry Potter & the…» ou des noms de groupe dérivés de jeux vidéos. Au passage, Scott Pilgrim est le nom d’une chanson du groupe canadien Plumtree… dont Scott porte un T-shirt à la fin du premier tome.
Mais loin d’enfermer la série dans une «geekitude» qui la limiterait à un public d’initiés, toutes ces références et influences (finalement transparentes ou sans importance) établissent plutôt une connivence avec le lecteur. L’impression laissée est celle de clins d’œil ravis et complices de la part de Lee O’Malley à son public, culminant avec des cartouches récurrents pour présenter les personnages et lieux ou l’inclusion d’une recette dessinée dans le second tome.
Bref il s’amuse manifestement comme un fou à faire son Scott Pilgrim, ce qui manque pas de transparaître et d’être jouissivement communicatif à la lecture. Et pour ceux qui en redemanderaient, l’auteur fournit généreusement sur ses divers sites bonus, illustrations, histoires courtes et anecdotes pour mieux goûter à son univers.

Le seul reproche qu’on pourrait faire à la série est son graphisme. Il est cru et limité, presque amateur : les personnages sont des espèces de «SD» permanents avec un encrage épais. Il ne faut donc pas s’attendre à des sommets d’esthétisme, même si l’ensemble se tient et que Lee O’Malley se libère au fil des tomes. Mais le style, bien que simple, est expressif et ne manque ni de personnalité, ni d’efficacité.

Alors que dire pour finir ? La série fait parler d’elle sur les blogs (Ain’t It Cool News…), dans la presse (Entertainment Weekly, Bang !…) et dans les palmarès (une nomination aux Eisner 2006…) ; elle devrait même être adaptée au cinéma par Edgar Wright, le réalisateur de Shawn of The Dead.
On pourra disserter à foison sur ses références, sa supposée «fusion» comics-manga ou sa part de chronique générationnelle… mais Scott Pilgrim est surtout une série unique, qui cristallise tout le fun que l’on peut avoir la «nerdy junk culture» issue de l’entertainment moderne et international.

Notes

  1. L’animation japonaise servant souvent de premier contact avec la pop culture japonaise.
  2. Etant donc littéralement la «fille de ses rêves».
Site officiel de Bryan Lee O'Malley
Chroniqué par en septembre 2006