Sniff

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De ce couple apparent par proximité et dans l’urgence du départ, il semblerait aux paroles rendues visibles à nos yeux, que ses protagonistes qui les émettent soient plutôt découplés. L’incohérence est inaugurale. La course pour ne pas rater l’envol vers la station d’hiver aurait-elle décalé le déroulement des dialogues d’avec celui des images ?
Et puis, à la nature des propos, l’interrogation se porte sur le sujet de leurs discours. De quoi, de qui parlent-ils ? Utilisent-ils la troisième personne pour se désigner et deviser d’eux-mêmes ?

Au bout de quelques pages, redescendu sur terre pour arriver en altitude dont ces individualités, ici, espèrent bien dépasser les sommets de sept niveaux célestes en faisant couple fusionnel ; celles-ci donc, apparaissent doubles, ou plutôt doublées dans un langage qui traduirait leurs faits et gestes pantomimiques. Un homme et une femme nez à nez, ils s’accordent, se sentent bien a priori, d’autant que ce n’est pas eux qui s’expriment mais bien leur appendice nasal respectif, symbiote autonome de raison semblant pouvoir les mener par le bout d’eux-mêmes. À peine le deuxième cerveau découvert par l’humanité au plus profond d’elle-même, ce livre vous en dévoilerait un troisième, logé là d’où elle respire le plus souvent, là d’où l’acuité perceptive du monde se détermine habituellement avec une précision inconnue et non verbale, commune à celui animal.

Mais du « scopique » à l’olfactif, il n’y a pas un monde mais deux. Et celui du duo de senteurs n’est pas tout à fait celui de ceux qui les hébergent (les « re-senteurs »). Ils sont la bande-son, commentent l’action d’un match, le film des sentiments par leur empathie symbiotique, peut-être parasitaire ; mais aussi parce qu’ils ne dirigent pas ces corps, se précisent comme des dépendances. Ils s’odorent/s’adorent, mais leur rapprochement, leur vie commune encore en ébauche on le comprend, ne dépend et ne dépendra pas d’eux. S’ils sont curieusement dans la communication articulée[1], leur inconscient est tissé des pulsions, des sentiments désarticulés de ceux dont ils dépassent. Des sur-mois sur eux, en quelque sorte.
« Ce serait incroyable si l’on pouvait conditionner leurs actions ». Entre aveu d’impuissance et illusion de maîtrise, le drame banal d’humanité sera dans cet écart comblé hasardeusement un instant, distancié forcément pour toujours. Bruit d‘inspiration nasale analysée et pleurs non maîtrisés, le livre porte décidément bien son titre, apparaissant dès lors programmatique.

Ces proéminences faciales ne sont pas pour autant la raison, là où le reste de ce à quoi ils appartiennent serait le pulsionnel incontrôlable — en dessous d’eux, eux-mêmes en hauteur comme ce lieu de leur amour. Et l’on ne pourra pas dire que cela fut « phéromonale », mais plutôt hormonal, interne, autrement hors langage, où le vu, l’envie, auront fait, une fois de plus, largement se sentir au monde.
Respirer à plein poumons dans ces sommets, ces cimes, n’aura pas fait de ces nez des acteurs d’eux-même, trop sensibles eux aussi à ce qui les conditionne initialement. Dans leur histoire, ils auront été un cap, un pic, commun certes, mais franchi et dépassé par des vents vivants qui les poussent et les portent, les laissant dans un ressenti qui n’a pas d’odeur, d’un commerce finalement sans image partagée, sans véritable moyen de transport à deux, qui aurait les allures, par exemple, d’une voiture de sport rouge décapotable. Cliché publicitaire final et normatif ? Nauséabond peut-être aussi ? Ce senti ment certainement et perdra dans le paysage toute source précise de parole où triomphera une sensation issue de la vue et du déterminant touché.

Notes

  1. Non pas mentale puisqu’il suffit qu’ils s’éloignent l’un de l’autre de quelques mètres pour ne plus s’entendre, comme leurs supports humains respectifs normalement doués d’ouïe et de paroles. Notons que l’on peut s’interroger : quels sons émettent-ils ? Ou plus simplement, parlent-ils du nez ?
Chroniqué par en novembre 2020