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Sophia libère Paris

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Il est des livres qui seraient plus intéressants dans leur promotion et leurs commentaires que dans leur lecture. Sophia libère Paris serait de ceux-là, un livre agréable à lire certes, drôle souvent, mais dont la fin se ferait attendre après une trentaine de pages et l’absence de l’annonce d’un tome 2 réjouirait. Au final, c’est un heureux volume d’un coup (one-shot), qui intéresserait plus par les nébulosités qu’il agrège dans sa genèse, sa perception et sa façon de parodier.

Le tout départ aurait été une lecture de Barbarella aux toilettes par la dessinatrice, qui demanda ensuite à son cher et tendre (Libon) de lui écrire une histoire de ce genre. Le genre semble-t-il devait être surtout féminin, tendance crinière sixties pour la coiffure, et l’usage d’une bichromie[1] et du pinceau pour le dessin.
Ensuite, on peut penser que les auteurs se sont éloignés de l’œuvre poétique de Forest[2] pour lorgner du côté de la parodie des petits formats[3] dans un concept qu’ils résument eux-mêmes par : «aventure, sexe, baston».
Pour l’aventure, oui, on va de la jungle du Paris en guerre en 1870, à celle africaine. La baston, pas de problème non plus, on se bat beaucoup, à la façon des catcheuses. Puis pour le sexe, eh bien si quelques seins à l’air aux tétons colorés dans le pendant chaud de cette bichromie font un album plein de sexe de nos jours, alors oui, y’en a tout plein là aussi. Sophia peut donc ainsi vivre ses aventures dans un Paris improbable et prétexte (comme on dit), sur le ton de la parodie délirante (comme on dit).
Les commentaires des commentateurs sont-ils tout aussi parodiques ? Non semble-t-il, même si l’on parle d’«impertinence», de «pied de nez», de «sensualités»,[4] etc, c’est rarement au second degré.

Mais alors ? Alors, Sophia libère Paris n’est pas un mauvais livre. Il est seulement pénible à lire jusqu’au bout parce qu’il aurait les défauts des livres expérimentaux et à contrainte qui s’ignorent ou ne s’assument pas comme tels. Deux contraintes sont, par exemple, aisément discernables :
– La forme. Faire comme un petit format en ayant sa pagination d’au moins 150 pages. But compréhensible, cohérent dans la parodie, mais aussi une sensation de remplissage, qui fait pour le lecteur ou la lectrice une centaine de pages en trop. Au final, la forme, le dessin, la bichromie privilégiée sur le fond.
– Faire une histoire seulement avec des femmes. Aspect certainement le plus intéressant de l’ouvrage, qui met en distance un scénario et des dialogues qui semblent directement empruntés à un album oublié ou à des scènes oubliées. Une mise à distance par l’image, et l’image que l’on se fait de certains rôles/scènes, qui seraient presque de nature oubapienne.

L’album pourrait aussi se situer dans la lignée des Blanche Epiphanie de Lob et Pichard par exemple, voire des premiers Adèle Blanc-Sec, dans la mesure où ces histoires s’inspiraient et parodiaient le roman feuilleton populaire de la Belle Epoque, à un moment où certains voyaient dans ce genre littéraire une des sources majeures de la bande dessinée contemporaine. Le plus gros défaut de Sophia libère Paris apparait alors comme venant d’un manque de réflexion plus poussée, d’une plus grande cohérence dans le fond à même de faire œuvre, en s’oubliant par trop dans le divertissant pur. L’album reste à la surface de choses vues[5] il y a plus ou moins longtemps, mais n’en fait pas une véritable lecture. Le livre apparait comme un gros clin d’œil, dans une sorte de convention contemporaine opportune se cachant derrière la parodie déjà défrichée de vieilles conventions.

Notes

  1. Ici un bleu marine foncé et un orange.
  2. Ou alors on n’aurait pas lu le même livre.
  3. Jusqu’à parodier des quatrième de couverture avec une fausse publicité. La bichromie et la typographie «machine à écrire» vont aussi dans se sens.
  4. Certains parlent même de parodie d’Elvifrance. Sophia apparaitrait pourtant par rapport à ces publications, d’une hyper pudibonderie.
  5. Pas que des bandes dessinées, des films aussi, les Angélique, les Xena
Site officiel de Capucine
Site officiel de Libon
Site officiel de Delcourt (Shampooing)
Chroniqué par en octobre 2010