Trillium

de

A la science-fiction spectaculaire, Jeff Lemire privilégie une science de la fiction spéculaire. Pour lui, la S.-F. ne serait pas une prospective mais bien le reflet d’un passé. Celui-ci peut être de l’ordre du souvenir de lectures ou de films, souvent liés à l’enfance où l’incrédulité a si peu besoin d’être suspendue ; mais aussi au fait que l’expression qui désigne ce genre ayant l’avenir pour sujet, remonte aux années 20. C’est justement à ces années semblant encore proches, que va se percuter un lointain futur, pour former ce présent de lecture, ce carrefour de trois «milléniums».

Le titre de ce livre porte le nom d’un autre genre, celui de plantes généralement connues pour leurs fleurs à trois pétales. Organes reproducteurs des végétaux, il faut bien ce symbole naturel  au nom à consonance métallique et futuriste, pour finalement résumer une histoire d’amour qui franchit les distances. Science-fiction oblige, celles-ci ne sont pas d’ordre familiales, nationales voire ethniques, mais bien intersidérales et spatio-temporelles.

Ce que constaterait Lemire c’est que regarder le ciel comme avenir, c’est regarder le passé lointain  (comme nous l’ont si bien appris les astronomes) pour essayer d’y voir une perspective. Il conçoit que deux vies parallèles puissent être séparées par des milliers d’années de distances, mais se demande aussi si appartenir à des astres si lointains sous prétexte d’avenir, n’est pas intégrer vu d’ici leur état dans le passé. Les personnages de 3797, plus que de lointain ascendants, semblent survivre dans un monde hostile tel des tribus préhistoriques et malgré leur haut degré de sophistication technique. Et s’ils survivront, ce sera grâce à l’aide d’un représentant de ce fameux passé semblant encore proche.

La force de rencontre déterminante entre les deux personnages principaux, entre la femme (du futur) et l’homme (du passé) serait sur terre ce que l’on appelle l’amour et ses mécanismes non verbaux. Dans l’espace, dans l’intersidéral, ce sera ce que l’on appelle un trou noir, associé à des machineries hors langage humain elles aussi car de conception extraterrestre, voire providentielle (Deus ex machina ?).

A ce constat de reflet inversé (homme/femme, passé/avenir, etc.) et déformables par les paradoxes du voyage dans le temps (la science-fiction comme miroir déformant), la question se pose de la surface miroitante. Celle-ci serait la planche de bande dessinée, ses cases, mais aussi son assemblage en pages, en fascicules pouvant faire d’autres mises en parallèle, d’autres réflexions. Surfaces en miroirs, Jeff Lemire pousse l’idée jusqu’à inverser ses planches[1] et son récit pour accentuer cette idée. Les vertus spéculatives de la science-fiction sont poussées vers les possibilités plastiques et narratives de la bande dessinée, privilégiant une conception spéculaire, entre reflet inversé et contraires complémentaires[2].
Si Trillium se révèlera d’une belle floraison dans le temps subjectif d’une lecture, ce sera d’avoir envisagé la neuvième chose comme outil réfléchissant plutôt que comme moyen de s’y mirer ou de s’y échapper de l’autre côté.

Notes

  1. Mais pas les dialogues, donc pas d’écriture en miroir, même si la retranscription du langage des extraterrestres renvoie à cette manière ancienne de crypter un texte manuscrit.
  2. Un travail qui pourrait être rapproché du NogegoN des frères Schuiten.
Chroniqué par en novembre 2014