Trous Gris

de

A ceux et celles effrayés par tant d’abstraction, l’on pourrait dire qu’il s’agit d’un livre de bande dessinée comme les autres, avec des trames et des motifs pour faire une histoire, une forme qui fera l’objet de tous les regards, qu’un titre désignera, identifiera à la rendre vivante, peut-être héroïque. L’aventure sera là aussi comme ailleurs, une question de changement brusque, imprévu, injuste quelque part, et de l’éventuelle disparition que cela suscite, de l’espoir et de la possibilité que tout redevienne normal à la fin.
Trous gris est seul mais au pluriel en titre car il s’agit de deux livres en un, deux cycles réunis, une intégrale en quelque sorte.

La forme au centre se détache, quitte son entourage, fait de son support un décor. Ce mouvement se répercute, disloque, superpose, éparpille, crée un intérieur et un extérieur, de la profondeur et de la surface. Dans ce qui s’anime et se distingue, trames et motifs deviennent comme une mémoire, une émotion ou pour le moins un état. Pour le reste, qui acquiert la fonction de substrat et d’encadrement, le statut est celui de contexte autant que matière/plan où tout se trame, se motive jusqu’à densifier l’instant de lecture.

L’exécution ? La manière ? Principalement les ciseaux et l’aiguille pour faire les traits qui séparent pour les premiers, pour faire les points ou les traits pour la seconde. Le tout se colle, s’accole, s’empile ou se juxtapose, se repousse ou s’attire, se met en avant ou s’efface, part ailleurs vers l’extérieur. Pour celui ou celle au regard décidément anthropomorphique, il s’agira là d’une énumération d’actes ou de qualités indéniablement humaines, rassurantes par conséquent puisque sels de millier d’histoires depuis des lustres.

Ce que cela dit ? Ce que cela montre ? Justement cette illusion du/de ce regard humain et de ses mécanismes, l’essence matérielle de cet imaginaire immatériel, voire aussi immémorial. Michel Vachey est en quelque sorte dans la ligné « déconstructive » de groupes contemporains à son travail comme Supports/Surfaces. Il a d’ailleurs écrit sur l’un de ses membres fondateur, Claude Viallat, dont la forme « référente », étalonnant toute l’œuvre de ce peintre depuis presque un demi-siècle, semble avoir inspiré la présence formelle de Trous Gris. Reste que ce dernier se distingue par une dimension verticale singulière, une existence/absence propre qui transperce et fait se transpercer littéralement la matière, qui va jusqu’à déstructurer ce qui l’a informé. La surface devient glissante pour tous les signes, le support peut être signé.

Notons pour finir l’extrême intelligence éditoriale de ce livre, par l’ajout simple et limpide de cette petite aiguille collée par un bout de ruban adhésif en revers de couverture. Cet aiguillon de l’esprit insiste ainsi par sa présence discrète, sur l’usage de cet outil, sa possibilité, son rendu, aspect que la reproduction aurait lissé au regard, transformant vides, creux ou trous, en de simples trompe-l’œil pigmentaires. Le « No reproduction » à la fin du premier cycle de Trous Gris était un avertissement, qui, ici bien compris par les éditeurs, dit/démontre une fois encore toute la pertinence dessillant et actuelle de cette œuvre élargissant désormais sa présence en des pages.

Chroniqué par en mars 2017