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Ulysse, les chants du retour

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En favorisant l’usage de la bulle, la bande dessinée se serait orientée doucement comme art de la parole, qu’elle soit dialogique ou monologique. Ses images n’illustreraient plus l’écrit, elles seraient contextuelles, l’écrin éphémère de discours liés au souffle, qu’il soit expiré ou retenu le temps d’une pensée.
En cela, le livre de Jean Harambat ne serait pas qu’un travail sur « les chants du retour », mais bien un retour sur une parole et une technique, le chant, celui des rhapsodes, contant alors dans un univers ou l’écriture servait avant tout à faire mémoire de lois ou de comptabilités.

Cet Ulysse n’est donc pas une adaptation au goût du jour ou pour un public infantile, ni même un retour aux sources où la neuvième chose y trouverait comme d’autres un moyen de se légitimer, mais bien plutôt une interrogation sur la parole qui sait la structurer, entre problèmes de conservation (retranscription) et conversation.
L’histoire du roi d’Ithaque est connue, elle devient par conséquent prétexte, pour ne pas dire « pré-texte » voire « post-texte », puisqu’elle suscite les commentaires dialogués, des paroles échangées sur un texte lui-même longtemps transmis uniquement par la parole.

Le choix de cette dernière partie de L’Odyssée permet d’insister sur un récit qui est d’abord celui d’un retour, d’un voyage qui ne pouvait vivre alors que par la parole et sa transmission à l’autre et à travers le temps. Il montre aussi un Ulysse dont la parole ne prend sens que dans ses fins, et dans la complicité de ceux qui l’ont suivi, voire écouté puisqu’il aura été le premier conteur de ses aventures. Plus qu’ailleurs ces ultimes chants contiennent un processus et une interrogation travaillée au fil des siècles, sur la réalisation d’un discours, sur l’usage du « logos ».

Ulysse, les chants du retour s’inscrit dans l’évolution récente de la bande dessinée, de sa perception d’elle-même et de ses artistes qui longtemps n’ont été personne. C’est un album d’auteur ayant un rapport entier à son moyen d’expression, ni nostalgique, ni déprécié, qui en rhapsode contemporain lucide saurait jouer de toutes les voix pour conter une histoire, mais aussi parler de la présence de son art à travers l’analyse d’un récit universel. La bande dessinée serait alors moins un art des images comme on l’entend souvent, qu’une certaine mise en scène et retranscription de la vitalité de la parole.

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Chroniqué par en décembre 2015