Version

de

Contrairement à Ishi no Hana et Akanbee no Ikkyû (Fleur de Pierre et Ikkyû, en VF), les deux autres longs récits que Sakaguchi Hisashi signera avant sa disparition en 1995, Version ne s’intéresse pas à l’Histoire avec un grand «H» mais s’aventure dans la science-fiction.
Le point de départ de ce manga n’est pas particulièrement original — un détective privé de seconde zone, sans client et sans le sou, se voit proposer une affaire qui le propulse aux côtés d’une jolie jeune femme à la recherche de son père, lequel est poursuivi parce qu’il a donné naissance à une technologie révolutionnaire.
Sans surprise, on va donc y retrouver les thèmes classiques depuis le Frankenstein de Mary Shelley (le contact de la puce évadée est mortel, se retournant contre ses créateurs), et l’inévitable organisation secrète animée de noirs desseins. Mais il faut reconnaître à Sakaguchi cette touche particulière qui fait que son récit s’éloigne très vite des sentiers tout tracés, pour partir explorer un univers qui n’est pas très éloigné des écrits de Philip K. Dick.

Plutôt que de livrer un traditionnel thriller, avec poursuites éfreinées et suspense haletant, Sakaguchi prefère adopter un rythme plus contemplatif, où l’on parle beaucoup et l’on progresse par étapes et découvertes. Et même si c’est une puce née des dernières technologies qui est au centre du récit, l’auteur donne un orang-outan comme compagnons à ses personnages, les envoie dans les étendues sauvages et désertiques d’Australie, et transforme très vite leur recherche en chasse à la sirène.
La manière dont sont représentés les «villains» de ce récit en dit long sur les intentions de l’auteur — arborant de grosses lunettes et un nez rouge, ils ne sont finalement qu’une distraction qui passe au second plan, derrière les interrogations sur la connaissance, la divinité et la pensée qui constituent le fond de l’histoire. Soutenu par un dessin précis et efficace, qui laisse échapper de temps en temps de grandes bouffées d’espace dans ses illustrations pleine page, ce récit ne laisse transparaître son âge (dix ans déjà !) que dans l’utilisation occasionnelle d’une 3D filaire désormais très datée.

De par son sujet, on peut rapprocher Version du Ghost in the Shell de Shirow Masamune. Ici aussi, il est question d’une autre forme d’intelligence, et de sa place dans le monde tel que nous le connaissons. Mais là où Shirow s’intéresse à «l’esprit dans la machine» et se laisse happer par sa fascination pour l’univers qu’il a créé, Sakaguchi évoque plutôt ses préoccupations écologiques et cherche d’une certaine manière à faire retrouver à l’homme sa place dans la nature.
Et des étendues autraliennes, on viendra s’échouer sur une île de détritus au milieu de la baie de Tôkyô, espace (à nouveau) primitif à re-conquérir et ré-animer. Retour au point de départ, la boucle est bouclée et tout reste à reconstruire.

Notons qu’en français, seule une petite partie (les deux premiers chapitres) de Version a été publiée par Glénat, remaniée de surcroît, sur les 800 pages que compte ce récit. La mini-biblio japonaise la mentionne d’ailleurs comme étant une «création originale».
Kôdansha, dans la présente réédition en format bunko, a choisi d’y rajouter Hoshi no Yo, une histoire courte que Sakaguchi Hisashi avait écrite à l’occasion de la disparition de Tezuka Osamu. On y retrouve le même mélange de science-fiction et de poésie, pour un hommage élégant au «Dieu du Manga».

Chroniqué par en mai 2001