Vieux Fou !
« Coño ! Que coño ! Que coño ! » un vieux en retard jure dans les rues de Barcelone affairée, derrière lui en métaphore : la Sagrada Familia et ses clochers comme des termitières.
Bien entendu un vieux comme lui est qualifié de fou — car hors norme ou plutôt hors d’âge — par tous les futurs vieux déjà cons qui forment « la population active ». Il se nomme Javier et voyant sa retraite fort dépourvue, il décide de kidnapper la progéniture d’un gros richard. Faut dire que l’action ça le connaît ! C’est un ancien de la POUM (allez voir Land of Freedom) qui ne s’est pas arrêté là puisqu’après la guerre il a lutté jusque dans les années 70 contre ce facho de gros Franco.
Mais tout ça pour pas grand-chose en civilités, et en nerf de la guerre rien du tout. L’impôt le plus juste s’impose donc, il sera direct sur le « capitalo » pour bien finir ses vieux jours. En Espagne comme ailleurs on favorise toujours mieux les riches. Et l’on fait croire que les riches sont d’anciens pauvres qui ont réussi alors que ce sont surtout des personnes en connivence qui prennent ou ont pris plus aux autres, sans partager. Seulement là, les riches imposables sont doublement pourris : trafiquants de drogue, ils exploitent la pauvreté matérielle et sentimentale (cette dernière garantissant souvent la première).
Le pépé il n’avait pas vu tout ça et c’est ça qui va sauver son geste. Lui, il vient d’une autre planète celle des années 30 où la clope est au coin du bec, où les lendemains pouvaient encore chanter, où l’on s’appelait camarade, c’est-à-dire tout ce qui dans notre monde des devises, s’évacue facilement et sentencieusement par des : « causes perdues », « valeurs utopiques », « t’auras un costard-cravate mon fils », « fais plaisir aux actionnaires manges ton Mars », etc.
Eh oui ! « Think different » and « just do it » ! But like they want of course ! Quand Javier et ses camarades disaient « unissons-nous », on nous dit soit unique ! Résultat on est dans l’impasse de l’unique comme tout le monde. C’est l’astuce à laquelle Javier a échappé et c’est ce qui fait sa force. S’il reprend sa panoplie de Robin des bois pour lui-même, c’est parce qu’il ne voit plus de groupes mais que des uniques. Not like they want, le pépé est dans la dissonance du ton du juste, comme un coup de pied dans la termitière. Le môme de riche qu’il kidnappe ne s’y trompe pas, il deviendra son complice, juste parce qu’il n’a jamais eu l’essentiel : des grands-parents, et surtout des parents, c’est à dire pas ces deux narcisses artificiels fanés tout à leurs petits trafics de pulsions inhibées et de substances prohibées.
Jeunesse et vieillesse s’entendront à merveille. Complicité de génération contre complicité de malfaiteurs. Une nouvelle guerre civile s’engage, plus faits divers qu’historique, elle prendra Barcelone. Seulement Javier perdra dans ce bonheur le combat que personne ne gagne. Tristesse mais finalement tant mieux ! Javier n’aura même pas profité de tout cet argent dégueulasse. De toute façon c’était même plus son but. « Siempre venceremos ! » derniers mots de Javier, qu’écrira sur le sable d’une plage son jeune complice soudainement seul. Mais que jamais aucun vague à l’âme n’effacera.
Dieter signe un de ces scénarios humanistes dont il a le secret, un ton pour la vie comme celui qui sous-tend son chef d’oeuvre qu’est Julien Boisvert.
Moynot lui offre son style rapide dans la lignée d’un Tardi et d’un Autheman. Bien sûr l’histoire n’est pas très surprenante mais est bien racontée, bien rythmée et surtout au-delà de cette pauvreté manichéenne si courante et souvent attitrée aux bandes dessinées. Cet album n’a rien à voir non plus avec les tentatives de Bilal et Christin et les Phalanges de l’ordre noir en particulier. Pas de « politique politicienne » comme on dit, mais juste de la politique dans son sens étymologique i.e. « de la cité » ici Barcelone !
Vieux fou ! est le troisième album de cette série qui explore les grandes métropoles que Dieter et Moynot avaient commencées il y a 3 ou 4 ans chez Dargaud. Après Moscou et Los Angeles c’est la cité espagnole qui s’offre en décor à divers faits. Et Gaudi est là, pas loin. Les courbes sensuelles de cette architecture semblent s’offrir au glissement plutôt qu’à la chute. Les personnages ne pouvaient donc tomber et Javier meurt entre ciel et terre.
Super contenu ! Continuez votre bon travail!