Visite guidée

de

Plutôt qu’une simple « visite », le « guide » Cornette revisite les personnages mythifiés de l’histoire de l’art que sont les trois peintres Van Gogh, Gauguin et Munch, en trois chapitres abordant par leurs guest stars respectives les grandes notions que sont le suicide, le plaisir et la souffrance.
Les personnages, et les époques qu’ils représentent, se confrontent[1] en un petit théâtre, une petite scène personnelle, tenant à la fois du musée imaginaire tel que l’a pensé Malraux, et le genre littéraire très ancien, consistant à faire se dialoguer, au-delà des temps, les grandes figures disparues des arts et des sciences.
Pour les chapitres évoquant Munch et Van Gogh, la narration se construit/aboutie autour de leur toile respective la plus célèbre,[2] en une sorte de calembour visuel et/ou de fondu enchaîné. Pour Gauguin, c’est sa vie qui est œuvre aux yeux de Cornette. Il en fait un roman ou plutôt une toile (dans le sens de film).

Cette proposition générale d’ateliers imaginaires (ou d’imaginaires) laisserait présager le meilleur. Pourtant, cet album ne prend pas et s’embourbe rapidement. Cornette sombre dans l’écueil des images multiples et dessinées qui affrontent les images uniques et peintes.
Dans un débat qui ne poursuit pas celui multiséculaire du dessin contre la couleur, le dessinateur laisse de coté, dans ce noir et blanc obligatoire de la collection Tohu Bohu, la matière et les couleurs que ces peintres ont affrontées. Certes Cornette s’intéresse moins à l’image qu’à la psychologie de ces personnages mémorables, mais il s’y prend au piège par ces mythes qu’il re-présente et par les histoires qu’il tisse, avec leurs fins inéluctables vers les toiles.
L’histoire avec Gauguin est celle qui, peut-être, survie la mieux des trois. La peinture de ce dernier étant pour une grande part symbolique, jouant elle-même sur les mythes, Cornette peut s’attarder sur (ou se faire rattraper par ?) tous ces champs et oublier la modernité des couleurs libérées du réel par le peintre voyageur.
Mais à trop s’y abandonner, son Gauguin en devient inutile, accessoire, formel, voire conventionnel. En l’absence d’un supplément de sens pertinent, un écrivain, un diable, un dieu Pan, etc. auraient pu tout autant faire l’affaire, nous évitant du même coup la pensée qui ne cesse de tarauder le lecteur au fil des pages, d’une sorte de mariage entre caution (ou prétexte) culturelle et impertinence convenue vis à vis de mythes artistiques.

Visite plutôt guindée donc, manquant d’un guide réellement inspiré, où il s’agit davantage de persona que de psychologie de peintres ou de discours pertinent/impertinent sur l’art. Une artificialité de fond aux registres trop hésitants et souvent convenus, qui noie ce livre.

Notes

  1. Van Gogh rencontre un quidam dans un T.G.V. Méditerranée et Gauguin rencontre un Jacques Brel aviateur. Dans les deux cas, le lieu réuni les protagonistes et abolie les époques : chemin vers Arles pour les uns, exotisme des îles Marquises pour les autres.
  2. Respectivement « Le cri » (1893) et « Le champ de blé aux corbeaux » (1890), dernière toile de Vincent avant son suicide.
Chroniqué par en janvier 2002