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Le Visiteur du Sud

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En 2004, Monsieur Oh, citoyen Sud-Coréen, participe à un chantier en Corée du Nord dans le cadre des accords industriels entre les deux Corées. Le Visiteur du Sud raconte les dix-huit mois passés dans l’étrange pays à la fois jumeau et inconnu qui l’accueille. Faute d’avoir pu rapporter de son chantier près de Shinpo des photos, Monsieur Oh a rapporté des souvenirs, et s’est fait auteur de bandes dessinées pour recomposer un journal de bord éclaté, nourri de tableaux vécus et de scènes captées au ras du sol.

Bien sûr, on retrouve dans Le Visiteur du Sud une peinture pas totalement inattendue de l’absurdité délirante de la vie en Corée du Nord : mélange d’orgueil et de dénuement, de culte hystérique du chef et de produits périmés, de naïveté exacerbée et de complications kafkaïennes, la dictature du « Soleil du XXIe Siècle » tient ses promesses. Mais Le Visiteur n’est pas un pamphlet politique : c’est un témoignage, un récit composé à hauteur d’homme pour tenter de rassembler les éléments et les leçons d’une expérience individuelle. Monsieur Oh n’a pas voulu tenir de grands discours, pas plus qu’il ne vise l’édification morale de son lecteur (ni pour charger le portrait de la Corée du Nord, ni pour en démasquer au contraire la trop facile caricature). Il raconte ce qu’il a vu et vécu, de manière très plate. Son dessin excessivement simple, presque maladroit, totalement dépourvu de la moindre afféterie formelle, est plus efficace que le plus minutieux des réalismes : ses petits bonshommes unijambistes (toujours vus de profil), ses visages taillés au ciseau, ses décors minimalistes, tout contribue à donner au lecteur le sentiment qu’il suit en direct le déroulement du séjour de Monsieur Oh.

Chaque tableau est construit autour d’une anecdote, d’une impression, d’un petit événement. Les jolies serveuses du bar, les gamins qui détournent la tête quand passe une voiture, les voyageurs des trains qui descendent allumer un feu sur le bord des voies pendant les coupures d’électricité, le mal du pays, les routes trop propres et les briques de terre crue, tout vaut d’être rapporté, tout est raconté. Entre ces micro-reportages sans apprêt, parfois même sans véritable récit (sans queue ni tête, pris sur le vif), Monsieur Oh a intercalé de longs passages informatifs, qui retracent l’histoire de la Corée du Nord, et qui renseignent sur son économie catastrophique, sa politique incroyable, ses relations difficiles avec sa voisine du Sud ainsi qu’avec toute l’Asie du Sud-Est. En faisant ainsi le choix de distinguer ainsi brutalement les scènes simplement rapportées, appartenant à l’expérience directe d’un homme, des encarts didactiques, Monsieur Oh met encore plus clairement en relief la qualité immense de son livre : la nudité brute de son témoignage est aussi peu organisée que possible. Elle possède la séduction simple du récit de voyage, l’honnêteté sans calcul du compte-rendu : c’est son dépaysement que Monsieur Oh partage, et sans jamais en tirer de leçon morale il laisse ce dépaysement traduire peu à peu le mélange paradoxal de distance et de proximité qui fait le fond de son malaise. Vivement le second tome.

Site officiel de Editions FLBLB
Chroniqué par en juin 2009