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Walking Dead (t.5) Monstrueux

de &

Notes de (re)lecture

Un plaisir inattendu

Il y a quelque chose d’absolument fascinant dans l’œuvre de Robert Kirkman, une singularité forte et savoureuse. En lisant les cinq premiers tomes de la série, j’ai pris un plaisir qui dépassait étonnamment celui qui pouvait être attendu des qualités graphiques et narratives de cette bande dessinée. Ce plaisir rare provient de l’impression de parfaite conjonction entre une forme artistique (en l’occurrence la bande dessinée) et un projet artistique (que Kirkman décrit dans la postface du tome 2). Cette conjonction me semble s’articuler autour de deux points : L’absence de limite du récit et son ouverture.

 Un récit sans limites

J’ai commencé la lecture du premier tome sans connaître l’étendue du récit : combien de tomes y-a-t‘il, je ne le sais pas encore aujourd’hui et ne cherche pas à le savoir. Cette inconnue ouvre la perspective d’un plaisir infini : le premier tome m’a proposé un récit prenant, le deuxième tome l’a poursuivi en renouvelant l’intérêt : il n’y a aucune raison pour que ce phénomène ne se reproduise pas dans les tomes suivants. La promesse feuilletonesque est donc alléchante et je retrouve une partie du plaisir éprouvé lorsque je progressais dans les péripéties du Lieutenant Blueberry, au long des albums qui ont suivi Chihuahua Pearl. Un plaisir assez différent de celui qui m’attendait à chaque nouvel Astérix, fondé au contraire sur la répétition de schémas connus.

Un récit ouvert

L’effet de cette absence de limite physique au récit est démultiplié par une autre caractéristique de Walking Dead : le récit ouvert. J’appelle récit ouvert un récit fondé sur l’exploration tous azimuts d’une situation totalement nouvelle et inconnue (en l’occurrence, la survie dans un monde de zombies). Ce type de récit s’oppose par exemple aux récits d’enquête, de résolution d’énigme ou de rétablissement de l’ordre, tout entier tendus vers un point d’orgue narratif : le méchant démasqué, la paix rétablie… Il est en revanche plus proche des récits de Jules Verne tels que L’Île Mystérieuse, dans laquelle un groupe humain passe du stade de la survie à l’exploration puis à la création de conditions de vie confortables… Le genre de récit dont j’aurais voulu ne jamais voir la fin (d’ailleurs, j’ai toujours trouvé que la fin de L’Île Mystérieuse, avec le pitoyable twist de la réapparition du Capitaine Nemo, était aussi décevante que frustrante…)

Pourquoi la bande dessinée semble-t-elle adaptée à ce type de récit ?

Je crois tout d’abord que le récit ouvert gagne beaucoup à utiliser l’image plutôt que le texte. Je n’ai jamais réussi à me fabriquer une image mentale du plan de L’Île mystérieuse et j’ai souvent perdu le fil de l’action dans les nombreuses descriptions ; Elles sont pourtant nécessaires puisqu’il s’agit d’un univers inconnu que le lecteur doit bien appréhender pour savourer la façon dont les héros s’y adaptent. L’image proposée par la bande dessinée (de même que celles que propose le cinéma) permet d’appréhender rapidement l’ensemble d’une situation pour focaliser sur ce qui constitue le véritable point d’intérêt de la narration : le comportement des personnages dans cette situation. L’image de bande dessinée diffère toutefois de celle du cinéma en ce qu’elle supporte une plus grande simplification : elle peut écarter les détails superflus et se faire très lisible. Cette qualité offre un autre avantage qui conforte encore l’adéquation entre la forme et le projet : la simplification graphique confère à l’image un statut à mi-chemin entre la réalité et l’imaginaire. Elle est proche du réel diégétique mais éloignée du réel du lecteur. Elle nous dit ainsi que ce que nous avons sous les yeux tient du conte ou de la mythologie. Nous comprenons alors que ce qui nous est narré n’est pas qu’une histoire de zombie, mais aussi une parabole humaine.

Site officiel de Delcourt
Chroniqué par en mai 2013