Extrait de "Welcome, inventaire pour un enfant qui vient de naître"
Welcome, inventaire pour un enfant qui vient de naître
«Welcome/Goodbye» est-il écrit sur le paillasson qui ouvre et referme l’inventaire de Guillaume Trouillard comme pour nous rappeler que toute venue au monde est indissociable de l’idée de mort. Ce livre, créé à l’occasion de la naissance de sa fille, est un état des lieux de la réalité qui nous entoure sous forme d’imagier. Proposant une technique différente à chaque double page, le dessinateur prend les outils du dessin d’étude pour décrire la planète sur laquelle vient d’atterrir l’enfant. Très vite, l’on comprend le parti-pris qui gouverne à la sélection des éléments de la nature ou du quotidien qui sont dessinés. Guillaume Trouillard nous donne à voir une lecture critique de l’existant, où les merveilles de notre univers dialoguent avec les forces mortifères qui les menacent.
Tout se joue dans l’ordonnancement des planches. La juxtaposition de certains éléments produit des associations d’idées qui soulignent la fragilité de notre écosystème. Ou bien — parce qu’on pourrait l’interpréter à l’inverse — l’auteur rend compte des associations d’idées qui sont liées à notre époque et que la juxtaposition de deux éléments met en évidence. Ainsi, dans l’enchaînement qui nous entraîne des coquillages et des étoiles de mer, aux tortues marines, en passant par les méduses et les sacs en plastique, on perçoit combien le détraquement de la chaîne alimentaire par notre société de consommation nous est devenue naturelle.
Le livre est chargé d’ironie à l’encontre des valeurs qui conduisent à une catastrophe non seulement écologique mais également sociale : loi du plus fort, domination masculine, course au progrès, sécuritarisme sont autant de concepts résumés en une collection d’objets. On est soufflé par la puissance qui se dégage de ces dessins a priori objectifs mais dont la mise en série réveille notre esprit critique, jusqu’à la planche finale des primates en voie d’extinction qui nous renvoie à nos propres origines et à notre statut d’animaux soi-disant civilisés.
Parfois, le dessinateur se joue de notre capacité à déchiffrer les dessins. La planche des perroquets située entre les bois de cervidés et les nains de jardin se veut-elle une reproduction du vivant ou un catalogue de taxidermie ? Guillaume Trouillard sème le doute car c’est là encore un moyen de nous faire sentir la fragilité de la vie sur terre et l’ambiguïté des signes. Cela nous fait également expérimenter une forme d’hésitation entre la vie et la mort, voire la peur — la trouille ! — qui peut précéder au choix de mettre, ou pas, un enfant au monde.
Welcome est un livre à lire dans tous les sens. Après une première lecture, la table des matières des planches et des techniques employées nous invite à retourner sur certains dessins pour en apprécier la facture. On s’aperçoit alors que l’emploi d’une même technique pour différents éléments est aussi vecteur d’associations multiples. Le choix des surfaces employées pour les dessins est également significative. Non seulement le dessinateur travaille à partir de papiers aux couleurs, aux textures et aux grammages différents, mais il donne également une seconde vie à d’autres supports (prospectus publicitaires, papiers de bonbons…) s’inscrivant dans une tradition de recyclage déjà présente dans les arts mais qui acquiert, dans cette œuvre, une dimension éthique. À l’inverse, c’est avec beaucoup d’humour que le dessinateur a choisi de représenter les plus beaux paysages naturels tels qu’ils s’affichent sur nos fonds d’écran ou encore les chefs d’œuvre de l’art lorsqu’ils sont reproduits sur des mugs. À plusieurs reprises, la chute dans le kitsch est un réveil brutal.
Ce livre d’artiste révèle, enfin, toute la puissance du savoir-faire du dessinateur qui défie la mécanicité à l’ère de la robotique. Dans un geste d’humilité et d’authenticité, le livre se referme sur l’image de ses propres déchets. Un tas de papiers et de dessins découpés renvoie au matériau prosaïque qui a permis de réaliser ces œuvres qui rapprochent le gigantesque du minuscule, le létal du sublime. Ainsi s’achève un ouvrage dialectique, où chaque image, chaque signe renvoie à des signifiés contradictoires et nous laisse, sans mot dire, seuls face aux mouvements de notre pensée.
→ Aussi chroniqué par Jean-Charles Andrieu de Levis en janvier 2014 lire sa chronique
Super contenu ! Continuez votre bon travail!