Yes Is More

de

Où il s’agirait de l’art trop visible de l’architecture et de l’obésité des villes pècheresses qu’elle compose pour aujourd’hui y loger la majorité des habitants de la planète (global). Ca fait du monde, ça pose problèmes, qu’ils soient architecturaux, urbanistiques, politiques, écologiques, «ingénieriques», sociologiques, financiers, démocratiques, etc.
De la complexité par conséquent, où le moins serait comme l’élégance en pierre, en verre ou en métal du rasoir d’Occam cher aux scientifiques. Mais point de moins en ce livre, du plus, toujours du plus comme le voudrait une idéologie du moment.

Le danois Bjarke Ingels, «architectocommunicant» de son groupe homonyme, fait, en bon créatif, l’amalgame d’une phrase de Mies Van der Rohe[1] avec celle de Barack Obama lors de sa campagne de 2007,[2] pour en faire un slogan admirable ou caricatural, suivant que l’on se place en défenseur ou pourfendeur de la logique marketo-publicitaire.
Pour ce qui est de la neuvième chose, l’auteur aura au moins lu L’art invisible et Sin City. Habillé comme le Scott McCloud dessiné,[3] il va nous dévoiler la complexité de son travail en bande dessinée, un peu à la manière et dans la logique des stratèges de Logicomix. L’essentiel, le caché, le pas facile de l’intelligence enfin à notre portée en bédé qui, en plus, grâce à eux, n’est plus uniquement un médium pour bébés. Un atterrissage vers l’art populaire du neuvième sous-sol, entreprenant la relative popularité de ce dernier dont ils se feront une gloire à bon compte (en plus[4] ).

La manière ? Facile. B.I.G.[5] est un groupe où il y a des gens tous prénommés qui font ensemble des projets pour les concours architecturaux et appels d’offres lancés de Copenhague à Dubaï en passant par Shanghaï. Tous cela mêlant textes et images comme une bédé, c’est un peu la même chose. Ajoutons des bulles arrondies, des narratifs rectilignes, une typographie «comics» et hop ! voilà un vrai comics.
C’est dessiné ? Non, c’est capturé d’écrans. En soi Yes is more n’est pas une bande dessinée mais l’anime book d’un documentaire qui aurait pu voir le jour. Pas d’images en déséquilibre, mais une mise en page d’images (et de morceaux d’images) autosuffisantes pour expliquer une décennie de projets et réalisations de l’agence.

Si Yes is more n’est pas une bande dessinée, c’est encore moins un manifeste.[6] C’est un catalogue d’exposition auto-promotionnelle[7] conçue par cette étrange entité agence de pub / bureau d’architecture.
Si pour l’amateur de bande dessinée, cette «aventure» de Monsieur Plus en «comics» est un pensum pour ne pas dire une purge, il reste très intéressant sur d’autres points : D’abord par la façon dont est perçu le neuvième art dans la sphère communicationnelle «globishisante» actuelle,[8] surtout depuis le succès médiatiques des «graphics novels» dans le monde anglo-saxon. Ensuite, dans l’usage qui est fait des images issues des écrans en général,[9] avec, comme une de ses conséquences, cette manière de résumer la bande dessinée à une mise en page et quelques effets qui l’identifient depuis les années 60. Ajoutons aussi l’illusion jeuniste très construite pour donner un caractère de manifeste à un livre avant tout événementiel, voire spectaculaire. Un côté compile de projets architecturaux «clipés» qui ferait de B.I. le premier architecte «d’envergure mondiale» de cette « génération MTV » maintenant quasi quadra.

Reste de tout cela que l’architecture de B.I.G., si elle n’est pas profondément originale, se montre très intéressante parfois, mettant, par exemple, astucieusement au goût du jour les vieilles problématiques des immeubles en gradins.
Fait d’une majorité de projets non aboutis, le peu de réalisations expliquées et analysées en ces pages ressortent en montrant par leurs ancrages, leurs fondations, une réflexion beaucoup plus subtile que les vacuités communicationnelles où se noie l’ouvrage.[10] Avec un peu plus de modestie et moins de posture, ce livre aurait pu être une apologie de la contrainte et des heureux hasards en architecture,[11] dont la nouveauté ou la contemporanéité aurait pu faire le système et/ou la définition par défaut d’un mouvement (ou d’une absence de mouvement) d’une architecture actuelle.

Notes

  1. «Less is more.»
  2. «Yes we can.»
  3. Veste et t-shirt avec un logo dessus représentant une bulle dont l’embrayeur est situé en haut à droite et pointe vers le visage de son propriétaire. La bulle a remplacé l’éclair de McCloud, et les couleurs primaires de ses vêtements font place à un noir contrasté comme dans Sin City.
  4. In more.
  5. Acronyme de Bjarke Ingels Group.
  6. Avec son jeu de mot de créatif entre «révolution» et «évolution», Bjarke Ingels, en néanmoins bon post-post de quelque chose de l’architecture, présente son agence ou son travail comme un dépassement «évolutionnaire» pragmatique des avant-gardes «révolutionnaires» qui auraient égrainé l’histoire de cet art ces cent dernières années.
  7. Yes is more est une expo qui a eu lieu début 2009 à Copenhague et a été reprise en France à Bordeaux fin 2010.
  8. A la différence du titre du livre qui se justifie par la phrase de Mies Van der Rohe, tous les titres des chapitres sont en anglais un peu comme il est d’usage actuellement au cinéma, dans les mangas où les jeux vidéos.
  9. Captures de films, photos, schémas, animations, maquettes virtuelles, pages web, etc.
  10. Le sous titre «Une bande dessinée sur l’évolution architecturale» est emblématique de ce point de vue. Yes is more ne fait absolument pas l’histoire de l’architecture et de son évolution. La seule évolution montrée est celle de B.I.G. sur ces dix dernières années.
  11. Qu’ils soient ceux des rencontres, ou des possibiltés techniques (des matériaux de construction aux potentialités logicielles), réglementaires, etc.
Site officiel de Bjarke Ingels Group
Site officiel de Taschen
Chroniqué par en avril 2011