Conte d’été

de

En 2014, après quatre éditions remarquées de Pierre, Feuille, Ciseaux, laboratoire de bande dessinée, l’équipe de ChiFouMi avait pensé s’octroyer une année de jachère, histoire de tirer les enseignements des quatre temps de cette courte histoire. Mais, voilà, les choses en ont décidé autrement, une opportunité est venue frapper à leur porte, et l’état des lieux envisagé a finalement pris une toute autre forme. Après tout, pour une manifestation qui a toujours mis l’action au centre de ses préoccupations, et opéré l’exploration théorique par la pratique OuBaPienne et collective, il était somme toute logique que ce moment de réflexion prenne la forme d’une nouvelle résidence, s’installant cette fois-ci dans les locaux de la Fraternelle, maison du peuple de Saint-Claude, dans le Jura. Dans cet espace clos, organisé autour d’une cour centrale qui repousse la ville à l’extérieur, le point névralgique est cette salle suspendue, accrochée à flanc de montagne entre ciel et terre, longée par un balcon vertigineux. C’est là que se trouve la grande table où s’empilent originaux et photocopies, où s’entassent crayons et pinceaux, et où l’on dessine, encore et encore. Et dans les entrailles, quelques étages plus bas, au bout d’un labyrinthe de couloirs sombres, l’atelier de sérigraphie où un petit groupe de fous-furieux s’active du matin aux heures les plus tardives, remontant de temps en temps (à la lumière) les trésors qu’ils y fabriquent. Si l’on y trouve forcément des échos de «PFC», cette édition de ChiFouMi & Cie, exploration collective du champ de la bande dessinée contemporaine se démarque par une forme de maturité, que l’on retrouve jusque dans cet intitulé, comme si l’objet s’en trouvait désormais identifié et pleinement assumé ; mesurant un territoire, non pas pour en constater l’épuisement, mais bien en esquisser toutes les potentialités qu’il recèle encore. Pour ce moment de respiration, on a invité une poignée de vétérans de «PFC» (choisis dans une liste qui force le respect), dont beaucoup se connaissent déjà[1]. Ici, pas de round d’observation, on sait que le temps est compté, alors on plonge. Les formules sont rodées, efficaces, s’appuyant sur les exercices les plus fructueux. On ne s’interdit pas pour autant l’exploration, et comme à l’habitude, on verra fleurir nombre de nouvelles approches qui n’aboutiront pas toutes, mais qui cherchent, encore et toujours, à gratter, tirailler, triturer cette matière «bande dessinée» pour voir ce qui pourrait bien en sortir. C’est un apprentissage permanent, pour tous et toutes, et qui touche jusqu’à ceux qui ne viennent que pour animer des rencontres[2] Les résultats sont là, incarnés dans les différentes productions que l’on tente encore et encore de réaliser : le livre prévu initialement (au tirage impressionnant de plus de 200 exemplaires, sérigraphiés, pliés, agrafés à la main, chacun portant de surcroît un dessin original et donc unique de l’un des sept participants), auquel se rajoute ce fanzine photocopié décidé en chemin, et qui regroupe les meilleures réalisations de la semaine (une cinquantaine d’exemplaires), puis l’exercice «carré carré carré» en format poster couronnant une collaboration à grande échelle (une cinquantaine d’exemplaires également), et enfin le «mini» autour du vent, dédié à Laura, stagiaire du lieu (tirage imprécis, distribué le dimanche soir aux gens qui étaient encore présents). Il y a bien sûr les à-côtés habituels — librairie éphémère, projections, DJ-sets et grandes tablées où les discussions vont bon train — qui confirment, s’il le fallait encore, que tout cela ressort avant tout d’une aventure humaine. S’il est difficile de partager ce sentiment d’avoir participé (chacun à sa manière) à quelque chose d’important, reste pour cette première de ChiFouMi & Cie une véritable satisfaction : de voir, enfin, autant de bande dessinée produite. Là où le dessin (collectif et sous contrainte) régnait dans les éditions précédentes, les explorations ayant parfois du mal à atteindre l’étape véritablement narrative, la sélection opérée pour cette édition donne beaucoup plus à lire — et fait une fois de plus espérer pouvoir un jour découvrir un ouvrage revenant, dans le détail, sur les expériences des quatre «laboratoires de bande dessinée» qui l’ont précédée…

Notes

  1. Soit Terhi Ekebom (PFC#2), Pierre Ferrero (PFC#4), LL de Mars (PFC#1-2-3), Anders Nilsen (PFC#3-4), Emilie Plateau (PFC#4), Benoît Preteseille (PFC#1-2-3-4) et Renaud Thomas (PFC#2).
  2. Et qui découvriront, lors d’un moment un peu inconfortable, qu’il vaut mieux éviter d’introduire une table ronde par une présentation qui prend le contre-pied de ce que l’on pense véritablement. Mea culpa, mea maxima culpa.
Dossier de en septembre 2014