Daredevil, the man who can’t read comics

de

Pourquoi Daredevil est-il un des héros les plus fascinant de la Marvel ? Hein ? ! Hein ? !

Cela ne vient pas de ses super-pouvoirs, car ceux-ci sont vraiment cheap par rapport à des X-men ou même à un Spiderman. Daredevil n’est rien d’autre qu’un super athlète aveugle, avec une hypersensibilité des autres sens et un sixième sens radar.

Beaucoup rapprochent Daredevil de Batman (orphelin, sens aigu de la justice, attirance pour les situations noires, absence de super pouvoirs, etc …). Ce n’est évidement pas faux, mais notre jugement est faussé par le génial Miller qui a contribué à la formidable popularité des deux super-héros. Finalement cela abouti rapidement à une impasse et n’explique pas grand chose.

La fascination qu’exerce Daredevil est (à mon humble avis) à chercher dans sa genèse même.
On le sait l’idée géniale de Stan Lee est d’avoir donné une vie privée (ou plutôt une quotidienneté) à ses super-héros. Ça a le mérite de multiplier les trames narratives, d’exacerber la double vie/double identité du super-héros, et surtout de rapprocher le lecteur du super-héros (le lecteur devient/est un super-héros (dans ses rêves) (et vice versa ?))[1] .

Mais l’autre mérite de Stan Lee est aussi d’avoir compris que les super-héros se présentaient comme une nouvelle mythologie pour les lecteurs rationnels (du moins sensé l’être … .) du XXième siècle. Pour lui les dieux grecs ou scandinaves ne sont rien d’autre que des super-héros avant l’heure. C’est donc logiquement que la Marvel utilise Hercule ou Thor. Il aurait été dommage de ne pas utiliser des héros déjà tout prêts ! (C’est pas beau le gâchis … surtout qu’en plus ils sont libre de copyright …)

Stan Lee dans son élan scrutateur, a aussi zieuté les personnages allégoriques et symboliques. Comme ses super-héros sont des super justiciers, il a été voir comment se présentait l’allégorie de la justice. la plupart du temps elle se présente sous la forme dune jeune fille (vierge évidement) vêtue à l’antique (gréco-romain), un bandeau sur les yeux et tenant une balance dans une main.
C’est la fameuse justice aveugle (ça vous rappelle Miller et Mazzuccheli c’est normal les gars pas de panique ! apprécier encore plus les deux artistes !), impartiale car à l’abri des images et que l’on trouve généralement en haut des façades des palais de justice (d’où elle observe le citoyen qui n’est pas censé l’ignorer (elle aime faire son intéressante la coquine, pourquoi croyez-vous quelle est si haut perchée ?)).

Stan Lee a remplacé la jeune fille [2] par un jeune homme (dont le premier amour d’après (et après) Miller est Elektra (qui est d’origine grecque (le pays ou a débuté l’antique …))). Celui-ci sera habillé de façon plus moderne et plus sportive (un collant jaune et rouge puis tout rouge), et sera aveugle (mais sa cécité sera compensée par l’hypersensibilité des autres sens et un sixième sens radar). Enfin au lieu de tenir une balance en haut de la façade d’un immeuble, il se balancera d’immeuble en immeuble (justice de proximité). Logique. Bravo Stan Lee ! fallait y penser.

Stan Lee pousse la subtilité très loin. L’allégorie de la justice n’est pas aveugle, elle a un bandeau sur les yeux donc elle a vu, peut voir, et verra. Trois possibilités s’offrent donc à Stan Lee. C’est la première qu’il exploitera. C’est en voulant sauver un aveugle [3] que le jeune Matt deviendra lui même aveugle après avoir été exposé à des produit radioactifs [4] .
Joli paradoxe non ? Bien entendu et toujours plus paradoxalement (ou logiquement paradoxale) Matt Murdock est avocat dans le civil (avocat handicapé car non voyant, ce qui augmente son aura de sainteté et ainsi contraste encore plus avec Daredevil (diablotin)) et défend quelques fois les ennemis que DD a attrapé …
Du grand art non ?
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Mais c’est pas fini ! La densité de Daredevil vient aussi d’un autre paradoxe. DD est en effet le héros d’un médium (la bande dessinée ou à l’origine la littérature en estampes/images) qu’il ne peut pas voir. Il est une super allégorie de la justice car il ne peut pas voir les images (sources de tous les maux, de toutes les peurs ; se souvenir des iconoclastes byzantins par exemple ou plus récemment des sempiternelles rengaines sur l’influence des images de la télévision. En un mot (enfin plusieurs qu’en même) : Le problème de l’incarnation des images dans notre civilisation judéo-chrétienne).
Ce paradoxe n’est pas souligné par Miller mais par Ann Nocenti. Car Miller traite avant toute chose du passé de ses personnages, pour expliquer leur double personnalité (presque schizophrénique), leur vision de la justice (presque paranoïaque d’autant plus que la justice se doit d’être sans vision (aveugle)), et leur violence (les super-héros sont-ils des fascistes ?).
Comme Matt Murdock a récupéré le surnom qu’on lui donnait à l’école parce qu’il est roux (Daredevil veut à la fois dire diablotin et casse-cou), Miller s’attardera sur la dimension manichéenne de DD, ainsi que sur son sentiment de justice : Qu’est-ce que le bien, qu’est-ce que le mal, puis-je juger, ne suis-je pas moi-même condamnable, ne suis-je pas un diable (ça c’est pour le coté w.a.s.p. des amerloques), etc. …
Ann Nocenti donnera même une réalité au surnom et aux questions du personnage puisqu’elle enverra carrément Daredevil en enfer (le vrai celui où il fait chaud ! ! !). [5]

En faisant de Bullseye (le Tireur en français) le pire ennemi de Daredevil, Miller a ouvert une piste. Désormais le super-aveugle affrontera toujours le super-regardeur (amateur de peinture en plus).
Ann Nocenti exploitera vraiment cette piste dans le n°285 de l’homme sans peur (Version Intégrale Sémic n°16), intitulé Errances. Murdock est devenu amnésique et il s’interroge sur sa vision du monde, c’est à dire du visible qu’il perçoit, s’offre à lui. Quand à Bullseye il a piqué le costume de DD, a fait deux trous dans la cagoule (pour voir évidement), et va faire un casse dans un riche appartement de Manhattan où il admire un Paul Klee (faiseur et théoricien de l’image qui a dit : « L’art ne reproduit pas le visible ; il rend visible … »).
DD/Bullseye n’est qu’un voleur parce qu’il voit et qu’il désir/veut tout (ce qu’il voit). Murdock/DD ne peut plus faire le justicier parce qu’il n’a plus de mémoire … (déterminisme ou empirisme dans/pour la vision et la compréhension du monde ? En fait Murdock retrouvera la mémoire en devenant boxeur (en donnant et prenant des coups) c’est à dire en prenant le rôle de son père (la mémoire en acte, non verbale si vous voulez))

Dans cette épisode Ann Nocenti pousse très loin la relation Murdock/DD à l’image en réactualisant le mythe de Diboutade considéré comme le mythe fondateur de la peinture (donc de l’image).
Diboutade était une jeune fille grecque (comme Elektra) qui pour garder une trace de son fiancé qui allait partir à la guerre avait cerné son ombre projetée sur un mur.
Daredevil/Murdock va rencontrer une jeune fille noire (DD ne voit pas les couleurs et leur problèmes primaires ou complémentaires …), qui va faire la même chose que Diboutade, mais avec une bombe aérosol et sur un mur de Hell’s kitchen … on est XXième siècle que diable ! [6]
Et c’est là, que DD explique à la jeune fille (Nyla) qu’il ne peut pas voir son oeuvre car il ne voi(t) pas les choses plates [7]) .

Il peut lire les caractères typographiques (petits et standardisés) comme il lirait du braille, grâce à son hypersensibilité tactile.
Mais pour une bande dessinée (où la typographie est manuscrite, diversifiée, et noyée dans les images) impossibilité quasi totale de lecture. Pour lui une bande dessinée muette c’est du chinois (et pourrait même être source de peur pour the man without fear ?).
Nous pouvons donc hurler nu sous la pleine lune à un monde incrédule que Daredevil ne sera jamais bédéphile ! ! !

Tout ça pour quoi ? Tout ça pour vous dire que Daredevil est un vrai mythe, une source inépuisable et fascinante d’explication du monde.

Pour en savoir plus sur Tête à corne je vous renvoie au dossier de S.W.O.F. (n°11 et 12/13) et l’excellent Scarce n°40 et 41. Dans Spécial Strange n°100 il y a aussi un petit dossier sur DD fait par J-P Jennequin.
Sachez aussi que Daredevil est toujours traduit en français, mais qu’il se trouve dorénavant dans l’excellent et informé mensuel Marvel.

Notes

  1. Les rêves sont-ils la deuxième/double vie de chacun ? Somme-nous des héros dans la réalité quotidienne ou dans les rêves ? Ann Nocenti commence justement l’épisode 285, de Daredevil par des définitions diverses du Héros … Autres questions, la bande dessinée contribue-elle à alimenter nos rêves ?
  2. Dans les 60’s les jeunes filles ne sont bonnes qu’a s’évanouir souvent et pour un rien (une braguette ouverte par exemple) ou a être sauvé in extrémisme par des super-héros. Imaginer l’inverse est impensable ! Mais vraiment impensable, j’insiste ! !
  3. Qui n’était pas dans les passage-piétons, c’était donc aussi un aveugle en dehors de la loi me direz-vous, oui mais celle des citoyens voyants vous répondrai-je car malheureusement toute les rues ne sont pas équipées d’avertisseurs sonores indiquant si l’on peut traverser ou pas. Pour comprendre ça il faut se projeter (sens radar) se mettre à la place des aveugles ou le devenir comme Matt …
  4. Jusque dans les années soixante l’explication du super-héroïsme viendra de la radioactivité. Après c’est l’ère des mutants. Une autre vision du progrès, période de crise désacralisation et resacralisation (nostalgique) de la croissance. En un mot post-modernité !
  5. Notons aussi qu’Ann Nocenti en créant Typhoïd nous en apprend beaucoup plus (et donc beaucoup moins car plus on apprend plus on ne sait rien comme dit la chanson) sur le rapport de Daredevil/Matt Murdock avec les femmes que Miller avec Elektra. Peut-être parce que Ann Nocenti est une femme …
  6. Peintre noir(e), graffitis, quartier pauvre de New York, squatt, etc … ça vous rappelle rien ? Mais bordel c’est bien sûr ! Basquiat !
  7. Nyla offre un portrait/trace à un Murdock à la recherche de trace de lui-même, de son identité … Ajoutons que le plus grand artiste du XXième siècle, j’ai nommé Marcel Duchamp a utilisé souvent la technique de Diboutade/Nyla, notamment dans sa dernière peinture intitulé tu m … (Terminer par le (ou en faisant référence au) commencement, c’est l’ellipse suprême de la narration !).
    Enfin sachez que Nyla ajoute des cornes à l’ombre de Murdock … Elle rend ainsi visible l’invisible (cf. Klee plus haut) l’identité secrète de Murdock et du même coup son passé … Mais un visible qui reste invisible aux yeux de Murdock (une amnésie des yeux ? Le sens radar est une sorte de projection, et une projection c’est comme l’onde d’un cailloux jeté dans l’eau, elle ne peut atteindre que le présent et le futur très proche …
Dossier de en février 1996