du9 a vingt ans

de

Quand ?

du9 est donc né en 1997, il y a 20 ans.

1997 — date à laquelle la « nouvelle vague » de la bande dessinée alternative était déjà bien établie. Je ne sais plus ce que je lisais en 1997, mais ai le souvenir d’avoir découvert Le conte diabolique d’Aristophane pendant l’été. Livre qui reste l’un de mes plus gros chocs. Je cherchais aussi à cette période les volumes d’Ardeur des frères Varenne.

Et puis 1997, c’est aussi l’année de la création d’Atrabile.

20 ans — ces années inscrivent du9 dans les expériences critiques durables de la bande dessinée. Cela alors que d’autres supports — certes papiers — disparaissent les uns après les autres : Comix Club, DMPP ou encore Kaboom (semble-t-il, faute de nouveau numéro depuis l’hiver dernier) pour ne citer que les plus récents. Reste le jeune Pré Carré. Longue vie à lui !

Comment ?

Cette longévité, elle tient probablement à la nature même de du9. Nous contributeurs, le sommes pro bono. du9 ne dépend pas de ses ventes en kiosque, ou de publicités. C’est donc la forme associative qui prime, comme chez bon nombre d’éditeurs alternatifs. Chacun contribue avec ce qu’il peut et ce qu’il veut. Xavier ne propose aucun sujet et n’en refuse aucun, peu importe si l’article proposé porte sur un livre déjà chroniqué.

Le contributeur ne reçoit comme seule gratification le plaisir de voir son article en ligne le vendredi. Une des politiques de du9 est aussi de ne pas recevoir de livres, du moins de n’accepter aucun envoi spontané. C’est un gage d’indépendance. Mais c’est aussi un défi : nous devons allons chercher notre matière par nous-mêmes.

Quoi ?

L’autre bande dessinée — celle qui amène du nouveau (du neuf) et qui légitime ce statut de 9e Art. Vaste projet et titre tellement bien trouvé… ! Autre, alter, c’est la racine d’alternatif. Autre bande dessinée (et non BD, bédé ou roman graphique !), est-ce donc à dire bande dessinée alternative ? Et qu’est-ce que l’autre, l’alternatif ?

Jean-Louis Gauthey aime à le répéter, alternatif vaut mieux qu’indépendant, adjectif utilisé à tort-et-à-travers (indépendant de quoi ? le groupe Delcourt s’enorgueillit de ce qualificatif sur la page d’accueil de son site).  Est alternatif ce qui « présente ou propose une alternative, un choix entre deux solutions », par exemple « un modèle alternatif de croissance économique » (Larousse). Alternatif s’oppose volontiers à mainstream, courant dominant en bon français[1]. L’alternative, c’est un autre possible, qui parfois devient réalité (il y a alors alternance). Aussi de la gauche alternatif, ou de son opposé, l’Alt Right, dont on parle beaucoup ces temps-ci…

L’alternatif suggère un mouvement du dominant vers un autre. Mais ni le dominant ni l’alternatif ne sont singuliers. Et le second se serait modelé sur le premier. Pourtant, si la bande dessinée alternative a au départ cherché à se positionner comme autre face aux gros éditeurs, ceux-ci ont rapidement compris l’intérêt qu’il pouvait y avoir à s’inspirer de son expérience. Et ils se sont eux-mêmes positionnés en tant qu’alternative cool (ou « avant-garde soft », pour reprendre une expression qui a fait couler beaucoup d’encre).

La bande dessinée autre est de plus en plus difficile à reconnaître. Les couvertures se sont standardisées, les styles répandus, les auteurs dispersés. Jean-Christophe Menu l’a crié dans Plate- bandes et les Éprouvettes, et les choses ne se sont pas améliorées depuis. Pourtant, encore une fois, le champ alternatif ne se décourage pas, au point que l’on serait tenté d’écrire qu’alternatif se rapproche de plus en plus souvent de radical : droit ou gauche radicale, action radicale, édition radicale… L’alternatif est au final très politique !

du9 essaye de faire le tri dans tout cela.

Qui ?

Nous contributeurs ne nous connaissons pas — pas par du9 en tous les cas. Nous ne sommes pas un collectif. Et pourtant : certaines coïncidences, les retours réguliers d’éditeurs ou d’auteurs dans les chroniques pourraient laisser supposer le contraire. Et je dois avouer que c’est là une de mes craintes. Mes lectures sont souvent orientées par ce que je vois sur du9. Ce qui me mène à d’autres livres que je chronique par la suite. Mais souvent, je suis pris de court par un autre contributeur de du9 qui publie un article avant moi. Preuve que nous lisons la même chose…

du9 ne représente-t-il pas ce fameux microcosme évoqué par L’Éprouvette ? N’est-il pas la simple chambre d’écho de la sélection de quelques librairies branchées ? Chroniquons-nous vraiment l’autre bande dessinée ?…

Pourquoi ?

… J’ai la faiblesse le croire, que oui, malgré l’effet microcosme, nous continuons à parler d’une autre bande dessinée, tant celle-ci semble avoir disparu de la grande majorité des librairies, quelles que soient leurs tailles. Nous cherchons à lui donner la voix qu’elle mérite.

Où ?

Ayant la chance de voyager souvent, mon travail personnel consiste aussi à tenter de découvrir la bande dessinée alternative que l’on produit et lit au-delà de nos frontières. Au retour, mes valises sont souvent pleines de livres aux langues exotiques. J’espère que ce travail est utile. Et il est toujours touchant de découvrir que tel ou tel libraire, auteur ou amateur du 9e Art connaît et apprécie nos chroniques…

Combien ?

Mais beaucoup, trop, de cette autre bande dessinée nous échappe. Combien encore de classiques inconnus à lire ? Combien de fanzines à découvrir ? Combien de chefs d’œuvre classés mainstream à leur sortie et ignorés à réhabiliter ?

« L’art est long et le temps est court, » écrivait Baudelaire.

Notes

  1. Le terme dominant, dans son acceptation bourdieusienne, mériterait également des développements.
Dossier de en juillet 2017