Numérologie, édition 2011

de

Evolution du marché

Segmentation

Aujourd’hui, la majorité des observateurs s’accordent à segmenter le marché en considérant d’un côté le manga (englobant tout ce qui ressort de la production asiatique au sens large, et non pas la seule production japonaise), et de l’autre le reste de la production. Cette distinction se retrouve également sur les points de ventes, avec l’apparition ces dernières années de magasins spécialisés dans le manga, à l’exclusion de tout autre type de bande dessinée.[1]

D’une certaine manière, la disposition des rayons correspondants à l’avant-dernier étage de la Fnac Montparnasse illustre bien la manière dont sont établies des filiations très différentes : d’un côté, on trouve le rayon manga à côté des DVD d’animation et des jeux vidéo, alors qu’à l’autre extrémité de l’étage, la bande dessinée jouxte les livres pour enfants.

Il est à noter que les deux instituts IPSOS et GfK ont également adapté leur discours à cet état de fait, détaillant dans leurs communiqués et dans leurs chiffres ces deux pans de la production. Au passage, remarquons que la bande dessinée asiatique (du fait de son importance économique sur le marché français) est la seule à connaître un tel traitement de faveur. Ainsi, bien que souvent considérée comme spécifique, la production anglo-saxonne (souvent désignée par le terme de comics) ne bénéficie pas au sein de ces deux instituts de catégorie dédiée qui permettrait d’en suivre les évolutions.

Tout au long de cette « Numérologie », nous essaierons de nous attacher à détailler en quoi cette segmentation est pertinente, et à analyser les spécificités des deux sous-catégories qu’elle discerne.

Lectorat

De manière générale, il existe assez peu d’études publiques qui traitent du lectorat de la bande dessinée – ce que ne faisait que renforcer l’attente qui entourait l’étude « La lecture de bandes dessinées »[2], dont les résultats ont été présentés pour la première fois à l’occasion de l‘édition 2012 du Salon du Livre de Paris.

Les résultats de cette dernière enquête ont tout d’abord confirmé le panorama largement esquissé par les données jusqu’alors disponibles[3], laissant apparaître un lecteur-type de bande dessinée inchangé depuis près de vingt ans : jeune, masculin et éduqué.

« […] les lecteurs actuels de bandes dessinées se recrutent prioritairement dans les milieux favorisés, tant au plan du diplôme que de la position sociale, et la lecture de bandes dessinées est fortement corrélée aux autres pratiques culturelles. Elle se distingue cependant de la lecture de livres par son caractère masculin – qui tend à s’estomper sans toutefois disparaître dans les jeunes générations – et par le lien privilégié qu’elle continue à entretenir avec l’adolescence en dépit d’un lectorat adulte relativement important dans les générations nées après guerre. »

Comme observé déjà dans l’étude précédente « Les pratiques culturelles des français à l’ère numérique » datant de 2008[4], manga et comics confirment leur statut de lecture « jeune » faisant état d’un point d’inflexion très net autour de 40 ans, les plus âgés se montrant les plus attachés aux « albums traditionnels (bandes dessinées franco-belges et européennes) ».

Enfin, cette étude marque une nouvelle étape dans le contexte d’érosion des pratiques de lecture en général, et qui touche également la bande dessinée. Alors que 34 % des Français de plus de 15 ans lisaient de la bande dessinée en 1994, ils ne sont plus que 29 % en 2008. Si l’on pourrait arguer qu’ils sont « toujours » 29 % en 2011, il faut fortement tempérer cette affirmation : en effet, les 11-14 ans sont de très gros lecteurs de bande dessinée (l’enquête notant que « 90 % des 11-14 ans déclarent avoir lu des bandes dessinées au cours des 12 derniers mois ») et tirent très certainement le taux global vers le haut[5]. En fait, en comparant les structures de lectorats de cette étude avec celle de 2008, on constate un recul net pour chaque tranche d’âge.

Taux de lecteurs de bande dessinée par tranche d’âge

Sources: IFOP (1994; 2000), DEPS (1997; 2008; 2011)

C’est sans doute là que réside la véritable révélation de cette enquête : non pas combien la bande dessinée serait « populaire » selon l’antienne connue, mais bien plutôt combien elle constitue « une pratique relativement peu investie qui compte beaucoup d’occasionnels » (à peine 9 % des Français seraient des lecteurs réguliers de bande dessinée) – et qu’en définitive, on abandonne souvent, « au point que presque un Français sur deux (47 %) se déclare ancien lecteur ».

Cette désaffection commence d’ailleurs tôt (« les trois quarts des abandons se produisent avant 25 ans ») avec comme raisons invoquées d’abord la perte d’intérêt, puis le manque de temps. On peut alors s’interroger sur le rôle de l’image encombrante d’une bande dessinée perçue en premier lieu comme un divertissement (y compris par les lecteurs actifs), et comme généralement destinée à la jeunesse. Quarante ans après la création de L’écho des savanes et l’affirmation d’une production résolument adulte, 40 % des Français considèrent d’ailleurs toujours que « les bandes dessinées sont surtout faites pour les enfants et les jeunes ».

 

Volume et chiffre d’affaires

Comme indiqué plus haut, si les chiffres indiqués par les deux instituts concurrents (IPSOS et GfK) font état de taille de marché sensiblement différentes, on note que l’un comme l’autre constatent des évolutions comparables sur les six dernières années. Au global, on note que le marché se trouve sur une pente descendante en volume, mais enregistre une légère progression en valeur, porté par une appréciation sensible du prix moyen. Cette situation paradoxale (d’un marché à la fois en retrait et en expansion) amène à questionner les tendances qui pourraient en être responsables, ainsi que la santé réelle du marché de la bande dessinée en France.

En détail, il apparaît que le segment du manga a terminé son installation sur le marché en 2008, et connaît un tassement depuis, dans un contexte de prix plutôt stables. Par contre, les ventes d’albums marquent un net recul en volume, compensé par une forte augmentation du prix moyen, dont semble dépendre la majeure partie de la progression du marché.

On notera cependant que l’augmentation du prix moyen pour le marché de la bande dessinée se situe nettement au-dessus de ce que relève l’INSEE pour l’évolution de l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) sur le secteur de l’édition. Cette évolution est particulièrement nette pour les albums, qui ont vu leur prix moyen s’apprécier de 20 % en l’espace de six ans. Il est fort probable qu’une partie de cette augmentation est à mettre sur le compte de l’introduction de nouveaux formats (roman graphique, intégrales) qui s’inscrivent sur des niveaux de prix plus élevés que ceux de l’album « traditionnel ».

Sur la même période, le segment du manga fait preuve de plus de modération (+3 % pour IPSOS contre +7 % pour GfK) mais le doit surtout à un maintien des prix sur la période 2005-2007. Sur cette période, la croissance a été principalement portée par les séries shônen[6], dont les prix s’inscrivent au plus bas des grilles des éditeurs. Ainsi, jusqu’en 2007, Kana avait maintenu le prix de séries comme Naruto (qui représentait alors à lui seul un sixième du marché total du manga) à 5,95€. Début 2012, cette catégorie d’ouvrage est passée à 6,85€, soit une appréciation de 15 % en cinq ans. Cette évolution touche la plupart des éditeurs, dans des proportions diverses : Tonkam/Delcourt +22 %, Delcourt/Akata +17 %, Sakka +8 %, Glénat +6 %, et enfin +1 % pour Pika (ces deux derniers éditeurs ayant adopté une politique de prix plus élevés, avec dès 2007 une catégorie d’entrée à 6,40€ et 6,95€ respectivement).

Par ailleurs, la multiplication des versions « deluxe » (et plus chères) ainsi que l’introduction de catégories de prix élevées (de 15€ à 30€) chez la plupart des éditeurs ont également contribué, même de façon marginale, à cette appréciation des prix moyens sur le segment du manga.

La hausse de la TVA à taux réduit de 5,5 % à 7 % qui est entrée en vigueur le 1er avril 2012 ne devrait que renforcer cette évolution. De fait, une large majorité des éditeurs ont anticipé cette mesure, en adoptant de nouvelles grilles de prix dès le 1er janvier 2012.

Estimations du marché français de la bande dessinée

Evolution du marché français de la bande dessinée entre 2005 et 2011

Ventes en volume (en millions d’exemplaires)

Ventes en valeur (en millions d’euros)

Source : IPSOS MediaCT, corrigé par nos soins

Source : GfK

 Part du segment du manga sur le marché français de la bande dessinée

Evolution du prix moyen (indice 100 en 2005)

Marché global

Segment des albums

Segment du manga

 

Le prix du papier

L’augmentation significative du prix du papier est l’une des explications souvent avancée pour justifier cette évolution des prix à la hausse. Si l’on trouve effectivement mention de l’augmentation du prix du papier dans la presse (cf. par exemple « Papier : les prix grimpent en flèche dans toute la filière » in Les Echos n°20690 du 3 Juin 2010[7]), il faut parfois tempérer les gros titres : ainsi, dans l’article « La presse confrontée à la hausse du prix du papier » publié dans Les Echos n°20904 du 4 Avril 2011[8], on peut effectivement lire « Le prix du papier journal a subi une augmentation spectaculaire en début d’année : entre + 14 % et + 15 %, en fonction de la qualité du papier », avant de découvrir quelques lignes plus loin que « les prix avaient beaucoup baissé début 2010 : – 18 % pour le papier journal, entre – 10 % et – 13 % pour le papier magazine, selon PAP’Argus. « On est revenu au prix d’il y a deux-trois ans », convient un éditeur. »

Le bilan économique 2010[9] de la COPACEL (Confédération Française de l’Industrie des Papiers, Cartons & Celluloses) dépeint une situation tout aussi ambigüe, avec des variations importantes des prix du papier – à la hausse, mais également à la baisse, tout au long de la décennie passée.

 

Source: COPACEL

Rythmes éditoriaux

Très certainement un héritage de la prépublication dans les hebdomadaires[10], les grandes séries franco-belges ont depuis longtemps adopté un rythme de sortie annuel, souvent à date fixe, afin d’établir un rendez-vous avec le lecteur. Au fil des années, cet espacement entre les sorties s’est vu érigé comme un garant de qualité, au point de considérer d’un œil suspicieux les auteurs qui se montreraient plus prolifiques.

On notera cependant les expérimentations plus ou moins récentes autour de nouveaux formats de publications. Ainsi, les séries « à concept » (Le Décalogue, Jour J, Empire USA, Zodiaque, etc.) font état d’une périodicité plus élevée, se rapprochant du périodique.

Ces dernières années ont aussi vu le développement de séries dérivées (XIII Mystery, Cixi de Troy, Les Mondes de Thorgal, Alix Senator, etc.), qui viennent compléter une offre déjà établie. Dans la plupart des cas, les sorties s’opèrent dans le « créneau » habituel de la série (en simultané ou en remplacement de la sortie d’un tome de la série principale), afin de capitaliser sur ce rendez-vous avec le lecteur/acheteur.

De fait, l’examen du planning de sorties met en évidence une approche presque « industrielle » de la part de ces grands éditeurs, s’appuyant sur un rythme bien réglé. On peut ainsi souligner la régularité exemplaire du Chat de Philippe Geluck, qui sort immanquablement à la mi-octobre ; ou encore celle du Lombard avec le Léonard de Turk et de Groot, qui paraît systématiquement durant la première moitié de mars ; ou même les Blake et Mortimer, abonnés au mois de novembre (à l’exception du Sanctuaire du Gondwana, sorti en mars 2008). Pour d’autres, on note de menus ajustements, qu’il s’agisse des Schtroumpfs (décalés à la première semaine d’avril après avoir occupé la mi-janvier de 2005 à 2008), ou des Lucky Luke (qui font le yo-yo entre début décembre et mi-octobre). De même, après avoir assis son succès à la mi-août (juste avant la rentrée), Bamboo a progressivement fait glisser Les Profs début octobre.

Sur le segment du manga, le standard éditorial s’est établi historiquement sur une sortie bimestrielle, rapprochant les dynamiques de ventes de celles des périodiques. Cette stratégie était d’ailleurs clairement revendiquée par les éditeurs « de la première heure » comme Glénat (avec Dragon Ball ou Akira alors vendus en kiosque) ou J’ai Lu (avec des sorties mensuelles pour Fly ou City Hunter). Un tel choix pouvait d’ailleurs laisser entendre que les éditeurs ne croyaient pas en la pérennité de la « vague manga », et cherchaient ainsi à en profiter au plus vite, pendant qu’elle durait.

Bien sûr, au vu de l’importance que le manga a pu prendre sur le marché, une telle urgence n’est plus de mise aujourd’hui. Néanmoins, ce rythme de publication est désormais la norme, au point que les fans considèrent comme un mauvais signe toute déviation de l’éditeur qui ne serait justifiée par la publication japonaise – et, par un désengagement massif, remettent en question la pérennité commerciale du titre. Sans aucun doute, les éditeurs payent ici les erreurs du passé, et les annulations sauvages d’un certain nombre de séries. D’une certaine manière, la régularité des sorties devient ainsi un gage de confiance entre éditeur et consommateur.

Pour autant, ce rythme bimestriel présente un certain nombre d’inconvénients.

Tout d’abord, il est nettement plus élevé que le rythme de publication japonais (qui est, au mieux, trimestriel), et amène ainsi plus ou moins rapidement à une situation de « pénurie » lorsque l’on rattrape la publication japonaise. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit en 2011 pour Naruto (Kishimoto Masashi, Kana), qui est passé de six sorties annuelles (voire même sept pour l’année 2007) à trois, enregistrant mécaniquement une baisse de ses ventes d’un tiers.[11]

Cette stratégie paraît encore moins adaptée dans le cas de séries plus courtes, puisqu’elle ne permet pas à l’éditeur de capitaliser dans le temps sur son éventuel succès. Le cas de Death Note (Ohba Tsugumi & Obata Takeshi, Kana) est en cela exemplaire : l’un des derniers grands succès shônen, ses douze volumes ont été publiés entre janvier 2007 et décembre 2008.

Enfin, reste la question d’une approche éditoriale plus large, qui viserait à construire un lectorat capable de se porter vers d’autres titres du catalogue. Dans un système de flux aussi intensif, une telle approche semble difficile à mettre en place.

Cependant, les éditeurs y trouvent leur compte, en particulier du point de vue économique. Il va sans dire que dans le cas d’un succès, les sorties rapprochées assurent des ventes soutenues, auxquelles se rajoute la dynamique d’installation qui voit le recrutement de nouveaux lecteurs désireux de rattraper leur retard.

Pour autant, comme on le verra plus loin, les séries à succès sont finalement peu nombreuses sur le segment, et un rythme de publication soutenu permet à un éditeur d’écouler rapidement les derniers tomes d’un titre qui battrait de l’aile, tout en s’acquittant de ses obligations contractuelles avec les éditeurs japonais. Les sorties « couplées » de deux volumes de Gintama (Sorachi Hideaki, Kana) ou Dr. Kôto (Yamada Takatoshi, Kana) relèvent de cette approche, en accéléré.

Dans le cas d’un best-seller, la stratégie de plus en plus souvent adoptée est celle du repackaging[12], qui présente l’avantage de s’adapter à un réseau de vente largement tourné vers la nouveauté en créant une nouvelle référence. Dragon Ball (Toriyama Akira, Glénat) en est l’illustration parfaite, réussissant à continuer à exister en librairie grâce à une succession d’éditions et de rééditions : la première édition (1993 à 2000), l’édition intégrale (2001 à 2004), l’édition de luxe (2003 à 2008), et enfin la « perfect édition » (2009 à 2012, en cours).

 

Saisonnalité

Sans surprise, on retrouve dans la saisonnalité des deux segments principaux l’influence de ces modèles éditoriaux spécifiques, qui s’exprime dans des différences structurelles importantes.

Ainsi, comme attendu sur un marché de « flux », le segment du manga montre une saisonnalité assez peu marquée, tant au niveau des sorties qu’au niveau des ventes. L’impact de Noël en fin d’année est visible, mais contrebalance simplement le « creux » sans doute lié à la rentrée scolaire que l’on observe sur septembre-octobre.

Par ailleurs, malgré son importance croissante au fil des ans,[13] la grand-messe de Japan Expo début juillet ne semble pas avoir d’impact notable, qu’il s’agisse des sorties ou des ventes[14]. Dans le détail, on constate un « effet d’opportunité » qui voit les sorties de la période juin-juillet plus ramassées autour des dates de Japan Expo, mais dont l’influence reste marginale par rapport au roulement régulier qu’instaure un système basé sur une périodicité bimestrielle.

Saisonnalité – Segment manga[15]

Source: IPSOS MediaCT (ventes), Gilles Ratier/ACBD (sorties)

Au contraire, le segment des albums révèle une saisonnalité très marquée, dans laquelle la période de Noël est prépondérante. On notera la montée en puissance du nombre de sorties sur la période septembre-novembre, qui s’effondre ensuite en décembre (date à laquelle les mises en rayon pour Noël sont déjà entérinées). Les seuls mois de novembre et décembre représentent un tiers des ventes annuelles, et mettent en lumière un marché dans lequel les achats de Noël jouent un rôle important.

Rappelons que livres et bandes dessinées sont des habitués du Sapin de Noël : ainsi, selon la 14ème enquête du cabinet Deloitte sur les dépenses de Noël des Européens,[16] le livre arrive en deuxième place des cadeaux préférés (42 %), derrière l’argent (43 %) et devant les chèques-cadeaux (34 %). Du fait de cette saisonnalité, on assiste à un embouteillage marqué en librairie sur la période qui va du 20 août à début décembre – période qui cumule près de 60 % des tirages supérieurs à 75 000 exemplaires sortis dans l’année.

Une situation qui n’est pas sans inquiéter les éditeurs, craignant certainement une cannibalisation de ces titres entre eux. Livres-Hebdo indique d’ailleurs que « serpent de mer du secteur, la concentration et l’embouteillage de gros tirages au second semestre continuent cependant de préoccuper les éditeurs sans qu’aucune solution satisfaisante ne soit trouvée pour rééquilibrer l’année en faveur du premier semestre. »[17]

Saisonnalité – Segment albums[18]

Source: IPSOS MediaCT (ventes), Gilles Ratier/ACBD (sorties)

 

Diffusion/Distribution

L’analyse des réseaux de distribution fait apparaître un désengagement très net de la grande distribution à partir de 2008, et montre une légère perte de terrain des librairies par rapport à des grandes surfaces spécialisées (GSS) qui maintiennent leur activité. Entre 2005 et 2011, la part de la grande distribution est passée d’un tiers à tout juste un quart des ventes en volume (hors Internet). Comme l’indiquait Livres Hebdo dans un article intitulé « L’hyper ne fait plus le fier »[19], cette évolution s’inscrit dans un contexte d’essoufflement du modèle de l’hyper, face auquel « les enseignes ont dégainé leur arme traditionnelle et ont fortement réduit linéaires, référencement et stocks ».

De par son fonctionnement, le réseau de la grande distribution joue un rôle d’amplificateur en se concentrant sur un faible nombre de références, mais en privilégiant les plus vendeuses du marché. Si ce réseau réagit positivement au succès, il est également impitoyable lorsque les performances commencent à battre de l’aile.[20])

On peut ainsi noter comment la grande distribution a accompagné l’installation du manga (avec un investissement grandissant sur la période 2005-2008), avant de reprendre de la distance une fois que le segment a commencé à monter des signes de saturation. Néanmoins, elle reste le premier réseau de vente pour la série Naruto (représentant en 2011 plus de 40 % du volume, contre 26 % pour le reste du segment manga), confirmant ainsi un positionnement sur les best-sellers.

A l’inverse, et sans surprise, les œuvres « d’auteur » réalisent une part tout à fait marginale de leurs ventes dans la grande distribution. La série Quai d’Orsay de Christophe Blain et Abel Lanzac (Dargaud) a ainsi vendu deux fois plus d’exemplaires via Internet que dans la grande distribution – la large majorité de ses ventes se partageant entre les grandes surfaces spécialisées (48 %) et les librairies (39 %).

L’impact de cette évolution à la baisse de la grande distribution est immédiat sur le domaine de la bande dessinée « familiale », qui y trouvait là son principal débouché : ainsi, la série Boule et Bill de Roba voyait plus de la moitié de ses ventes se réaliser dans ce réseau, et l’on peut directement imputer au seul désengagement de la grande distribution la perte de 20 % du nombre d’exemplaires vendus par la série entre 2006 et 2011.

Pour les grandes séries franco-belges comme Blake et Mortimer, XIII ou encore Largo Winch, le même phénomène est à l’œuvre depuis 2006, mais se voit atténué par une moindre dépendance à la grande distribution pour leurs ventes (de l’ordre de 33 % à 40 %, en fonction des séries).

Volume (en milliers) par circuit de distribution

Marché global

Segment des albums

Segment du manga

Boule et Bill

Source : IPSOS MediaCT

Distribution et informatisation

Au cours des dernières années, l’informatisation massive des points de vente a généré des modifications profondes dans la gestion des commandes, avec des conséquences fortes sur l’évolution du marché. Bénéficiant désormais d’un historique précis des ventes d’une série, les libraires se sont mis à ajuster leurs commandes en fonction de la performance du dernier opus (généralement sur la base des ventes à 12 semaines), initiant de facto une spirale baissière.

Par ailleurs, la centralisation des achats pour certains groupes (portant à la Fnac sur les 1 500 titres qui « tournent le plus ») a non seulement entraîné une réduction du nombre de références, mais surtout opéré une industrialisation du principe du « coup de cœur », jouant le rôle d’amplificateur du succès de certains titres[21], au détriment de la diversité des découvertes.

Part des ventes en ligne

Assez naturellement, l’importance des ventes par Internet s’est renforcée au cours des dernières années. Partant d’un maigre 2 % du marché en 2005, elles représentent en 2011 plus d’un dixième des ventes totales.

Part des ventes en ligne depuis 2005 / Sources : GfK, IPSOS Media CT

Notons que dans les chiffres que nous analysons dans ce document, les Top 50 annuels de Livres Hebdo pour 2010 et 2011 (basés sur des chiffres IPSOS MediaCT) en particulier intègrent les ventes en ligne, à la différence de ceux des années précédentes. Du fait que la plupart des évolutions que nous avons observé sur le marché sont à la baisse malgré ce changement de périmètre, nous n’avons pas jugé utile de rappeler ce détail à chaque occurrence. Nous prions nos lecteurs de bien vouloir garder cet élément en tête pour la suite.

 

Concentration

Sur la période 2000-2011, les tops annuels publiés par Livres Hebdo/IPSOS MediaCT mettent en lumière un tassement très net des ventes des meilleurs albums. En excluant les mangas de cette analyse, on constate que le poids des cinq premiers titres sur l’ensemble du marché a été divisé par deux entre le début des années 2000 (8,4 % des ventes globales en moyenne) et ces trois dernières années (4,2 % des ventes globales).

De manière générale, on observe que c’est l’ensemble des meilleures ventes qui perd régulièrement du terrain, peinant à atteindre les niveaux des années précédentes. Ainsi, la meilleure vente pour 2011 (Le jour du Mayflower, vingtième tome de la série XIII) aurait été seulement classée vingtième en 2001. Avec seulement deux titres passant péniblement la barre des 100 000 exemplaires, l’année 2011 apparaît véritablement comme une annus horribilis pour le marché français de la bande dessinée.

Structure des ventes en volume des top 30 annuels (hors manga)

 

Chaque bande horizontale correspond à 5 places. Source: Livres Hebdo/IPSOS MediaCT

De son côté, le segment du manga se montre concentré sur un petit nombre de séries, qui génèrent une part très conséquente des ventes. Ainsi, les trois premières séries (Naruto, One Piece et Fairy Tail) contrôlent un quart du marché à elles seules ces trois dernières années. De manière générale, c’est le manga shônen (à destination d’un public adolescent et masculin) qui domine le marché et occupe les sept premières places des séries les plus vendues en France.

L’examen des nouvelles sorties pour l’année 2011 révèle une distribution des ventes « classique », où 25 % des titres réalisent 75 % des ventes. Contrairement à ce que les discours entourant le succès du manga en France pourraient laisser penser, le segment ne comporte que de rares gros vendeurs et présente des disparités très importantes en termes de ventes. Ainsi, sur un peu plus de 1 600 nouveautés en 2011, un tiers s’inscrivait en dessous des 1 000 exemplaires vendus, un tiers vendait entre 1 000 et 2 000 exemplaires, et seul un sixième des sorties dépassaient les 5 000 exemplaires vendus.

Les meilleurs lancements se recrutent à nouveau au sein des publications shônen, et on constate que le marché présente un « plafond de verre » pour les séries shôjo (à destination des lectrices adolescentes) qui culminent autour de 6 500 exemplaires. On notera enfin que la période correspondant à Japan Expo (qui se tenait en 2011 du 30 juin au 3 juillet) n’apparaît pas comme particulièrement privilégiée, que ce soit en termes de sorties ou de succès, d’autres périodes comme le premier trimestre ou la rentrée scolaire se montrant aussi encombrées ou propices.

Répartition des ventes (en milliers) des nouveautés manga pour 2011

Source: GfK

 Performance des nouvelles séries par genre pour l’année 2011

Ventes en milliers / Source: GfK

 

Erosion

Les séries « classiques »

Quelle que soit l’explication que l’on invoque (désengagement de la grande distribution, atténuation de l’effet du marketing[22], érosion du lectorat, lassitude des lecteurs), il est indéniable que les grandes séries franco-belges, qui constituaient hier l’essentiel des meilleures ventes et soutenaient la santé du marché de la bande dessinée, connaissent depuis quelques années un fléchissement notable de leurs ventes.

Le graphe ci-dessous met en évidence une évolution comparable pour un certain nombre de grandes séries, qui voient pour la plupart leurs ventes divisées par deux en l’espace de cinq volumes. L’érosion moyenne y est figurée par la courbe rouge en trait continu, et en traits pointillés le faisceau correspondant à un écart-type[23] autour de cette valeur (couvrant 68 % des données selon la règle empirique). Soulignons la petite valeur de l’écart-type, de l’ordre de 10 points, soit un coefficient de variation de 18 %, ce qui indique une faible dispersion des données.

Ventes des nouvelles sorties au 31 décembre[24]

Ventes ramenées à un indice 100 pour le volume le plus ancien. Source: IPSOS MediaCT

La mise en regard des tirages initiaux de ces mêmes nouveautés fait apparaître une évolution sensiblement différente, dans laquelle l’ajustement est décalé dans le temps, et dans des proportions moins marquées que les ventes. Ainsi, ce n’est que pour l’année 2010 (donc au sixième volume) que les tirages affichent un recul de 20 % en moyenne, alors que les ventes passent en-deçà de ce seuil dès le second volume.

En réalité, l’objectif demeure d’assurer une large présence en magasin, quitte à imprimer trop — une vente « manquée » aujourd’hui ayant peu de chance d’être rattrapée à l’avenir. Ainsi, interrogé par Livres Hebdo, Benoît Frappat (directeur commercial chez Soleil« constate surtout une hausse des retours, car les mises en place restent bonnes. »[25] Par ailleurs, dans un contexte de crise, l’annonce de la réduction du tirage initial pourrait être interprétée comme un mauvais signe, entraînant une perte de confiance des acteurs de la chaîne de distribution/diffusion et, par un processus de prédiction auto-réalisatrice, une forte diminution des ventes.

Ainsi, l’importance du tirage d’un ouvrage devient désormais une force commerciale (réelle ou psychologique), et non plus l’expression « raisonnable » d’un véritable potentiel de vente.

Tirages initiaux des nouvelles sorties

Tirages ramenés à un indice 100 pour le volume le plus ancien. Source: Gilles Ratier/ACBD

 

Les ventes du fonds

La situation des ventes du fonds (i.e., des anciens titres des séries) apparaît comme plus complexe à évaluer, car impactée de manière diverse par les sorties de l’année et des années précédentes. On observe d’ailleurs une dispersion plus marquée des performances, même si une tendance globale d’érosion se dégage de l’ensemble des séries observées[26].

Ventes du fonds (indice 100 en 2005)

Source: IPSOS Media CT

Quelques séries font montre de dynamiques différentes, qui trouvent leur explication au niveau de particularités éditoriales. Ainsi, l’évolution des ventes de la série Les Profs (qui progressent avant de « rentrer dans le rang » et s’éroder fortement) sont certainement à mettre sur le compte de dynamiques d’installation – malgré ses 14 volumes, il s’agit en effet de la série la plus récente de notre sélection (puisqu’elle date de 2000). De plus, elle bénéficie en 2005 d’une double sortie dans l’année (tomes 7 et 8), qui contribuent logiquement à des ventes du fonds accrues les années suivantes.

De même, l’évolution en forte augmentation des ventes de XIII sur les années 2007-2008 est liée d’une part à la conclusion de la série[27] (événement exceptionnel encourageant les lecteurs à compléter leur collection), et d’autre part par la double sortie de l’année 2007.

Enfin, ces évolutions sont également fortement influencées par les opérations commerciales de la part des éditeurs. En cela, le cas de la série Largo Winch est emblématique : en 2008, à l’occasion de la sortie du premier film tiré de la bande dessinée de Jean Van Hamme et Philippe Francq, Dupuis a procédé à la sortie de « fourreaux »[28] regroupant les différents diptyques qui constituent la série – une relative nouveauté, puisque les précédents « fourreaux » remontaient à 1999. L’opération visait clairement au recrutement de nouveaux lecteurs, les deux premiers diptyques étant proposés à un prix très attractif[29] (10,40€ les deux volumes, contre 20,80€ pour les diptyques suivants).

Combinée à l’exposition apportée par la sortie du film, cette injection importante de produits Largo Winch a redynamisé les ventes du fonds, et contrecarré sur la période 2008-2009 le phénomène d’érosion mis en évidence plus haut. Cependant, on notera une évolution 2009-2011 en léger retrait, marquant un retour à la normale.

 

Dynamiques du manga

Phénomène marquant en 2011, après avoir rattrapé la publication japonaise, Naruto connait un ralentissement fort de ses ventes (-30 %) avec seulement trois nouvelles sorties (contre six annuelles précédemment) et enregistre sa quatrième année consécutive à la baisse.

Cette évolution met en évidence les dynamiques d’installation qui sont liées à la forte périodicité du manga. En effet, si ce format de publication génère rapidement des volumes conséquents, le recrutement ultérieur de nouveaux lecteurs vient soutenir la croissance, le temps de rattraper la publication en cours. Une fois la période d’installation passée (période à forte croissance), les séries longues adoptent un rythme de croisière et voient leurs ventes se limiter de plus en plus aux seules nouvelles sorties. L’ensemble du lectorat potentiel a été atteint, et consomme désormais au rythme de parution.

Comme on peut l’observer sur le graphe des ventes par année, la phase d’installation de la série Naruto est terminée, et la part de « rattrapage » (située au-dessus de la courbe rouge des ventes des nouveautés de l’année, stabilisée sur la période 2007-2010) ne cesse de diminuer d’une année sur l’autre. Sous l’influence combinée de ces deux facteurs (réductions des nouvelles sorties et fin de la phase d’installation), Naruto a vu ses ventes divisées par deux en l’espace de cinq ans.

A l’inverse, One Piece reprend son expansion, soutenue à la fois par la diffusion du dessin animé qui en est tiré (sur Direct Star et MCM) mais également par le début d’un nouvel arc narratif.

Contribution aux ventes en volume (en milliers) de la série Naruto, en fonction de l’année de sortie des volumes

 

La courbe rouge indique les ventes des nouveautés de l’année correspondante. Source: IPSOS MediaCT

A ces dynamiques propres à l’installation de la série, il faut en rajouter une autre liée au caractère de feuilleton de la plupart des séries manga : son avantage principal, soit une forte fidélisation du lecteur, en est également le point faible, puisque chaque nouvel épisode est l’occasion d’une érosion de ce lectorat, un phénomène qui peut prendre des proportions conséquentes sur la durée.

L’examen des 59 séries débutées en 2011 et comptant au moins quatre volumes publiés dans l’année met en évidence un modèle d’érosion commun à une large majorité des titres, et qui est assez proche de ce que nous avions pu mettre en lumière sur les données du marché américain en juin 2010[30]. Sur notre graphique, l’érosion moyenne est figurée par la courbe rouge en trait continu, alors que sont indiqués en traits pointillés les faisceaux correspondant à un écart-type et deux écarts-types autour de cette valeur (couvrant respectivement 68 % et 95 % des données, selon la règle empirique). Soulignons la faible valeur de l’écart-type, de l’ordre de 10 points, soit un coefficient de variation de 18 %.

A l’érosion forte des premiers volumes (le volume 4 réalisant déjà à peine la moitié de la performance du volume 1) succède un tassement beaucoup plus progressif des ventes, la série fonctionnant alors en régime établi. Ainsi, alors que notre modèle met en évidence une érosion de 27 % dès le second volume, il faut pour la série Naruto en vitesse de croisière l’espace de pas moins de 25 volumes (entre le volume 15 et le volume 40) pour connaître une érosion comparable.

Pour autant, on constate que l’ensemble des titres sortis sur une année bénéficient généralement tous d’un tirage identique. Les éditeurs n’ignorent pas ce facteur structurel du segment, mais préfèrent souvent prendre un risque calculé, en particulier sur les débuts de série : si l’érosion est présente même lors d’une sortie simultanée des deux premiers tomes, l’avantage procuré par une visibilité accrue en linéaire et l’assurance de ne pas manquer de ventes dans l’éventualité d’un succès priment sur la perspective de pertes liées aux invendus. Ainsi, la plupart des éditeurs fonctionnent sur un mode adaptatif, dans lequel les tirages sont ajustés a posteriori (à la baisse, mais aussi à la hausse) en fonction de la performance des titres.

Erosion des ventes pour les séries manga de plus de 4 volumes (59 nouveautés 2011)

Indice 100 pour les ventes du premier volume. Source: GfK

Dans un tel contexte, et pour les grands groupes devenus extrêmement dépendants du manga pour leurs revenus, lancer de nouvelles séries devient une nécessité. D’une part, les dynamiques d’érosion ne permettent pas de se satisfaire de la seule exploitation des séries déjà établies (et de plus exposées au risque du ralentissement en cas de rattrapage de la publication japonaise), et encouragent la recherche de sang neuf. D’autre part, ces mêmes dynamiques d’érosion favorisent les « numéros 1 » au détriment des volumes suivants. Cette situation n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle du marché américain au début des années 90, lorsque la spéculation des collectionneurs avait occasionné une multiplication des « numéros 1 » (et des couvertures alternatives) de la part des éditeurs, Marvel en particulier.

A moyen terme cependant, se pose la question du « réservoir » de nouveautés encore disponibles auprès des éditeurs japonais. Interrogé par Livres Hebdo en 2010, Guy Delcourt reconnaissait d’ailleurs une certaine fébrilité « même au Japon, où il n’y a pas tellement de nouvelles locomotives »[31]. Il n’est d’ailleurs pas très rassurant de constater que les séries réalisant les meilleures ventes dans l’archipel sont, à peu de chose près, les mêmes que l’on retrouve déjà dans les tops français…

 

Production

Après avoir culminé en 2007 à 34 millions d’exemplaires (selon IPSOS MediaCT), le marché de la bande dessinée a montré un tassement et est revenu au niveau du début des années 2000. L’observation des deux segments principaux montre des ventes d’albums en net recul, compensées un temps par l’installation du manga. Cependant, ce dernier marque le pas depuis un pic en 2008, entrainant la stagnation du marché sur ces dernières années.

Evolution du nombre de sorties (cumulé / par segment)

Sources: Gilles Ratier/ACBD (sorties), IPSOS MediaCT (ventes, en millions d’exemplaires)

Evolution des ventes en volume (cumulé / par segment)

 

Dans un tel contexte, il est frappant de noter combien le nombre de sorties annuelles s’est envolé, se trouvant multiplié par trois entre 2001 et 2011. Cependant, considérer l’évolution de la production soulève un certain nombre de points méthodologiques : d’une part, la création ou l’arrivée de nouveaux éditeurs sur le marché de la bande dessinée génère une situation de périmètre variable ; d’autre part, les formats éditoriaux divers (comme exposé plus haut) entraînent des volumes de productions différents mais également destinés à des fonctionnements commerciaux distincts et qui demandent donc à être analysés séparément.

Concernant les nouveautés, les deux segments présentent des évolutions très contrastées. Le segment des albums fait état sur les douze dernières années d’une progression remarquablement linéaire, le nombre de ses sorties augmentant chaque année d’environ 140 titres. Par ailleurs, le segment du manga montre une forte augmentation (de l’ordre de +36 % annuels) du nombre de ses sorties jusqu’en 2006, date à laquelle la production s’est stabilisée autour de 1 500 nouveautés annuelles.

Nombre de nouveautés par segment

 

Source: Gilles Ratier/ACBD

On retrouve dans ces différences d’évolution l’expression des deux modèles éditoriaux. Pour les albums, le rythme de sortie annuel voit (théoriquement) les nouveautés se reporter à l’identique l’année suivante, entraînant une évolution linéaire. Sur le segment du manga, l’installation de nouvelles séries se double de l’arrivée de nouveaux entrants majeurs[32] sur la période 2003-2006, d’où une multiplication des sorties et une progression géométrique.

Cette évolution va être progressivement tempérée d’une part par l’arrivée à terme (naturel ou anticipé) des séries lancées précédemment, d’autre part par le ralentissement de la parution des séries ayant rattrapé la publication japonaise. L’apparente autorégulation du segment que l’on observe aujourd’hui est également soutenue par un élément économique important au niveau des plus grands éditeurs : en effet, afin de continuer à bénéficier des mêmes prix avantageux, ceux-ci se voient obligés de maintenir une production stable … en tonnage de papier. En effet, en cas de réduction de ce volume (physique), les conditions commerciales à l’achat de cette matière première deviendraient moins intéressantes, avec un impact immédiat sur la rentabilité de l’entreprise.

Nombre de nouvelles séries et de séries terminées sur le segment du manga

Source: Bilans Mangaverse et comptage du9

Malgré l’augmentation notable du nombre d’éditeurs (qui a presque doublé en dix ans), on constate que pour ce qui est des nouveautés, le poids des entités qui constituent aujourd’hui les quatre principaux groupes d’édition (Média-Participations, Glénat, Delcourt et Flammarion) n’a pas beaucoup varié depuis 2006, s’établissant pour les deux segments autour d’une position moyenne de 42 %.

Face à l’érosion des grandes séries classiques sur lesquelles ils avaient construit leur assise, les principaux groupes d’édition ont donc réagi en augmentant le nombre de sorties, en espérant ainsi compenser ces ventes défaillantes. L’examen détaillé de la performance de chacun de ces groupes (cf. plus bas) met en évidence une sorte de spirale infernale : plus forte est la baisse des ventes, et plus importante est l’augmentation de la production.

Deux phénomènes structurels ont accompagné et facilité cette dynamique de « course en avant ». Tout d’abord, la professionnalisation des éditeurs et des directeurs de collection a entériné le besoin d’alimenter, bon an mal an, un catalogue. Cette dérive inflationniste a de plus été soutenue et amplifiée par la fluidification progressive de la chaîne de production (communication par mail, auteurs réalisant eux-mêmes leurs scans, les processus « CtP » en imprimerie). Là où les journaux de prépublication instauraient de facto une limite du fait de leur pagination, le déplacement du marché de la bande dessinée sur le vecteur « livre » a supprimé toute notion de modération.

Nombre d’éditeurs actifs

Source: Gilles Ratier/ACBD

Part des quatre principaux groupes d’édition dans les nouveautés

Source: Gilles Ratier/ACBD

Roman graphique

En l’espace de sept ans, le segment du « roman graphique »[33] a subi une mutation profonde, et se retrouve aujourd’hui particulièrement encombré. Ainsi, depuis 2004, le nombre de sorties annuelles a été quasiment multiplié par trois, passant d’environ 150 à plus de 500 titres en 2010. Sur cette période, les « indépendants historiques »[34] ont maintenu une production constante adaptée à la (petite) taille de leurs structures et privilégiant le « travail » du livre, qui représente autour de 110 titres annuels. Des structures comparables, que nous désignerons par les « nouveaux alternatifs »[35] (à défaut d’une meilleure appellation) sont apparues et/ou ont développé leur offre pour représenter dès 2008 une production comparable en termes de nombre de titres. Mais surtout, on note une arrivée massive des grands éditeurs, par le biais de collections spécifiques[36] (et, pour certaines, dirigées par des auteurs issus des « indépendants historiques », comme c’est le cas pour la collection Shampooing chez Delcourt, dirigée par Lewis Trondheim, ainsi que la collection Bayou chez Gallimard Jeunesse, sous la houlette de Joann Sfar), qui représentent aujourd’hui la moitié de la production du segment.

L’évolution en forte hausse de ce segment a eu deux conséquences. D’une part, le déplacement de l’attention d’une certaine partie des prescripteurs, délaissant les séries « classiques » au profit d’un roman graphique plus valorisé culturellement. D’autre part, un certain affaiblissement de la position des « indépendants historiques », qui ont dû faire face à cette concurrence accrue (et, pour le lecteur, formellement indifférenciée), en particulier au sein de la librairie généraliste qu’ils avaient réussi à « défricher » et investir. Comme le résumait Morvandiau dans Le Monde Diplomatique :

« L’industrie de la bande dessinée ne met que peu de temps à reprendre à son compte les formes défrichées par d’autres, à s’adjoindre une partie des auteurs apparus dans cette mouvance, et (re)gagne ainsi en légitimité en apparaissant dans les médias censément prescripteurs. Malgré le succès mondial d’un Persépolis, la stratégie de récupération mise en œuvre par les éditeurs commerciaux et les groupes qui les contrôlent tend donc à dissimuler la singularité de ceux qui défendent, avant tout, une démarche artistique. »[37]

Sorties annuelles sur le segment du « Roman Graphique »

 

Source: Gilles Ratier/ACBD et comptage du9

 

Patrimoine

Confronté à l’érosion des ventes des grandes séries franco-belges, les éditeurs se sont engagés dans des programmes souvent soutenus de revalorisation de leurs catalogues, par le biais d’intégrales[38]. Comme exposé par Martin Zeller (alors responsable des intégrales chez Dupuis), l’approche a de multiples avantages :

  • tout d’abord, au même titre que le « repackaging », l’intégrale crée une nouvelle référence, ce qui réinjecte dans le circuit de distribution des albums qui l’avaient peut-être quitté – et leur permet de bénéficier de l’exposition et de la mise en avant accordées aux nouveautés ;
  • ensuite, l’intégrale d’une série connue est un produit qui représente relativement peu de risques, même si (et c’en est la contrepartie) son succès est généralement moins fulgurant (et donc au final, rentable) que dans le cas d’une réelle nouveauté ;
  • enfin, ces intégrales sont également (et parfois surtout) l’occasion d’une approche patrimoniale, tant dans la constitution des volumes mêmes (choix des séries, appareil critique) que dans la préservation du catalogue par le biais de sa numérisation (opération coûteuse mais nécessaire).

Cependant, il est peu probable que ces intégrales aillent dans un premier temps conquérir de nouveaux lecteurs : cette approche s’appuie principalement sur la nostalgie et l’attachement de certains lecteurs aux « grands classiques ». Du fait de la richesse de son catalogue historique (basé sur le Journal de Spirou), Dupuis s’est d’ailleurs montré l’un des éditeurs les plus actifs sur cette approche, au point de sortir chaque année autant de rééditions que de nouveautés depuis 2008.

A l’inverse, le succès du manga s’est construit principalement sur des publications shônen et shôjo récentes. Par conséquent, l’approche patrimoniale ne correspond pas à une revalorisation d’un existant, mais bien à une création éditoriale. On constate d’ailleurs que l’édition d’œuvres ressortant du patrimoine japonais reste encore largement minoritaire au sein de la production. Les collections dédiées sont rares (« Vintage » chez Glénat, « Classic » chez Taifu ou encore « Sensei » chez Kana, auxquelles il faut rajouter la collection « Tezuka » chez Asuka[39]), et les auteurs abordés peu nombreux.

En fait, on constate que la découverte de certains auteurs du patrimoine relève souvent de la capitalisation d’un éditeur sur une « marque » recueillant accueil critique et performance commerciale, comme Taniguchi Jirô (partagé entre écritures et Sakka chez Casterman) ou Hirata Hiroshi (chez Delcourt).

Chez Kana, la collection « Sensei » (« La collection des grands maîtres du manga ») est assez emblématique dans sa manière d’aborder la problématique du patrimoine. Tout d’abord, son catalogue voit les « grands maîtres du manga » réduits à la portion congrue : 38 volumes publiés, pour sept auteurs[40] en tout et pour tout, et surtout une domination écrasante de la figure désormais médiatique de Kamimura Kazuo, qui représente plus d’un tiers des volumes sortis depuis la création de la collection fin 2007 (13 sur 37), mais surtout 8 titres sur les 13 sortis sur la période septembre 2009-janvier 2011.

Par ailleurs, cette collection est composée essentiellement de formats « courts », principalement trilogies et tétralogies, assorties de quelques one-shots[41]. Vu les faibles volumes que rencontrent généralement ce genre de publication, le choix d’un tel format permet d’éviter des érosions trop fortes sur la durée, et pourrait même encourager la complétion d’une série entamée : un lecteur sera en effet plus enclin à « terminer » une trilogie lorsqu’il lui manque le dernier tome, que d’investir dans le troisième volume d’une série qui en compterait une dizaine d’autres à suivre. Sachant que ces publications suivent le modèle d’érosion évoqué plus haut, il est d’ailleurs (financièrement) plus intéressant de sortir quatre gros volumes de 1 500 pages à 29€, que douze volumes de 500 pages à 12,50€.

 

La question de la surproduction

C’est, semble-t-il, l’une des caractéristiques de l’évolution moderne des industries culturelles : l’augmentation forte (exponentielle, même) du nombre d’œuvres disponibles, quel que soit le domaine. Du côté de la bande dessinée, ces dernières années, on a souvent évoqué la question de la surproduction, la plupart du temps pour la désigner comme seule responsable de la situation actuelle du marché[42]. Indicateur de vitalité pour certains, et signe annonciateur de l’Apocalypse pour d’autres, le comptage annuel de Gilles Ratier servait de résumé un peu rapide à une situation complexe.

A ce stade, il paraît important de rappeler que les 5 327 livres de bande dessinée répertoriés par Gilles Ratier pour la seule année 2011 sont loin d’être égaux entre eux. Non seulement il existe des disparités importantes au niveau des tirages des ouvrages, mais également, les diffuseurs avec qui travaillent les « petits » éditeurs[43] n’ont pas le même poids, ni la même couverture que les structures dédiées mises en place par les grands groupes.[44] Il en résulte que la charge « effective » des nouveautés sur les réseaux de distribution (et donc sa contribution supposée à la surproduction) est sans commune mesure entre les productions des petits éditeurs (avec généralement des tirages modestes) et celles des plus grands.

Afin d’illustrer cet état de fait, prenons un exemple très simplifié de la situation. Si 50 micro-éditeurs publient chacun trois livres, tirés à 1 000 exemplaires (ce qui n’est pas irréaliste), cela représente une « charge » pour la distribution de 150 000 ouvrages. Si l’on considère par ailleurs Flammarion (sixième groupe d’édition au nombre de sorties selon Gilles Ratier), ses 150 nouveautés tirées à 10 000 exemplaires en moyenne (pour faire une côte mal taillée) représentent pour l’année une « charge » de 1,5 million d’ouvrages. On voit tout de suite comment, à volume de sorties égal (150 nouveautés dans chaque cas), la « charge » sur le réseau de distribution/commercialisation, soit la fameuse « surproduction », n’a strictement rien à voir entre les petits éditeurs et les gros. Dans cet exemple un peu caricatural, les micros éditeurs représentent 50 % des sorties (ce qui est énorme), mais tout juste 9 % des exemplaires présents en rayon.

Dans la réalité, on constate de plus que la plupart des libraires ne travaillent qu’avec une partie des diffuseurs, limitant par là-même l’étendue de l’offre qu’ils doivent accueillir dans leurs rayons. Afin de pouvoir juger de l’éventuelle surproduction, il faudrait donc pouvoir disposer d’indications portant sur la « distribution numérique » (DN), quantité qui mesure pour chaque produit à quelle part du réseau de diffusion il a accès.[45]

En l’absence d’une telle information, les renseignements pris sur le terrain indiquent que comme on peut s’y attendre (et en dehors de quelques libraires « militants »), ce sont généralement les « petits » diffuseurs que l’on écarte, au profit des diffuseurs rattachés aux grands éditeurs qui, malgré un contexte global morose, continuent à générer la majeure partie des best-sellers et des ventes.

De fait, s’il y a « embouteillage » dans les rayons des librairies, il est plus à mettre au compte des grands éditeurs, qui s’adaptent au contexte de rotation accrue des titres[46] en augmentant leur présence dans le réseau de distribution afin d’en maximiser l’exposition. Certains vont même jusqu’à utiliser des « offices sauvages », en livrant aux libraires des livres qu’ils n’ont pas commandés pour leur forcer la main.

Voici ce qu’indique le Centre National du Livre au sujet des librairies en France[47] :

On compte plus de 100 000 références pour les plus grandes librairies, autour de 50 000 pour les moyennes, 5 000 à 20 000 pour les spécialisées (jeunesse, bande-dessinée, religion…) et 5 000 à 10 000 pour les plus petites.

On dénombre 100 000 références pour les plus grandes Fnac, de 15 000 à 50 000 références pour les autres Fnac ou les plus grands points de vente des autres Grandes Surfaces Spécialisées (GSS). On compte 20 000 à 30 000 références pour les autres chaînes : Espaces culturels Leclerc, Virgin, Cultura, Alsatia.

L’assortiment en hypermarchés est estimé à 5 000 références en moyenne. Il peut monter à 15 ou 20 000 références pour les plus grands. Le nombre des références en supermarchés est évalué entre 1 000 à 3 000 (meilleures ventes + poche).

Notes

  1. On notera cependant que ces boutiques embrassent une sorte de « culture manga », et proposent souvent des ouvrages ayant traits à des aspects aussi divers que la mode, la cuisine japonaise et les dessins animés.
  2. Cf. Christophe Evans & Françoise Gaudet, « La lecture de bandes dessinée », mars 2012, disponible en ligne
  3. Soit le chapitre consacré à la bande dessinée dans les études récurrentes concernant les Pratiques Culturelles des Français (conduites par le Ministère de la Culture et de la Communication en 1973, 1981, 1988, 1997 et 2008), auxquels il faut rajouter deux études réalisées par l’IFOP pour le compte du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême : Qui a peur de la bande dessinée ? (IFOP, 1994) et La BD et les Français : comportements et attitudes (IFOP, 2000).
  4. Dont l’ensemble des résultats est consultable à l’adresse http ://www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr/
  5. En prenant en compte la pyramide des âges de la population française, nous estimons à 25 % la part des lecteurs actifs de bande dessinée (i.e., ayant lu des bandes dessinées durant les derniers mois) parmi les Français de plus de 15 ans. Soit effectivement un nouveau recul par rapport aux chiffres de l’enquête réalisée en 2008.
  6. Publications destinées aux adolescents masculins. Le système éditorial japonais utilise une large gamme de classification des lectorats : shônen donc, mais aussi shôjo (adolescentes), josei (jeunes femmes), seinen (adultes), etc.
  7. Disponible en ligne à l’adresse http ://archives.lesechos.fr/archives/2010/LesEchos/20690-105-ECH.htm
  8. Disponible en ligne à l’adresse http ://archives.lesechos.fr/archives/2011/LesEchos/20904-136-ECH.htm
  9. Disponible en ligne à l’adresse http ://www.copacel.fr/site/IMG/pdf/Bilan_economique_2010.pdf
  10. Publiées à raison d’une ou deux pages par semaines, les séries des hebdomadaires produisaient donc un à deux albums (d’une cinquantaine de pages) annuels.
  11. Notons ici que le cas de Naruto fait partie des scénarios les plus « favorables », puisqu’il s’agit d’une série publiée au Japon dans un hebdomadaire, et donc bénéficiant d’un rythme de sortie élevée en version originale. Pour un grand nombre de séries au rythme de parution plus lent, la transition est souvent beaucoup plus abrupte.
  12. L’éventail des approches en la matière est assez vaste, couvrant les « perfect editions » chez Glénat avec Dr Slump et Kenshin le vagabond, le phénomène des volumes doubles que l’on peut trouver chez Pika (Samouraï Deeper Kyo, GTO), Kurokawa (FullMetal Alchemist), Kana (Naruto), Taïfu (Tout sauf un ange ! dans le label Ototo), ou encore les versions « deluxe » chez Tonkam (Angel Sanctuary, Video Girl Ai, Bouddha).
  13. L’édition 2011 de Japan Expo avait attiré 192 000 personnes sur quatre jours (du 30 juin au 3 juillet) au parc des expositions de Paris-Nord Villepinte.
  14. Notons qu’il est probable que les chiffres collectés par IPSOS MediaCT ne couvrent pas les ventes réalisées sur le lieu de la manifestation.
  15. Les indications de saisonnalité des sorties du segment du manga sont absentes de l’édition 2011 du rapport annuel de Gilles Ratier. Par conséquent, nous nous sommes limités à considérer les sorties pour les années 2009 et 2010.
  16. Disponible en ligne à l’adresse http ://bit.ly/HEMlbU
  17. Dans « La fin de la bulle », Fabrice Piault et Anne-Laure Walter, Livres-Hebdo n°849 (21 janvier 2011), pp.71-76.
  18. Comme indiqué plus haut, les indications de saisonnalité des sorties du segment du manga sont absentes de l’édition 2011 du rapport annuel de Gilles Ratier, et ne nous permettent pas d’évaluer la saisonnalité des sorties du segment des albums. Par conséquent, nous nous sommes à nouveau limités à considérer les sorties pour les années 2009 et 2010.
  19. Cécile Charonnat, « L’hyper ne fait plus le fier », Livres Hebdo n°879, 30 septembre 2011.
  20. Soit en termes techniques : « A la recherche de l’optimisation maximale de la rentabilité, elles suppriment les plus faibles rotations et optent pour la massification. » (Livres Hebdo, ibid.
  21. Les performances de Blacksad, Quai d’Orsay ou encore La Planète des Sages sur la période 2010-2011 relevant certainement de cette dynamique.
  22. L’arrivée du marketing dans la promotion de la bande dessinée au début des années 2000 aurait eu une double conséquence : d’une part, une augmentation marquée des ventes des best-sellers, et d’autre part un assèchement de l’offre par focalisation sur les grosses marques. L’influence du marketing aurait depuis diminué, à la fois par adaptation du lectorat, mais également par l’adoption d’une position plus « raisonnable » de la part des éditeurs.
  23. L’écart-type est une mesure statistique de la dispersion d’un échantillon de données autour de sa moyenne. L’écart-type est la racine carrée de la variance, elle-même calculée comme la moyenne des carrés des écarts à la moyenne.
  24. Notons que le « pic » observé pour Lanfeust des Etoiles en 2008 (point N-2) est principalement dû à la sortie anticipée de ce volume (6 semaines avant la fin de l’année) par rapport aux volumes précédents (3 semaines avant la fin de l’année). De manière générale, nous avons pris en compte les fluctuations des dates de sortie des différents volumes dans le cadre de cette analyse.
  25. Rapporté in « La fin de la bulle », Fabrice Piault et Anne-Laure Walter, Livres-Hebdo n°849 (21 janvier 2011), pp.71-76.
  26. Le modèle indiqué sur le graphe est un modèle logarithmique, ajusté selon la méthode des moindres carrés. On notera que les ventes du fonds de la série Astérix montrent une évolution remarquablement similaire au modèle ainsi obtenu.
  27. Même si, depuis, la série a été reprise par le duo Yves Sente-Youri Jigounov avec un premier volume (Le jour du Mayflower) paru en 2011.
  28. La sortie du second film adapté (en 2011) sera accompagnée d’une vague similaire de réédition/repackaging, mais dont l’impact sur les ventes globales sera plus limité, du fait de la proximité temporelle de l’opération précédente.
  29. Notons que pour les ressorties des diptyques en 2011, la politique de prix était beaucoup moins agressive. Chacun des fourreaux était ainsi proposé à 22,00€ alors que les albums individuels étaient alors à 11,50€ – soit au final une simple décote d’un euro (réduction de 4 %).
  30. Voir « Vues Ephémères – juin 2010 », disponible en ligne à l’adresse http ://www.du9.org/Vues-Ephemeres-Juin-2010
  31. Rapporté in « Un virage très Net », Fabrice Piault et Anne-Laure Walter, Livres-Hebdo n°805 (22 janvier 2010), pp.67-73.
  32. Soit Asuka (depuis devenu Kazé), Taifu et Ki-oon en 2004, Kurokawa (appartenant au groupe Univers Poche) en 2005 et enfin Doki-Doki (label de Bamboo) en 2006. Fin 2006, la totalité des acteurs principaux du segment du manga sont en place.
  33. Appellation dérivée de l’anglais (« graphic novel »), qui recouvre aujourd’hui un concept qui reste un peu flou : pour certains lié à une ambition narrative (avec des récits qui chercheraient à s’approcher du roman, en particulier par le biais de thématiques liées au réel), et pour d’autres un format éditorial (avec des livres souvent en noir et blanc, et présentant une pagination élevée).
  34. Soit Atrabile, Cornélius, Drozophile, ego comme x, FRMK, Groinge, L’Association, Le Cycliste, Les Requins Marteaux, Mosquito, Rackham, 6 pieds sous terre, et Vertige Graphic.
  35. Soit Les 400 coups, Actes Sud, Beaulet, La Boîte à bulles, çà et là, Café Creed, Cambourakis, Des Ronds dans l’O, Diantre, FLBLB, IMHO, La 5e Couche, La Pastèque, L’An 2, L’Employé du moi, Les Enfants rouges, Les Impressions nouvelles, Les Rêveurs, Le Lézard noir, Mécanique générale, Sarbacane, Thierry Magnier, Warum.
  36. Soit Drugstore (Glénat), Ecritures (Casterman), feu Expresso (Dupuis), Futuropolis (Gallimard-Soleil), Bayou (Gallimard Jeunesse), KSTR (Casterman), Outsider (Glénat), Poisson Pilote (Dargaud), Quadrants (Soleil), Rivages noir (Casterman), Sakka (Casterman), et Shampooing (Delcourt).
  37. Morvandiau, « Les indépendants défendent leurs cases », Le Monde Diplomatique, janvier 2009. Disponible en ligne à l’adresse http ://www.monde-diplomatique.fr/2009/01/MORVANDIAU/16703
  38. On notera que l’approche patrimoniale ne se limite pas à la revalorisation d’un catalogue, et que nombre d’éditeurs vont chercher ailleurs que dans leurs anciennes publications pour éditer des œuvres indisponibles. Les motivations (et la qualité) sont par contre assez diverses. Certains effectuent un travail de restauration important pour publier des œuvres considérées comme indispensables (on pense au travail de l’Association sur Mattioli ou JC Forest, entre autres), alors que d’autres se contentent de traduire en français des collections étrangères où le meilleur (les Peanuts de Charles Schultz chez Dargaud, par exemple) côtoie le beaucoup moins bon (comme le Donald Duck de Carl Barks publié chez Glénat, et pourtant récompensé par un « Prix du Patrimoine » au dernier Festival d’Angoulême).
  39. Notons que les collections « Classic » chez Taifu et « Tezuka » chez Asuka/Kazé Manga ont été interrompues, en 2008 et 2007 respectivement.
  40. Soit Hanawa Kazuichi, Ishinomori Shôtarô, Kamimura Kazuo, Ôtomo Katsuhiro, Shirato Sampei, Tezuka Osamu et Urasawa Naoki – auxquels il faudrait rajouter Koike Kazuo, scénariste de Lady Snowblood, et Takadera Akihito, dessinateur de La garde du sultan.
  41. Depuis septembre 2009, la collection s’est ainsi enrichie de trois trilogies signées Kamimura Kazuo (Lorsque nous vivions ensembleFolles Passions et La Plaine du Kantô), deux tétralogies (Sabu & Ichi d’Ishinomori Shôtarô et Kamui-den de Shirato Sampei) et cinq one-shots (Hokusai et Kuzuryû d’Ishinomori, Histoires courtes d’Urasawa, La garde du Sultan de Takadera et Ôtomo et L’Apprentie Geisha de Kamimura). On compte aussi deux livres en forme de monographie : Ma vie manga de Tezuka Osamu, et Dans le Studio Ghibli – travailler en s’amusant.
  42. Avec des accents de « la surproduction, c’est les autres », où chaque éditeur jurait, la main sur le cœur, qu’il faisait des efforts alors que ses concurrents se montraient déraisonnables. Ainsi, début 2009, dans le dossier annuel de Livres-Hebdo, Philippe Ostermann (directeur général de Dargaud) semblait d’ailleurs effaré : « Je ne comprends même pas comment on peut sortir autant de livres. » On peut se demander s’il ne s’agissait pas d’un questionnement des plus personnels, puisqu’en l’espace de deux ans (de 2006 à 2008), la production de Dargaud venait d’augmenter de 50 %. Pour référence, sur la même période, le marché global comptabilisait seulement 15 % de titres en plus.
  43. Feu Le Comptoir des Indépendants, Makassar, La Diff, voire Harmonia Mundi et Belles Lettres Diffusion. Liste bien sûr non exhaustive.
  44. DDL Diffusion, Delsol, Glénat Diffusion, Flammarion Diffusion, pour ne citer que celle des quatre plus grands groupes d’édition de bande dessinée.
  45. Le pendant de la « distribution numérique », la « distribution en valeur » (DV) affine cette analyse en rapportant aux ventes globales les ventes réalisées par les points de ventes où le produit est disponible. Si la distribution numérique permet de juger de la visibilité d’un produit, la distribution en valeur permet de jauger de son positionnement sur les points de vente à fort potentiel.
  46. Que l’on peut constater dans la constitution des Top 50 annuels publiés par Livres Hebdo. Pour la période 2001-2004, environ 20 des 50 meilleures ventes ressortaient du fonds. Depuis 2007, on est tombé à 11 titres sortis avant l’année en cours au sein des 50 meilleures ventes, signe d’une prime accrue à la nouveauté.
  47. Disponible en ligne à l’adresse http ://www.centrenationaldulivre.fr/ ?Les-librairies-en-France
Dossier de en avril 2012