#TourDeMarché (3e saison)

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(note : cette rubrique reproduit sous forme d’article à fin d’archivage des fils thématiques publiés au départ sur les rézosociaux)

On reprend les bonnes habitudes : vendredi, c’est #TourDeMarché, et puisque la date de la conférence de presse du Festival d’Angoulême approche, on va s’intéresser aux Fauves et à leur impact. C’est parti !
Les Fauves, c’est le nom des récompenses (avec la statuette qui va avec) décernées chaque année par le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême (puisque c’est comme ça qu’il s’appelle), le Meilleur Album se voyant décerner le Fauve d’Or. Depuis son origine en 1974, le Festival (qui n’était alors que Salon) décerne des prix, dans le but de valoriser la bande dessinée en mettant en avant ce qu’elle a de mieux. La composition de ces prix ainsi que leur appellation va pas mal varier au fil du temps. On va ainsi passer de catégories professionnelles (dessinateur/scénariste/éditeur) à des catégories éditoriales (par genre ou par public), abandonnant en 2002 la distinction entre les traductions et les productions francophones.
Côté appellation, les prix deviennent les Alfred en 1981 (en hommage à Saint-Ogan), puis les Alph-Arts en 1989 (en hommage à Hergé) avant de devenir les Fauves en 2008 — peut-être en référence à l’Ours du Festival de Berlin, mais illustré par un petit chat, ironie oblige. (vu que cette arrivée des Fauves se fait à l’occasion de la présidence de Lewis Trondheim, ce second degré un peu dépréciateur n’est pas surprenant, mais on peut se demander si cela ne perpétue pas cette idée d’une bande dessinée qui ne se prend pas au sérieux)
A côté du palmarès du festival, il faut aussi mentionner le Grand Prix (de la Ville d’Angoulême), qui couronne un auteur ou une autrice pour l’ensemble de sa carrière, et qui est désigné.e, depuis 2016, par un vote à deux tours des auteurs et autrices. Et tout un tas d’autres prix qui sont remis à l’occasion du Festival (Prix Tournesol, Prix du jury œcuménique de la bande dessinée, Prix de l’Ecole de l’Image, Prix Schlingo, Prix Coulles-au-cul, etc.), mais sur lesquels je ne m’attarderai pas.

Alors que La couleur des choses de Martin Panchaud (Fauve d’Or 2023) s’affiche en quatre par trois dans les couloirs du métro parisien, on va se pencher sur la question de l’impact de la récompense suprême du FIBD sur les ventes d’un ouvrage de bande dessinée.
Pour cela, je me suis intéressé aux ventes des prix du meilleur album depuis 2004, sachant que les données de GfK ne remontent que jusqu’en 2003. Pourquoi 2004 ? Afin de comparer les ventes avant la récompense, puis durant l’année du prix et éventuellement les années suivantes. Cela nous donne donc 20 titres à examiner, mais dont les performances sont très, très disparates. Afin de normaliser tout cela, j’ai donc choisi de prendre comme indice 100 les ventes réalisées avant l’année du prix, et de rapporter les années suivantes à cette base. (note : le tome 2 de Quai d’Orsay, récompensé en 2013, est un cas particulier puisqu’il est sorti le 2 décembre 2011, et bénéficie donc de ventes pour les deux années précédant son prix. pour des questions de simplification, je me suis permis de fusionner les deux)
Voici donc le graphique que cela donne, pour les 20 lauréats, avec l’évolution des ventes sur les 5 années suivant celle où le prix a été décerné, quand c’est possible (les lauréats les plus récents n’ayant logiquement pas de données complètes).

Premier constat, il y a un éventail de situations très contrastées, mais dans la plupart des cas, le prix a un impact fort sur les ventes : pour 14 des 20 lauréats, leurs ventes sont multipliées par 2 ou plus l’année du prix. Pour près de la moitié (9 sur 20), c’est par 3 ou plus. Deux titres sortent du lot, avec une performance inférieure l’année du prix à leurs ventes réalisées jusqu’alors. On va s’attarder dessus, histoire de trouver des explications.
Premier cas, le prix attribué à Pascal Brutal t3 de Riad Sattouf en 2009, qui, cas particulier, récompense le troisième tome d’une série en cours. En prenant comme indice 100 les ventes du tome 1 durant son année de sortie, voici l’évolution que l’on observe pour les 3 tomes :

On voit ici que le Fauve d’Or a eu un impact sur l’ensemble des ventes de la série, en redynamisant les ventes des deux premiers tomes (déjà relancées par la sortie d’une nouveauté en 2009), et en atténuant la baisse habituelle des ventes sur la deuxième année. Une recherche dans les archives médiatiques remonte assez peu de commentaires sur ce prix — à part de souligner que Riad Sattouf est également le réalisateur du film Les beaux gosses, sorti en 2009. coïncidence ou pas, je vous laisse juger.

Deuxième cas, le prix reçu par le deuxième tome de Quai d’Orsay d’Abel Lanzac et Christophe Blain en 2013. Comme indiqué plus haut, c’est un cas très particulier d’un titre sorti plus d’un an avant sa récompense, et ayant bénéficié de deux noëls successifs. C’est l’une des particularités de la Sélection d’Angoulême, qui ne couvre pas l’année calendaire, mais qui considère la période allant du 1er décembre de l’année précédente au 30 novembre de l’année en cours. Voici l’évolution des ventes, pour les deux tomes du diptyque :

L’impact du prix semble moins important, même si l’on note une remontée des ventes du tome 1 — peut-être l’indication que deux ans après la sortie de ce premier tome d’une série remarquée dans la presse, la majorité des lecteurs potentiels ont déjà été convaincus. Histoire de brouiller un peu plus les choses, Dargaud sort en octobre 2013 une intégrale du diptyque, dont on peut voir ici la contribution. difficile cependant de savoir si la dynamisation des ventes vient du Fauve d’Or ou de la sortie de cette nouveauté…

En dehors de ces deux cas particuliers, on constate que le Fauve d’Or dynamise les ventes d’un titre (logique), mais il est difficile de tirer des conclusions à partir d’un échantillon aussi réduit, chacun des titres bénéficiant d’une conjonction de facteurs unique. Dans les facteurs explicatifs, on peut citer : la date de sortie dans l’année, le succès du titre avant le prix, l’éditeur… ainsi, peut-être, ces questions d’accessibilité d’un titre donné, qui reposent bien (trop ?) souvent sur un jugement subjectif et discutable.

On peut néanmoins souligner, tout au bout du spectre, les success stories dont les ventes ont été indéniablement boostées par le prix : Notes pour une histoire de guerre de Gipi en 2006 (x7), Cinq mille kilomètres par seconde de Manuele Fior en 2011 (x5), Paysage après la bataille d’Eric Lambé et Philippe de Pierpont en 2017 (x16 !) ou encore Ecoute, jolie Marcia de Marcello Quintanilha en 2022 (x7). Caque fois, des livres aux ventes (et à la visibilité) confidentielles qui se retrouvent dans la lumière.
Ces multiplicateurs sont à prendre avec des pincettes : GfK fonctionnant sur un principe d’échantillonnage, les marges d’erreur de leurs estimations globales remettent sérieusement en question l’exactitude des chiffres de ventes pour les petites quantités. On peut également se demander dans quelle mesure la capacité de certains éditeurs à répondre à une demande inhabituelle n’aurait pas pu limiter les ventes — et dont atténuer (pour des raisons logistique) l’impact réel de la visibilité apportée par le Fauve d’Or.

Dossier de en novembre 2023