L’ Image de Marque(s)

de

Une image pour annoncer le Numéro spécial BD d’un quotidien ayant pour nom un mot signifiant l’action de rendre libre. Mais une image de créatif (sic !) qui malgré le calque sélectif de la ligne claire, a oublié d’effacer les fils actionnant la marionnette. Regardez bien, on les voit dans l’ombre connotante…

Cette publicité a (soi disant) pour objet principal la bande dessinée. Une expression de genre féminin désignant un média aux adeptes majoritairement de genre masculin qui, plutôt content de cette uniformité de sexe qui font les armées bêtes et disciplinées, confondent souvent le genre et le média.
La pin-up [1] s’imposait, et elle s’impose en plein milieu de l’image publicitaire. Tour de poitrine comme l’exige sa profession, rousse (avec toute la connotation érotique qu’il s’y doit), et bien évidemment vêtue de vert [2] .
Souriante et aguichante, elle sort de la planche avec dans les mains le vrai support qui l’emporte et l’importe. Le quotidien en de bonnes mains, est alors exclamatif. Un « oh ! » entouré de traits signifiants énergie, explosion, action. Le tout renforcé par des couleurs flashy.
Action de rendre libre exclamatif ? Pourquoi ? Cause ou conséquence ? Exclamation à cause de son contenu (l’actualité) ? ou exclamation en conséquence de cette mise en tenue de et par la bande dessinée (pin-up) ? Hein ? ! Hein ? !
Il est vrai que la bande dessinée (pin-up) semble libérée [3] en sortant de sa planche (sa scène, son théâtre). Elle se décase (du plein). Mince et belle car pin-up, elle peut (en toute normalité marchande, bien sûr) passer au travers de la grille de la planche. Elle est en trois dimensions avec son Libération exclamé, quand toute la planche qui l’entoure reste bidimensionnelle. Eh oui ! Elle est action de rendre libre, mais pour Libération [4] . La bande dessinée (pin-up) est esclave consentante (con ? ! ! sentante ? ! ! !), matrice pour permettre la reproduction en centaines de milliers d’exemplaires et ainsi augmenter le seuil de survie du (et d’un pour certain) quotidien.
La bande dessinée (pin-up) soutient le quotidien ! Mais il n’y a pas d’échange inverse. L’exclamation montre toute l’absence de dialogue. C’est là le problème de la bande dessinée ! Trop loin du quotidien, pas d’actualité de l’actualité !

Alors de la bidemensionnalité terne à la dominante orangée [5] , à gauche de la bande dessinée (pin-up) flashy, une bulle blanche devient évidente et le mot en son centre apparaît signifiant, pour nous, ami lecteur, lectrice mon amour : TRAÎTRE !
Traître, Libération de n’user que du monologue.
Traître, cette bande dessinée (pin-up) artificielle faite que pour plaire, uniquement destinée à la reproduction et l’élevage en série !

Acte manqué de l’illustrateur publicitaire. Créatif rappel que celui-ci a voulu être auteur de bande dessinée. Mais son dessin postmoderne n’a su convaincre que les publicitaires avides de tradition et de nostalgie (surtout si elle fait moderne) permettant la fameuse croissance et le gavage.
L’illustrateur publicitaire créatif a alors rayé le mot Traître d’un trait exclamatif de surprise traduisant son juron devant l’émergence du refoulé, mais renforçant providentiellement le Libé tenu par la bande dessinée (pin-up).
Exclamatif inconsciemment !

Mis à part la femme objet, déjà décrite, on trouve deux autres personnages dans une case en bas à gauche. Deux mecs, des vrais, rappelant évidemment le duo Bill Ballantine/Bob Morane [6] .
Et que je t’exhibe à la gueule mon gros flingue phallique ! Ils sont en pleine action ! Ça rigole pas ! Faut pas les faire chier, ils sont salement en danger ! Ok ?
Le compère viril du second plan prévient son compère viril du premier plan (celui avec le gros flingue qu’il tient d’une seule main) : « Attention ! Là ! Derrière toi.. ils r… » Après ce « r » le reste nous est caché. On nous cache tout, on nous dit rien ! Vous me direz : on a l’habitude… Néanmoins (néant moins) nous pouvons, à mon sens, facilement deviner la suite de cette phrase, car au manquement du texte survient le soutien du dessin.
Et de celui-ci se dégage une tension virile, renforcée par cette mise en scène où les deux personnages ne se font pas face (queue leu leu), qui me permet de penser que ces simulacres d’archétypes de héros sont attaqués par des homosexuels communistes et que la phrase manquante est : « ils reviennent de bourrer le cul en soviet, Bob ! »
Mais peut être que la vérité est ailleurs, que le mur de Berlin est tombé et qu’ils ne font seulement face qu’au péril jaune, ou au complot judéo-maçonnique mondial, ou au péril islamique, ou aux organisations communistes internationales (SMERSH ! excusez-moi, je suis enrhumé..) ou pire encore à la CIA dirigée par un extraterrestre de Roswel mafieux, avec le chiffre I tatoué sur son avant-bras !
—–
Mais alors, dans quel quotidien est la rumeur ? Qui désinforme [7]  ?

Ami lecteur, lectrice mon amour, poussons encore un peu plus loin la ballade analytique.
Comme vous pouvez le constater, les deux mecs sont grossièrement tramés ! Vous me direz : Tout est grossièrement tramé dans cette image publicitaire ! Je suis amplement d’accord avec toi (et c’est pour ça que je me permets de te tutoyer), mais je ne parlais pas du stratégique (merchandising) mais du graphique, et (n’hésitons pas à changer de focal) plus particulièrement de la planche bidimensionnelle et quasiment monocolore qui sert de fond (car la/les formes, c’est la pin-up).
Cette trame de points, partout présente, est emblématique. A travers sa myriade, elle fait transparaître une fois de plus, et comme un brouillard, l’époque où le temps s’est arrêté et où la moderne norme s’est fixée. Ce tramage donne en effet une (ou rappelle la) facture sixties pop art, lichtensteinienne. La case du haut est onomatopéïquement et carrément (rectangulairement ici) une oeillade à l’un des plus célèbres tableaux de Roy Lichtenstein (au Whaam, datant de 1963 qui se trouve à la Tate Gallery de Londres, pour être précis).
Un clin d’oeil [8]. Ajoutons que la stratégie du clin d’oeil est utilisée depuis une bonne dizaine d’années, massivement par le cinéma hollywoodien (ex : Independance day) et plus récemment par la bande dessinée francobelge (ex : L’affaire Francis Blake))) pour faire arty, branché (80’s) et montrer que la bande dessinée est un art ; la preuve : des peintres riches et célèbres s’en inspirent ! Bien entendu ami(e) bédéphile, nous savons tous les deux que la bande dessinée n’a pas eu besoin de Lichtenstein pour être reconnue.
Le peintre américain a simplement participé à une prise de conscience générale (en partie liée aux souvenirs d’enfance d’une génération). Il l’a simplement et contemporainement exprimée dans son art. L’illustrateur publicitaire créatif et ses amis font, là, simplement (et une fois de plus) la preuve de leur culture confuse et approximative.

Cette référence aux sixties/fifties (renforcée par la pin-up et les pseudo Bob Morane) est aussi une allusion à ce qui, pour beaucoup, a pu apparaître comme un âge d’or, où il y avait adéquation entre créations (de Hergé, Jacobs, Goscinny, Franquin, etc.) et courbes de vente. Comme quoi le bonheur tient vraiment à peu de chose ! Hein ?

Le traitement ligne claire de l’image ajoute au référentiel mais sous-entend aussi, et hélas, que pour retrouver ce pseudo âge d’or, il faut faire comme à l’époque.
Car bien entendu, si les courbes de vente ne suivent pas, c’est parce que les auteurs ne savent plus y faire, qu’ils se sont trop masturbés intellectuellement, pris la tête et oubliés que la bédé c’est d’abord drôle, boulevardier (tendance femme en petite tenue qui sort du placard ou d’une planche…), divertissant, plein d’actions et d’aventures exotiques (cf : la pin-up, case du bas à gauche et du milieu à droite), joyeusement bruyant et spectaculaire (cf : case du haut, le Libé tenu par la pin-up, les couleurs flashy, etc.) [9] .

L’aberration !

Le logo (en haut à droite) du quotidien au nom signifiant l’action qui rend libre, est diminué de moitié pour mieux faire apparaître le célèbre diminutif. C’est absolument nécessaire car le public de la bande dessinée est forcément jeune et il diminue forcément le mot (les jeunes sont joueurs et un peu cons, c’est bien connu).
Le diminutif touchera les habituels lecteurs qui seront contents de faire jeune et comprendront le clin d’oeil. Le clin d’oeil aux habituels lecteurs du quotidien sera renforcé et amplifié par la phrase de bas de page (L’actualité du jour illustrée par les dessinateurs) qui leur évoquera l’heure, ou l’âge (plaqué) d’or des eighties, où Libé pour rendre hommage au Hergé devenu mort avait eu la génial idée d’utiliser des cases de Tintin pour illustrer l’actualité du jour.
Ami(e) bédéphile, tu apprécies comme moi la référence à cet hommage. Mais le mot illustré nous fait vite redescendre sur terre, car enfin les dessinateurs qui vont illustrer l’actualité du jour ne sont pas morts, ils voient, et vont voir et réfléchir. Le mot « vue » aurait donc été plus adéquat. « verront » aurait été parfait car les auteurs, auraient été sujets et non plus un simple complément. Mais non, utilisation au participe passé du verbe illustrer car tout participe au passé dans cette image, dans cette illustration.

Libération ou Illustration ?

Illustrée, féminisation du mot illustré. Il est vrai qu’on ne dit plus un illustré mais une bande dessinée.
Condensation redoutable montrant que la bande dessinée est retournée, malgré les apparences adultes de la pin-up (forme et fondement), dans le même type d’impasse que celle où elle se trouvait quand on l’appelait illustré.

Je sais, tu sais, ami lecteur, lectrice mon amour, que les dessinateurs sont d’abord des auteurs, car souvent des scénaristes aussi. Alors pourquoi favoriserait-on les dessinateurs plus que les scénaristes ? Ne peuvent-ils voir l’actualité du jour du bout de leur plume ?
L’utilisation du verbe illustrer implique la soumission au texte. Sous mission pour les auteurs et bande dessinée comme décorum. Ce numéro spécial est donc aussi pertinent qu’une séance de dédicace, la forme sans fond. (à part le fondement de la pin-up).

Une ration (l’autre partie (non-dite car non-montrée) du diminutif qui fait jeune) de BD à l’occasion du festival d’Angoulême. Libération partenaire officiel commanditaire d’une propagande publicitaire [10] , est après le 22, tranquille pendant un an.
Malheureusement, l’inaction ne rend pas libre.

Notes

  1. La bédé, encore une fois, étant un loisir/divertissement/entertainment touchant majoritairement les mâles avec l’accent circonflexe, l’illustrateur publicitaire créatif se devait donc de bien les exciter (pines up !) et donc surtout de noeud pas… pardon NE PAS les faire fuir (pines down), C.Q.F.D.. Ajoutons, pour ne pas avoir à le faire plus tard, que l’illustrateur publicitaire créatif de cette image de cul non-dite n’est autre que Walter Minus, l’illustrateur créatif connu des professionnels de la publicité. Minus culs image !
  2. D’une robe cliffhanger, accrochée par peu de tissu à deux reliefs suspendus dans le vide. Quel suspens ! Va t’elle tomber ? Devine ! dit-elle d’un regard qui invite (oui, un seul à la fois s.v.p.).
  3. Au sens machiste, celui de la bande dessinée pour adultes…
  4. Avec une majuscule (contraire de Minus culs) car il s’agit d’un nom propre, même si un peu salit ces derniers temps…
  5. Cette planche d’où sort la bande dessinée (pin-up) ne raconte pas une histoire mais est un patchwork. Une juxtaposition/collage de cases contenant des images autosuffisantes en vu de faire une image autosuffisante et publicitaire. Dans une vraie planche de bande dessinée il y a juxtaposition/mise en séquence de cases contenant des images en déséquilibres en vu de faire avancer la narration. Stagnation contre avancé.
  6. Dessiné (et alors popularisé encore plus) par Vance le dessinateur de XIII
  7. En forme, la pin up (bande dessinée), toute en formes ! Venant de l’informe qui fait si peur, elle a été formée (et donc dé-informée) par (et pour) l’action de rendre libre. Mais dé-informer la bande dessinée (pin-up) n’est pas une formation bédéphilique, mais une in-formation. Résultat l’inaction est au rendez-vous.
  8. Et regard de coté de la bande dessinée (pin-up). Le clin d’oeil est une des meilleures armes forgées par le publicitaire. Il permet de créer une complicité (Je suis du même côté que toi, J’ai les mêmes habitudes que toi, les mêmes défauts, etc. Le traitement est en général sur le mode du sourire et du fatalisme, mais on peut rien y faire, c’est humain, hein ?) et d’être référentiel (dans ce cas, utilisation à la fois de la culture (faire croire qu’on est intelligent) et de la tradition (jouant sur la fibre nostalgique
  9. Le pire est que le succès phénoménal (de l’échec artistique tout aussi phénoménal) qu’est l’affaire Francis Blake leur a fait croire qu’ils avaient raison… (« Et pourtant elle tourne pas ! » comme disaient en 1633 les inquisiteurs dans une réunion informelle autour d’un pastis en compagnie de Galilée).
  10. Propagande publicitaire, expression tautologique.
Dossier de en février 1998