#TourDeMarché (3e saison)
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(note : cette rubrique reproduit sous forme d’article à fin d’archivage des fils thématiques publiés au départ sur les rézosociaux)
Vendredi revient et avec lui le #TourDeMarché, et cette semaine on va se pencher sur les classiques immortels, et surtout les auteurs (malheureusement mortels) qui les ont produits. C’est parti !
Je vous préviens tout de suite : il ne s’agit pas de parler des « Grands Classiques de la littérature en bande dessinée » comme ceux de cette édifiante collection proposée il y a quelques années par une association Le Monde–Glénat. Mais plutôt de : « Le jeune reporter, créé par Hergé en 1929 et dont l’éternelle jeunesse célèbre ses 80 ans, ce mois-ci, n’en finit de passionner des générations et des générations de lecteurs avec son chien Milou et ses amis, le Capitaine Haddock, en tête. »… extrait de la présentation de cette émission de 2009, dont on devine rapidement que la question du titre (« Pérennité d’Hergé : Tintin immortel ? ») n’est que rhétorique.
Cette idée se retrouve en 2015 dans Le Point : « BD : Astérix, Corto Maltese… héros immortels », ou encore plus près de nous en 2018 dans Challenges : « Les secrets de l’immortalité de Lucky Luke et Blake et Mortimer ». Et d’expliquer : « Longtemps après le décès de leurs créateurs, Dargaud sort cet automne deux nouveaux tomes des aventures de Lucky Luke et Blake et Mortimer. Une manne financière non négligeable qui pose la question du respect des univers de ces personnages ad vitam aeternam. »
La série des Blake et Mortimer est en effet un exemple frappant, puisqu’elle compte aujourd’hui 29 titres (plus deux en cours de production), dont seulement 12 réalisés par son créateur originel, Edgar P. Jacobs (le 12e étant inachevé à son décès en 1987, et terminé par Bob de Moor). On notera une situation similaire pour les Schtroumpfs : 42 albums pour la série principale (plus 24 autres dans des séries dérivées), dont seulement 16 réalisés par Peyo. Comme quoi un schtroumpf, ça schtroumpfe énormément. Pardon.
Et bien sûr, comment passer à côté d’Astérix ou de Gaston, dont les nouveaux albums sortis en fin d’année dernière ont largement occupé l’espace (que ce soit en librairie ou dans les médias) pour terminer dans le haut des tops de ventes.
Dans l’histoire, c’est finalement Tintin qui fait figure d’exception — Hergé s’étant opposé à la reprise du personnage après sa mort, la série ne peut compter sur de nouvelles aventures pour venir doper ses ventes. Alors, il faut savoir se montrer créatif. Il y a donc eu l’adaptation au cinéma par Steven Spielberg (mais qui n’a pas connu de suite), le repackaging (monovolume, mini-albums et autre facsimilés) ou les rééditions augmentées (Les Soviets en couleur), histoire de faire vivre le fonds.
On retrouve le même genre de pratiques pour les autres séries : renumérotation des albums de Gaston, édition remastérisée d’Astérix, version couleur puis version noir et blanc de Corto Maltese, etc. Ou comment faire du neuf avec du vieux.
Mais rien ne vaut une nouveauté pour véritablement assurer cette « immortalité » — l’importance commerciale annoncée de l’événement garantissant une couverture médiatique au diapason, débouchant sur une forme de prophétie auto-réalisatrice. Attention, il ne s’agit pas de n’importe quelle nouveauté : il s’agit avant tout de prolonger sans bouleverser, le respect de l’œuvre existante devenant un gage de qualité. pas question de venir saper l’image de marque. Romain Brethes, dans Le Point, explique ainsi que L’Iris blanc « capte l’esprit de l’époque », et que « [d]e ce point de vue, Conrad et Fabcaro se montrent d’une fidélité sans faille à l’esprit de leurs prédécesseurs. »
Personnellement, je reste fasciné par cet exercice qui consiste à fournir du « nouveau » indiscernable de l’ancien, une sorte de travail de faussaire autorisé que l’on scrute et célèbre dans sa capacité à reproduire plutôt qu’à créer. L’articulation de la série Tanguy et Laverdure, désormais proposée en version « nouvelles aventures » ou « aventure classic » pousse encore un peu plus loin ce travail nostalgique, proposant un véritable retour dans le passé.
L’opération a des bénéfices quasi-immédiats : le nouveau Gaston représente plus de 80 % des ventes en volume de la série sur 2023. Pour Corto Maltese, invité à la fête depuis 2019, les ventes se répartissent équitablement entre l’original et ses reprises. Enfin, pour les habitués de la choses, sur les six dernières années, les reprises ont ainsi représenté 56 % des ventes totales en volume d’Astérix — mais aussi 87 % pour Blake et Mortimer, 80 % pour les Schtroumpfs et 62 % pour Lucky Luke.
Ensemble, ces « grands classiques » (Astérix, Tintin, Lucky Luke, Blake et Mortimer, Les Schtroumpfs et Corto Maltese) représentent en moyenne 5 % des ventes de bande dessinée en France en volume sur 2003-2023… mais plus de la moitié (56 %) de ces ventes sont à mettre au compte de reprises, posthumes pour la plupart. L’immortalité est à ce prix.
Bonus
Petit complément histoire de répondre rapidement à diverses questions qu’on a pu me poser sur Spirou, que j’avais volontairement choisi de ne pas inclure… ne serait-ce que parce qu’il est rarement mentionné au sein des « immortels ». La situation de Spirou est particulière, puisque dès le départ, le personnage est considéré comme « disponible à la reprise ». avec la particularité que Franquin va en devenir l’interprète indépassable auquel on comparera tous les suivants.
C’est d’ailleurs intéressant de voir comment les attentes du format sériel (avec son inscription dans une collection) viennent structurer une offre qui aurait pu, de par sa nature, s’en affranchir complètement — chaque album n’étant finalement qu’un « Spirou vu par… » On pourrait même affirmer que Le Petit Spirou n’en est qu’une version poussée à l’extrême : initialement album de la série principale (La Jeunesse de Spirou, t38, en 1987) avant d’avoir sa série dédiée en 1990 et sa propre série spin-off (Le Petit Spirou Présente) depuis 2009.
La série « Le Spirou de… » débute en 2006, et compte aujourd’hui 19 tomes, auxquels il faut rajouter 3 volumes « Hors-Série » qui pourraient s’y rattacher. pour mémoire, la série principale compte 56 volumes parus à date — mais seulement 8 depuis 2006. Si l’on rajoute les 14 volumes parus sous la marque Le Petit Spirou sur la même période, il y a indéniablement une dynamique assez particulière, avec un personnage qui existe bien moins par la série principale que par ses interprétations diverses (8 vs 36).
Cette situation se retrouve au niveau des ventes, qui, sur les six dernières années, se répartissent comme suit : série principale – 38 % / Spirou vu par – 33 % / Petit Spirou – 29 %. Emile Bravo représente à lui seul 10 % des albums vendus sur la période.
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Super contenu ! Continuez votre bon travail!