#TourDeMarché (3e saison)
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(note : cette rubrique reproduit sous forme d’article à fin d’archivage des fils thématiques publiés au départ sur les rézosociaux)
Aujourd’hui, c’est vendredi, nous sommes en septembre, et c’est donc la rentrée du #TourDeMarché pour une troisième saison, en espérant pouvoir se renouveler suffisamment pour ne pas trop se répéter. Et pour cette session de reprise, on va décrypter des indices. C’est parti !
Durant l’été, vous avez peut-être vu passer ces articles évoquant la santé du marché de la bande dessinée, sur le ton de « Mangas : fin des «années folles» sur le marché français » (Les Echos). Rebelote à la rentrée avec cet article du Figaro : « Édition : après trois années d’euphorie, le marché du manga redescend sur terre ». Je cite : « Selon les données publiées courant août par l’institut GfK, les achats de mangas ont dégringolé en un an de 18 % en volume sur la période s’étalant de janvier à juillet. Une première pour un marché qui n’a connu que la croissance ces quinze dernières années. » Et de continuer : « Baisse du pouvoir d’achat liée à l’inflation, combinée à la hausse des prix des ouvrages, conséquence de la flambée des coûts de fabrication : le cocktail est explosif. La barre psychologique des 6,99 euros, prix traditionnel de nombreux mangas, a été franchie. »
Bref, la fête est finie, l’heure est grave, la fin du monde n’est pas loin. A moins que, peut-être, il y aurait quelque chose à redire à cette manière de représenter les évolutions du marché.
Vous y êtes habitué.es, lorsqu’il s’agit de parler d’économie, on considère essentiellement la question de la croissance, qualifiée à l’aide d’un pourcentage d’évolution qui peut être à la hausse (c’est bien) ou à la baisse (c’est mal). Ce qui a le mérite d’être clair. C’est clair, mais c’est aussi fallacieux, parce que le calcul du cumul de ces évolutions successives n’est pas évident pour la plupart des gens, entraînant une perception faussée de la réalité du marché. Quelques exemples pour illustrer le problème : +25 % suivi de -20 % correspond au final à une situation inchangée. Même chose pour -33 % suivi de +50 %, ou pour deux années à +10 % suivies d’une année à -17 %. Rien d’intuitif dans tout cela, avant même d’aller plus loin dans l’analyse.
C’est là qu’un outil bien pratique peut nous aider à y voir plus clair : l’indice. L’idée, c’est de prendre une année de référence comme indice 100, et d’y comparer les autres années ramenées à la même base. Comme un pourcentage, il s’agit d’une grandeur sans dimension, ce qui permet de comparer l’évolution de diverses composantes du marché… avec un caveat cependant, sur l’importance du point choisi comme référence pour l’indice. Illustration avec l’évolution du marché en volume sur 2019-2023 (évolutions sur le premier semestre pour 2023) avec un indice 100 en 2019 au-dessus, et un indice 100 en 2021 en-dessous. Les évolutions sont les mêmes, mais le panorama obtenu est assez différent.
Comme l’idée est de prendre, dans la mesure du possible une année de référence « normale » et d’observer ensuite l’évolution des choses durant une période plus agitée, on va choisir de prendre 2019 comme année de référence, et donc comme indice 100. Voici donc les graphiques d’évolution, en volume au-dessus et en valeur en-dessous, pour le marché et ses principaux segments, sur 2019-2023 (évolutions sur le premier semestre pour 2023) en France, avec un indice 100 pour 2019.
On le voit immédiatement : le fait de passer en indice, et de ne pas se limiter à des considérations de croissance, relativise beaucoup la « gueule de bois » évoquée par le Figaro côté manga, qui reste à un niveau double (en volume) de ce qu’il était en 2019-2020. Alors certes, on note que l’embellie de 2020-2021 s’estompe très nettement sur les autres segments, ce qui souligne l’aspect conjoncturel des facteurs qui en ont été à l’origine (valorisation de la lecture dans un contexte de pandémie, pour aller vite). Le graphique de l’évolution en valeur porte naturellement en lui l’impact de l’inflation, avec une « redescente » moins marquée en 2023 — sauf du côté des comics, dont les dynamiques particulières trouvent une partie d’explication du côté collections à petit prix.
vous savez quoi ? On peut également utiliser les indices pour suivre l’évolution des prix, ce qui permet de faire des comparaisons entre les différents sous-segments, histoire de voir l’impact de l’inflation, par exemple.
Cependant, comme dans toute analyse, il faut garder en tête ce que l’on cherche à examiner, ainsi que les limites de l’outil avec lequel on aborde les données, pour éviter d’aller à des conclusions aussi hâtives que fausses Ainsi, zoomons un peu sur l’évolution des prix sur 2019-2023 : le marché dans son ensemble montre une baisse de son prix moyen sur 2021-2022, et on serait tenté de relier ce phénomène à la forte baisse qu’accuse le segment des COMICS sur 2020-2023. Sauf que.
Sauf que ce genre de graphique présente une donnée « pauvre », et qui plus est ramenée à une quantité identique pour chacun des segments, quel que soit son importance dans la composition du marché. Et c’est bien là qu’est le problème. En effet, la baisse du prix moyen du marché global sur 2021-2022 tient avant tout à la croissance très importante du segment des MANGAS (dont le niveau de prix est inférieur au standard des autres segments). Même avec des prix inchangés, on observerait une baisse comparable. Morale de l’histoire : un indice permet de comparer les évolutions *individuelles*, mais ne peut pas servir pour juger de l’influence combinée de ces mêmes évolutions.
Note : j’ai évoqué une donnée « pauvre », comme le sont beaucoup des indicateurs que l’on observe. La réalité est toujours très complexe et diverse, et il est important de trouver des moyens de la simplifier pour pouvoir en expliquer les grandes lignes. Mais cette simplification a un coût : on perd en nuance, et cela limite donc les analyses que l’on peut conduire sur ces indicateurs. Et il faut toujours venir questionner leur validité lors d’évolutions profondes du marché constatées par ailleurs. Il est toujours plus intéressant de considérer des *distributions* plutôt que des moyennes, même si les premières sont plus difficiles à mettre en œuvre mais aussi parfois à interpréter. Fin de la parenthèse méthodologique.
Pour terminer cette session de rentrée, il faut souligner que le fait que le marché, et en particulier le segment du manga, redescendent ne devrait pas être une surprise, mais au contraire une évolution attendue. La question cruciale est de savoir autour de quel niveau le segment du manga va-t-il se stabiliser, non seulement cette année, mais surtout en 2024, où l’on pourra commencer à affirmer un « retour à la normale » après l’épisode pandémique.
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Super contenu ! Continuez votre bon travail!