Les Julots chez Tintin

de

D’une preuve par neuf une fois de plus, de l’intérêt à montrer Hergé comme copieur.
Un témoignage indirect de ce qui gangrène la bande dessinée.

Dès le début le ton est donné : L’influence de Jules Verne sur l’imaginaire d’Hergé est suspectée depuis longtemps (p.7). Suspectée ! Le mot est lâché dans la première ligne ! Méchamment connoté, il implique tout de suite la question suivante : Hergé est-il coupable ? Mais de quoi me direz-vous ?
Eh ! bien de n’être pas très (ou alors trop) catholique, de n’être pas franc (car belge), de ne pas avoir une carte d’un parti, et d’avoir dit (indirectement) ne pas avoir lu tout Jules Verne à Messieurs Tomasi et Deligne. Le sous-titre de leur travail devient alors : Nous saurons vous faire parler Monsieur Hergé (schnell !)

Ce livre (ou plutôt cette mise en examen) va alors se développer comme une rumeur, remplie d’images floues comme les photos au téléobjectif de la presse à scandales (car c’est bien ça, que recherchent ces auteurs et les éditions Lefranc [1] ).
Le plus pénible est que Tomasi et Deligne arborant leur aura d’expert sur leur plastron bien amidonné de critikacouatique, prétendent avoir fait une recherche/découverte et une mise en perspective critique. Pourtant il n’y a rien de tout ça dans ce livre. Ils se sont juste aperçus de coïncidences et ont plié toute l’oeuvre d’Hergé à leur idée.
Pour faire preuve de ce qu’ils avancent, ils font appel aux illustrations qui égrainaient les Jules Verne (ainsi que tous les livres de la littérature populaire du XIXe siècle), et les comparent à n’en plus finir avec des cases des albums d’Hergé.
Choc des images facile et peu de poids des mots dans tout ça. Juste une juxtaposition à disposition du lecteur, et aucun véritable commentaire. Uniquement de la redondance sur les images pour asseoir le vol de thématique.

Le problème est que, quand on remarque de telles occurrences, plutôt que de les étaler fièrement comme une collection de bille, il aurait fallu se demander pourquoi Hergé a pu affirmer Jules Verne néant comme influence, malgré tout.
Plutôt que d’en faire implicitement ce/un menteur il aurait fallu remettre tout ça dans son contexte. C’est le minimum d’objectivité requis par ce genre d’ouvrage.
D’autant que, quand Hergé imagine Objectif Lune et On a marché sur la lune ce n’est certainement pas en ayant fouillé dans Jules Verne. La conquête de Lune est dans l’air du temps et la moindre consultation des revues de vulgarisation scientifique de cette époque en apporterait la preuve. Quant à Jules il est partout présent dans l’imaginaire scientifique et plus particulièrement à cette époque. Quand les Américains fabriquent leur premier sous-marin nucléaire ils l’appellent Nautilus ! Mais ont-ils pour autant été piquer les plans et l’idée à Jules Verne ?
Quand Hergé invente Tournesol, il pense d’abord à Picard le père du Bathyscaphe alors très médiatisé dans les actualités cinématographiques (qui lui comme tout bon scientifique a certainement lu Jules Verne). Pourquoi ne pas insister sur de pareils faits ?
Si influence il y a, elle est indirecte, c’est-à-dire ici non littérale et iconique comme essaient de nous le faire croire Tomasi et Deligne.

Une recherche fouillée sur la jeunesse d’Hergé aurait été aussi plus que nécessaire afin d’éviter de se baser uniquement sur des autobiographies professionnelles qui s’intéressent d’abord à l’âge adulte du dessinateur. Quand Hergé dessine Totor (son oeuvre la plus proche de l’enfance et facile d’accès dans les Archives tome I) il fait clairement référence au cinéma. Le titre de présentation arbore United Rovers présente un grand film comique (Archives t. I, p.12).
Le 7e niveau des arts est la source majeure d’inspiration d’Hergé et de sa formation visuelle. C’est grâce à lui qu’il appréhendera dans sa nouveauté le média bande dessinée. Chercher à comparer la bande dessinée avec la littérature en feuilletons du XIXe siècle, ne peut être que moyennement pertinent. Cette idée de filiation, date surtout d’il y a 20 ans (cf. édito du premier (A Suivre)), et aujourd’hui on en est un peu revenu, surtout avec la disparition du support presse…
Hergé a fait irruption dans la bande dessinée à une époque charnière (les années 30) où elle passait du statut d’illustrés à celui de bande dessinée. Cette métamorphose, elle la doit au cinéma.
En devenant une sorte de cinéma de papier, elle passait d’un registre exclusivement comique, à un autre plus large abordant tous les genres : policier, aventure, science-fiction, etc. (cf. Flash Gordon, Buck Rodger, Futuropolis de Pellos, etc…).
Si ces thèmes se retrouvent dans la bande dessinée à partir des années 30 c’est donc d’abord à cause du cinéma et donc nullement grâce aux livres de Jules et ses consorts. D’autant plus qu’à peine né le cinéma adaptait déjà à tour de bras les histoires de Jules Verne (cf. Méliès). Tous les archétypes créés par Jules Verne étaient donc depuis longtemps devenus des mythes littéraires (Jules Verne a été plagié, et a quasiment créé un genre) et cinématographiques faisant partie intégrante de l’imaginaire collectif. Ajoutons qu’Hergé appartient certainement à l’une des premières générations de ce siècle qui ait baigné dans l’image filmique autant si ce n’est plus que dans la littérature.
Hergé peut donc avoir connu toute la thématique de Jules Verne sans avoir lu un seul de ses livres (et donc ne pas avoir menti !), comme aujourd’hui tout le monde connaît certaines oeuvres de Victor Hugo sans avoir lu Notre Dame de Paris ou les Misérables.
Evidemment prouver tout cela (c’est-à-dire ces relations indirectes) demande du boulot, certainement plus que d’aligner (directement) des images facilement disponibles… D’autant plus que le cinéma muet (sur un support si fragile et à la mémoire pleine de trous) on ne le trouve pas dans les vidéothèques de quartier…

En mettant en parallèle (directement) ces vieilles illustrations avec les cases d’Hergé, Tomasi et Deligne essaient de pallier la faiblesse intrinsèque de leur idée qui consiste au final à comparer deux médias qui n’ont pas grand-chose (de directement) en commun. Utilisées comme des photographies, ces illustrations sont à la fois un compromis (déplacer le débat thématicolittéraire, vers l’image, coeur de la bande dessinée), et des preuves directes (car indicielles pour eux) offertes au lecteur/lectrice, qui en fait devient lui-même juge. En quelque sorte, ils suivent le vieil adage il faut le voir pour le croire, et pratiquent en même temps un double travail de sape (sur l’oeuvre d’Hergé et sur notre jugement), qui a les mêmes mécanismes et structures que la rumeur.
En utilisant toutes ces vieilles images, l’entreprise de Tomasi et Deligne devient encore plus fausse (indirectement) puisqu’ils comparent des illustrations d’après l’oeuvre de Jules Verne !
Ils ont beau dire que le père Jules surveillait à la source tout ça, c’est quand même de la deuxième main ! Ce n’est pas du direct ! Et s’il y a un intermédiaire illustrateur pourquoi pas celle du cinéma ? Pourquoi ne pas avoir aligné les photogrammes des films qu’Hergé aurait pu voir ? Ça me paraîtrait ni plus ni moins saugrenu et certainement plus logique.

Comme tout ça n’est visiblement pas très sérieux et vite fait, il y a (en fin d’ouvrage) cette petite bibliographie et cette mise aux détails comme il faut des quelques sources iconographiques. Tout cet attirail n’a que deux buts ici : gonfler un livre mince comme l’argumentation qu’il supporte et légitimer, un travail bâclé de yellow journalism (pour rester dans l’ennéalogie).
La cerise sur le gâteau étant cet argument suprême de modestie bien inobjectivement objective comme en adorent les médias, qui consiste à dire qu’ils ont fait là comme (…) un album d’Hergé dont on aurait supprimé les phylactères.

C’est à pleurer non ?
Une solution ( ?) leur hurler au pied de leur tour d’ivoire : Eh ! les mecs ! Faut grandir un peu ! On parle B.D. d’accord, mais on peut le faire sans cette nostalgie lénifiante, et mettre votre sens critique au niveau des diplômes et fonctions d’experts ( !) que vous arborez comme la légion d’honneur au quatrième de couverture !
On lit des B.D. certes, mais on n’est pas forcément des sous-doués infantiles et nostalgiques ! On peut comprendre les mots de plus de trois syllabes ! Si ! J’vous jure !
Et puis si c’est un nouvel album que vous voulez et bien attendez un petit peu ça va venir ! Vous en rêvez, la fondation vous le fera ! Mais s.v.p. évitez de le faire vous-même ! Merci d’avance !
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Mais au-delà de cette non-méthode, un autre problème est distillé par ce livre. Encore une fois le mot suspecter n’a pas été choisi par hasard. Hergé surtout depuis la libération, est suspecté (même s’il a été innocenté) d’avoir collaboré, et/car d’avoir été un ami de Léon Degrelle. Et comme par hasard, pour ajouter à l’ambiance Jules Verne a lui aussi la réputation d’avoir ses affinités politiques à la droite extrême en ayant tenu des propos antisémites…

Mais Hergé n’a jamais été d’extrême droite, il a simplement évolué dans le milieu de ses connaissances, de ses rencontres, et de ses amis (et on les choisit pas c’est bien connu).
Hergé est d’abord un fidèle en amitié quelque soit race et opinion (voyez ses retrouvailles avec Tchang à la fin des 70’s). C’est peut-être ce qui le définit le plus à travers temps et espace.
Conséquence ou cause ? Hergé est en tout cas fondamentalement apolitique, et la lecture des Quick et Flupke des Archives tome II (cf. p.166-167, p.200-201, p.204-205, p.248-249, p.250-251, etc.) le prouve mille et mille fois.
Le pays des soviets ne témoigne que par la négative de ce trait de la personnalité d’Hergé. Il est une erreur de jeunesse, une influence sur une immaturité. Aujourd’hui tout l’intérêt que cet album peut provoquer ne s’affiche que comme tel ! La marquétique campagne de la fondation Hergé n’offre qu’un objet de plus aux collectionneurs [2] .

Hergé a d’abord été un homme de son temps, ou plutôt de ses présents. Il a été perpétuellement sous influences, qui s’appelleront : l’abbé Wallez, Tchang, Jacobs (qui a lu Jules Verne), ou certains membres du studio Hergé (Bob de Moor, Leloup, Martin…). Cela donnera des caricatures (comme les 3 premiers Tintin) et des chefs d’ oeuvres (comme Le lotus bleu, Tintin au Tibet, Les bijoux de la Castafiore, etc…).
Cette attitude (inconsciente à mon avis) fut souvent une qualité pour son oeuvre mais fût aussi souvent perçue comme un défaut par son entourage immédiat et professionnel. Cette influençabilité permanente en fera aussi (et un peu paradoxalement peut-être) un obsédé de l’exactitude qui ira en s’amplifiant au fur et à mesure que les années passeront.

Ce qui est le plus troublant et ce qui trouble (des gens comme Tomasi et Deligne) dans le travail d’Hergé c’est que c’est une oeuvre qui affiche ses erreurs, ses ébauches, et ses repentirs (et ce magistralement jusqu’à la fin (cf. Tintin et l’Alph’art)). C’est une oeuvre ouverte en totalité.
Hergé s’y montre dans tous les détails et y affiche son chemin de vie et de pensée jusque dans ces plus profondes amitiés (Tchang) et ses problèmes les plus intimes (Tintin au Tibet, métaphore de l’échec de sa relation avec sa première femme).
Il ne faut comprendre l’oeuvre d’Hergé qu’ainsi. Tintin au Congo ne fait d’Hergé ni un raciste, ni un tueur de rhinocéros à la dynamite. Par contre il montre l’imaginaire d’un jeune homme de cette Europe coloniale des 30’s et d’une Belgique si peu informée sur son vrai visage (en à fric).
La version dessin animé de Tintin, par sa non-adaptation fidèle, révèle elle, une véritable idéologie trouble. Ce pur objet politiquement correct (marchandage) témoigne de notre société spectaculaire et d’un continent sous développé culturellement : le fric. Le studio Ellipse/Vivendi n’a gardé des albums que les rebondissements narratifs, figés dans une temporalité allant des 40’s aux 50’s. Aucune adaptation de Tintin au Congo évidemment…
Toute la traversée du siècle qu’offrent les aventures de Tintin de 1929 à 1982, y est mise de côté, standardisée et édulcorée ! Un vrai produit (comme on dit maintenant dans cet autre langage schtroumph) complètement consensuel ! Mais n’est-ce pas là l’idéologie qui domine ? Personne pour s’en plaindre ? Ellipse/Vivendi vaincra ? Néo rex ?
Enfin s’y l’on croit à un avenir plus juste (ha ! ha !), on peut être rassuré et penser sans se tromper que l’on n’accusera pas Hergé d’avoir été néo-libéral à la fin du XXe siècle…

En fait Hergé s’est retrouvé un peu dans la situation du cinéaste Claude Chabrol aujourd’hui, qui a affirmé sur un plateau de télé avoir été copain comme cochon avec Le Pen.
A peine dit, il était mis en quarantaine par une moue boudeuse d’Attali (dia et monologuiste (verbatim) expert en phynance théâtrale and political) invité à la même émission, et du même coup mis à l’index (sur la zapette) au zapping de Canal +/Vivendi.
Il a fallu ensuite que Chabrol multiplie les explications à droite et à gauche dans d’autres émissions pour s’expliquer. Et à mon humble avis, il est parti pour traîner ça encore longtemps, et ça surgira au moment où il s’y attendra le moins, quand on lui rendra hommage, où s’il fait un carton au box-office avec un de ses films…
Pourtant, peut-on soupçonner un seul instant que Claude Chabrol soit un facho qui imperceptiblement ferait le jeu de l’extrême droite à travers son oeuvre artistique ?
Bien évidemment non, et il en est de même pour Hergé. C’était d’abord un humaniste et il ne décline son oeuvre que sous cet auspice, à la manière un peu sévère pour nous aujourd’hui, d’un ancien scout et d’un homme de classe moyenne, ayant vécu de 1907 à 1982.

Il n’y a donc pas de paradoxe à voir un Tintin prier devant une crèche dans certains numéros spéciaux Noël du Journal Tintin des années 50 (voir un Charlie Hebdo de déc. 98), et un autre arborer le signe Peace and love dans l’album des Picaros.
Pour rester encore dans l’histoire de l’ennéa monde, Tintin (le personnage) a autant évolué et dans la même direction, que le journal Pilote. Pilote a lutté contre la loi de 49, Tintin (l’inconscient) a lutté contre l’autocensure d’Hergé (inconscient).
Le véritable problème avec Tintin semble d’abord être celui d’une génération qui a du mal a accepter qu’un scout catho de droite (modéré) ait pu les enchanter à ce point. Problème de la lecture au premier degré ? Ecole primaire ?

À l’heure des commémorations et bilan à la con sur un siècle (bien pourri), l’oeuvre d’Hergé s’offre plus que jamais comme une comédie humaine. Par-là Hergé a montré la voie d’une bande dessinée que nous défendons. Il ne s’agit pas d’une ligne claire purement idolâtre et nostalgique à en devenir trouble, mais d’une appréhension du monde, d’un cheminement d’auteur (donc souvent laborieux et certainement plein d’erreurs), et d’un témoignage sur des époques (des 30’s aux 70’s) allant de la joie à la peine.

Et s’il y a des livres à faire, il devient urgent d’en faire un sur ces pseudo prêtres critiques de bédé . « En cultés », « fan de », « Tintinophiles », il est pour ces théologiens d’un nouveau genre [3] interdit de s’inspirer, si/car pas ex nihilo. [4] Du néant créateur comme théologie et la peur du Copyright is watching you ! comme oeil de dieu. Telle est leur peur, telle est leur soumission de rapporteur qu’ils essaient de nous faire croire comme explication simpliste du/d’un monde (le leur).

En rabaissant l’inspiration d’Hergé à une suspicion de copiage et d’idéologie trouble, c’est la bande dessinée que l’on attaque dans son originalité, sa spécificité et sa modernité.
Tomasi (J.-P.) & Deligne (M.) : Tintin chez Jules Verne, éd. Lefrancq.

PS : Vous pouvez également lire l’opinion d’Univers BD sur cet ouvrage.

Notes

  1. N’oublions pas que pour faire un livre sur le média bande dessinée qui se vende, il faut que ce soit sur Hergé et son oeuvre, et qu’il s’y ajoute le poids du scandale (valeur universelle garantie). Les éditions Lefranc semblent s’y conformer puisque c’est la deuxième fois qu’elles s’y collent. Le premier essai (Tracé R.G.) est un gros livre en couleur, avec un titre sous forme de jeu de mot aussi peu subtil que son véritable but. Ouvrage excessivement lourd au propre comme au figuré, ne ressemblant qu’à un tableau de chasse de collectionneur d’animaux d’élevage. Là encore beaucoup d’images avec pour point de fuite détruire plutôt que construire/comprendre par explication. Disons-le tout de suite, les livres à lire sur Hergé sont ceux, inoubliables de Benoît Peeters.
  2. N’oublions jamais non plus, que ce sont les spéculateurs (éditeurs pirates et collectionneurs) qui ont forcé Hergé à ressortir de ses archives cette grosse chose de Tintin au pays des soviets ! La vraie idéologie trouble est là, c’est celle du flouze et elle soutient toutes les dictatures de gauche comme de droite, établies ou en germe…
  3. Toujours cette plaie qui ne cicatrice pas de la confusion du média avec le genre !
  4. D’où toutes ces rubriques débiles de fin de fanzines comme celle intitulée le pinailleur dans Bo Doï, où de pseudo-lecteurs délationnent sur les sources, erreurs des auteurs de bandes dessinées. Regardez monsieur ! Machin a copié sur truc, et puis il a fait une faute là aussi !. Eh oui comme à l’école primaire !
Dossier de en février 1999