#TourDeMarché (3e saison)
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(note : cette rubrique reproduit sous forme d’article à fin d’archivage des fils thématiques publiés au départ sur les rézosociaux)
C’est vendredi, c’est donc #TourDeMarché, et cette semaine on va profiter de l’ouverture de l’événement « La BD à tous les étages » au Centre Pompidou pour s’intéresser à la place de la bande dessinée dans les musées. C’est parti !
Ah, il est loin le temps où, en 2008, on saluait comme historique le don d’une planche originale de Tintin (la p.12 de L’Affaire Tournesol) par Fanny Rodwell au Centre Pompidou, marquant la première fois qu’une œuvre de bande dessinée entrait dans ses collections permanentes (petite bizarrerie, la date figurant sur la notule descriptive dans le catalogue en ligne indique 2006, contrairement aux coupures de presse, comme ici). Le musée avait d’ailleurs été un peu embêté de ce cadeau, ne sachant trop où le mettre, pour finalement l’exposer (temporairement) dans le « Container Zéro » de Jean-Pierre Raynaud, installation créée par l’artiste pour les dix ans du Centre. Cet article de La Croix indique d’ailleurs que c’est encore à ce jour la seule planche que possède le musée, mais que ce dernier semble désormais déterminé à élargir sa collection.
Il faut reconnaître que la bande dessinée est un objet difficile à classer dans les catégories artistiques — portant la trace de la main de son créateur, tout en étant destinée à une large diffusion, succès et valeur artistique étant souvent considérés comme antinomiques.
Souvenez-vous : en janvier 1999, Fabrice Bousteau débutait son éditorial de Beaux-Arts avec une mise au point : « Soyons clairs, si nous consacrons notre couverture et un dossier aux tendances de la bande dessinée en France, ce n’est pas que nous considérions la BD comme de l’art. » En 2012, L’Obs saluait la grande rétrospective consacrée à Robert Crumb avec incrédulité : « C’est bien le dernier endroit où l’on pouvait espérer le dénicher. Et pourtant Robert Crumb est exposé dans un musée, en l’occurrence celui d’Art moderne de la Ville de Paris. »
La plupart des dispositifs d’exposition se sont donc, presque naturellement, tournés vers l’exposition d’originaux, dont la rareté reproduit le schéma habituel de l’œuvre d’art, bien qu’il ne s’agisse que d’une étape intermédiaire dans la création de l’ouvrage final. Publié en 2017 dans la revue Le Débat, le texte de Nathalie Heinich sur « L’artification de la bande dessinée » prend d’ailleurs comme point de départ le compte-rendu d’une vente aux enchères qui avait vu une planche d’Astérix battre des records en se vendant à 319 500€. « Ainsi donc la bande dessinée se trouve-t-elle aujourd’hui traitée comme un art, ses productions comme des œuvres et ses auteurs comme des artistes, » explique la sociologue, avant de reconnaître qu’il ne s’agit absolument pas d’une reconnaissance globale. Et de conclure : « l’artification n’y concerne qu’un secteur bien particulier et assez minoritaire du point de vue du marché, tandis que la plus grande partie de la production relève non pas de l’art mais de l’industrie culturelle. »
On le voit, la bande dessinée a beau être surnommée « le neuvième art », son inscription au sein de la culture légitime n’a rien d’évident, et pourrait se résumer par la formule consacrée : c’est compliqué.
En avril 2016 dans Le Monde, Fréderic Potet titrait « Au musée, la BD en ébullition », en faisant ce constat : « Longtemps méprisée, la bande dessinée est désormais davantage acceptée sur les cimaises des institutions, qui y trouvent également un moyen d’élargir leur public. » Ce mouvement n’est pas surprenant : dans l’univers du livre, c’est avant tout le poids économique de la bande dessinée qui lui a valu de gagner, petit à petit, une certaine respectabilité. Ainsi en 2007, l’AFP commente le Fauve d’Or décerné à Nonnonbâ (Shigeru Mizuki) : « le jury a tenu compte de l’importance croissante de la BD japonaise qui représente désormais plus du tiers des parutions de bandes dessinées en France et un quart du chiffre d’affaires du secteur. »
On pourrait ainsi voir l’acceptation de la bande dessinée au sein de la culture légitime comme une manière pour cette dernière de s’accaparer, au moins par association, une partie du capital séduction du neuvième art auprès des publics.
Et puis… et puis il y a l’exposition qui s’ouvre aujourd’hui au Centre Pompidou, ou plutôt les expositions qui sont au nombre de cinq pour autant d’étages — baroud d’honneur du musée avant sa fermeture pour rénovation longue durée (cinq ans au moins). Soyons honnête, les titres de deux d’entre elles (« Bande dessinée (1964 – 2024) » et « La bande dessinée au Musée ») laissaient craindre le pire, chronologie scolaire ou enchainement d’associations parfois douteuses. Il n’en est rien. Non seulement la sélection proposée est d’une abondance folle, elle se révèle aussi riche qu’exceptionnelle, célébrant au-delà des frontières et des courants artistiques la bande dessinée comme médium d’expression polymorphe capable de toutes les audaces.
La bande dessinée est au musée, mais sans y être invitée d’un jour ou passager clandestin — la bande dessinée est au musée, naturellement, évidemment, parfaitement à sa place.
Bravo aux commissaires (Anne Lemonnier & Emmanuèle Payen) et conseillers scientifiques (Lucas Hureau & Thierry Groensteen) pour cette exposition qui, il ne fait aucun doute, fera date. S31i vous en avez la possibilité, c’est le moment d’aller au musée.
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Super contenu ! Continuez votre bon travail!