Numérologie, version 2007

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Ami lecteur, lectrice mon Amour,
En ces périodes d’émoi et de préparation Angoumoisins, nous revoici pour ce qui est en train de devenir un rendez-vous annuel, pour un dossier plein de chiffres et de considérations tendancières — un univers que du9 préfère éviter le reste de l’année, plus séduits que nous sommes par les lignes narratives, les traits d’esprit et les perspectives poétiques que par les courbes de progression et autres points de rentabilité. Mais il s’agit aussi, dans cette petite fenêtre virtuelle, d’observer, de peser et de questionner, sans perdre de vue dans cette forêt de chiffres ce qui nourrit notre fascination pour le «neuvième».
Ainsi donc, ami lecteur, lectrice mon Amour, merci de bien vouloir nous accompagner dans cette toute nouvelle numérologie[1]

Du chiffre !

Comme chaque année au moment de réaliser cette analyse, se pose le problème épineux d’obtenir des chiffres. En effet, si pas moins de deux organismes (GfK et IPSOS) s’intéressent en France au marché de la bande dessinée en particulier et à celui de l’édition en général, ceux-ci ne livrent leurs chiffres qu’au compte-goutte — à moins de passer à la caisse. Nous nous retrouvons donc réduit à considérer ce qu’il nous est possible de nous procurer sans mise de fonds — du9, faut-il le rappeler, étant avant tout une initiative bénévole et indépendante ne produisant que de la satisfaction personnelle tout en consommant de l’huile de coude.
Pour mémoire, cela avait donné lieu à quelques contorsions l’année dernière, lorsque nous n’avions eu à disposition que le (bref) communiqué de presse de GfK. Heureusement, cette année nous avons préféré nous tourner vers les données publiées dans Livres-Hebdo à l’occasion de leur dossier pré-Angoulême[2] ainsi que, miracle, le top 50 des meilleures ventes pour l’année précédente.
Enfin, nous pouvons toujours compter sur le rapport annuel de Gilles Ratier (secrétaire général de l’Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée) livré fin Décembre. Comme chaque année, on y trouve un gros travail d’inventaire qui comptabilise les nombres de sorties, catalogue les éditeurs, célèbre les plus gros tirages — et qui, chiffres et pourcentages d’évolution à l’appui, en profite pour livrer un certain nombre d’observations et d’analyses d’un intérêt très variable.

Ainsi, tous les chiffres de vente qui seront commentés par la suite sont basés sur les données IPSOS publiées dans Livres-Hebdo ; par ailleurs, toutes les informations concernant les tirages et les nombres de sortie par éditeur sont tirées des rapports annuels de Gilles Ratier.
Pour le reste, nous nous sommes appliqué à essayer de fournir questionnements divers, calculs astucieux et regard critique. Ami lecteur, lectrice mon Amour, c’est maintenant que les choses vont devenir effroyablement techniques…

Vitalité ? ou «jusqu’ici ça va, jusqu’ici ça va»

Selon le dossier de Livres-Hebdo, 2007 est «une bonne année», signant une treizième année de progression consécutive — même si quelques signes de ralentissement commencent à se faire sentir, affichant une progression plus modeste de 1.8 % par rapport à 2006. Ainsi, selon IPSOS, le marché français aura représenté en 2007 pas moins 34.1 millions de bandes dessinées vendues, pour un chiffre d’affaires de 319.2 millions d’euros.[3]
Par ailleurs, on nous fournit également deux jolis camemberts multicolores faisant état des parts de marché des principaux groupes d’éditions, soulignant la concentration extrême du marché en général (les cinq principaux acteurs contrôlant 75.6 % du marché) et du secteur du manga en particulier (les cinq principaux acteurs contrôlant 85.3 % du secteur).
Ces données sont particulièrement intéressantes, puisqu’elles permettent, indirectement, de poser la question de la vitalité affichée par ces grands groupes ces dernières années, et de juger la réalité de la «mangalisation» annoncée par Gilles Ratier il y a deux ans. Avec un peu d’astuce, on peut ainsi reconstruire les grandes lignes de répartition du marché, en mettant en avant la part du manga dans les ventes de chacun des grands groupes.


||Chiffres en millions de livres vendus||
|Groupe d’édition|Total|Manga|Part Manga|
|Média Participations|11.8|3.9|33 %|
|Glénat/Vents d’Ouest|5.4|2.9|53 %|
|Delcourt|3.2|1.4|43 %|
|Flammarion|2.8| ?| ?|
|Soleil|2.6|0.3|10 %|
|Hachette|1.6|1.2|72 %|
|Bamboo|1.0|–|– |
|Panini/Marvel|0.9|0.5|59 %|
|Kurokawa|0.8|0.8|100 %|
|Autres|4.0|1.0|24 %|
|Total|34.1|11.9|35 %|

Bien sûr, avec un prix moyen plus bas (6.7€ pour un manga en moyenne contre 9.4€ pour le marché global), les manga pèsent un peu moins dans le chiffre d’affaire des grands éditeurs. Mais les disparités sont là, entre certains éditeurs très fortement dépendants (Glénat et Delcourt, avec plus de 30 % de manga dans leur chiffre d’affaire) et ceux qui le sont nettement moins (Soleil avec moins de 10 %, ou encore Bamboo dont le label manga Doki-Doki est d’une importance très relative).

Par ailleurs, les deux années qui viennent de s’écouler ont vu le marché de la bande dessinée entrer dans une période de consolidation, en particulier au niveau de la bande dessinée asiatique. Ainsi, Delcourt a récupéré Tonkam, Hachette a fait la mainmise sur Pika, et Vents d’Ouest a repris le fond d’Albin-Michel lié à L’Echo des Savanes. Et ce n’est jamais très bon signe.
En effet, les périodes de consolidations sont des moments où les éditeurs considèrent que la croissance à venir du marché n’est plus suffisante pour supporter leur développement par des initiatives internes (ce que l’on appelle une «croissance organique»). Et malgré le fait que ce soit plus coûteux, les acquisitions deviennent alors le moyen de continuer à croître dans un contexte moins favorable (par «croissance externe»).

Cette tendance au tassement est d’ailleurs confirmée par les propos rapportés par Livres-Hebdo qui font état d’un marché du manga «plutôt stagnant». Rajoutons que tous les «blockbusters» japonais sont d’ores et déjà signés, et que le marché nippon peine à trouver de nouvelles locomotives — sans compter que le rythme effréné de parution Français rattrape à grands pas la publication originale, ce qui verrait alors les têtes de gondole passer de six ou sept volumes annuels à quatre dans les meilleurs des cas…
On imagine donc facilement des lendemains qui déchantent, certains éditeurs trop dépendants des productions asiatiques devant alors soudainement revoir leurs ambitions (et leur catalogue) à la baisse.

Vitalité ? ou «des hauts et des bas»

Cette météo chargée sur le front du manga ne décourage pourtant pas les éditeurs, puisque selon Livres-Hebdo, 41 éditeurs devraient publier du manga durant la première moitié de 2008, soit cinq de plus que l’an dernier à la même époque. Et pourtant, derrière les chiffres séduisants du secteur du manga (qui propulsent un Panini ou un Kurokawa au palmarès des plus gros éditeurs) se cache une réalité beaucoup plus tranchée, que nous avions déjà constatée l’an dernier : en manga, il y a Naruto, et les autres.
Ainsi, le top 50 des meilleures ventes pour 2007 compte pas moins de 15 volumes des aventures de l’apprenti ninja, pour des ventes cumulées de 1.3 millions d’exemplaires. En prenant en compte les 18 autres volumes sortis à ce jour, on peut estimer (à la louche) que ce sont près de 2 millions d’exemplaires de Naruto qui auraient été vendus dans l’année — une situation qui ne date pas d’hier, puisque 2006 était pareillement marquée : 17 titres dans le top 50 pour 1.2 millions d’exemplaires, et des ventes totales estimées à 1.5 millions d’exemplaires. Soit, si l’on considère que 11.9 millions de manga auraient été vendus en 2007, un manga sur six vendu en France serait un volume de Naruto.

Ce qui est sans doute le plus remarquable dans l’histoire, c’est de constater que Naruto continue à recruter de nouveaux lecteurs : ainsi, le premier tome pointe à la 23e place des meilleures ventes pour 2007, vendant plus de 81 000 exemplaires. Par ailleurs, le tome 27 (sorti en Janvier 2007) enregistre des ventes d’environ 131 000 exemplaires pour l’année pleine, en progression de 40 % par rapport au tome 21 (sorti en Janvier 2006) avec 93 300 exemplaires pour 2006.
Pas étonnant donc que le titre voie son tirage initial par titre exploser, passant de 60 000 exemplaires en 2004 à 220 000 exemplaires en 2007. Toujours pour les manga, One Piece, Fruits Basket et Nana ont tous également vu leurs tirages plus que doubler (mais avec des quantités beaucoup plus modestes), et FullMetal Alchemist enregistre une jolie progression de +60 %. On notera enfin la bonne performance enregistrée par Death Note, série qui a débarqué auréolée du statut de «nouveau hit» au Japon, et dont le premier volume (sorti en Janvier 2007) dépasse les 78 000 exemplaires vendus.
On comprend donc que les éditeurs continuent à se positionner sur le secteur, et se lancent dans des batailles de droits avec les maisons d’édition japonaises, dans l’espoir secret de dénicher à leur tour le prochain hit du manga.

Sur le front de la production non-asiatique, le bilan est beaucoup moins reluisant. En effet, les seules grosses progressions sont à mettre au compte de «produits marketing», tels Les Profs, Les Rugbymen (Coupe du Monde oblige), ou Les Blagues de Toto. Pour le reste, l’heure est plutôt aux érosions fortes…
Le tableau ci-dessous, par exemple, compare les tirages initiaux pour les dix plus grosses séries «récurrentes» de 2005, avec leurs tirages initiaux en 2007.[4] Le jugement est sans appel : en deux ans, ces locomotives du marché auraient perdu 12 % de leur potentiel, la seule série bénéficiant d’une embellie étant XIII … à l’occasion de sa conclusion et d’une double-sortie.


||Tirages initiaux comparés||
|Titre|2005|2007|Evol.|
|Le Petit Spirou|600 000|415 000|-31 %|
|Largo Winch|500 000|455 000|-9 %|
|XIII|500 000|550 000|+10 %|
|Cédric|400 000|288 900|-28 %|
|Kid Paddle|400 000|380 000|-5 %|
|Boule & Bill|380 000|350 000|-8 %|
|Le Chat|375 000|320 000|-15 %|
|Lanfeust des étoiles|300 000|300 000|-|
|Spirou et Fantasio|215 000|160 000*|-26 %|
|Les tuniques bleues|200 000|170 000|-15 %|
|Total top 10|4 055 000|3 558 900|-12 %|

Si cette tendance met en évidence quelques sérieux «réajustements», elle est généralisée. On pourrait arguer que cela a été compensé par un plus grand nombre de titres bénéficiant d’un large soutien de leur éditeur. Sauf que l’analyse des tirages fournis par les cinq grands groupes d’édition montre que, si l’on enlève les manga de l’équation, la situation s’est dégradée depuis 2005.

Le nombre de titres aux tirages initiaux supérieurs à 300 000 exemplaires reste identique, mais on constate une diminution des «poursuivants» (titres aux tirages entre 100 000 et 200 000 exemplaires) au profit du peloton des titres tirés à moins de 75 000 exemplaires — sans aucun doute la conséquence d’un marché qui s’oriente vers une dynamique de «longue traîne».
Et ainsi, la belle progression de 10 % des totaux cumulés de ces gros tirages entre 2005 et 2007, cache une réalité toute autre : des manga qui doublent leur importance (avec des tirages moyens qui progressent de 45 %), alors que les albums reculent avec des tirages moyens à -13 %…

Diversité ? ou «produire plus pour gagner … autant»

Mais bien sûr, les tirages ne sont rien si les ventes ne suivent pas. Ainsi, le Hors-Série Beaux Arts consacré à la bande dessinée évoque un taux de retours en progression de 10 % — précipitant alors la dégringolade observée plus haut. Depuis quelques années, l’idée de surproduction est alors présentée presque comme un mal nécessaire : oui, on s’attache à produire «toujours plus», mais c’est la faute aux tirages (et aux ventes) qui réduisent. Et de justifier ainsi une inflation galopante voyant le nombre de nouveautés quasiment tripler entre 2000 et 2007.
Dans les tableaux fournis en annexe du rapport de Gilles Ratier, la tendance est flagrante pour le secteur du manga, qui est en constante progression depuis 2000 (+529 % !), alors que les cinq grands groupes d’édition ont connu une évolution moins soutenue, n’enregistrant qu’une progression de +82 % en sept ans. Un constat qui a pu amener certains à agiter le spectre du péril jaune … oubliant au passage qu’une large partie de ces nouveaux titres étaient dus aux grands éditeurs eux-mêmes.
La situation est quelque peu différente lorsque l’on recompose véritablement ces grands groupes, et que l’on y intègre leur contribution au secteur du manga. A eux cinq (Soleil, Dupuis-Dargaud-Lombard, Delcourt, Glénat et Flammarion-Casterman), ils sont responsables d’environ 2000 titres par an, dont 1500 nouveautés — soit à peu près la moitié de la production. Et si l’on enlève SeeBD de l’équation (la petite maison d’édition manga ayant finalement consommé son divorce avec Soleil et récupéré son indépendance), le nombre de titres et de nouveautés sorties par ces grands groupes depuis 2004 a été en augmentation constante — enregistrant une progression de 37 % du nombre de nouveautés entre 2004 et 2007.


||Nombre de nouveautés par an||
|Editeur|2004|2005|2006|2007|
|Soleil (sans SeeBD)|149|227|305|219|
|Dupuis-Dargaud-Lombard|263|307|302|357|
|Delcourt|275|308|333|404|
|Glénat|209|252|247|242|
|Flammarion-Casterman|130|177|148|183|
|Total|896|1094|1187|1222|

Notons que le tableau ci-dessus n’inclut pas non plus les productions de Futuropolis, rattaché au groupe Gallimard dans les rapports de Gilles Ratier. Or, ce «nouvel» arrivant sur le marché est particulièrement intéressant, puisqu’après seulement trois ans d’existence, son catalogue compte déjà près de 80 livres (4 en 2005, 36 en 2006, 39 en 2007) — avec un objectif de «rythme de croisière» à 50 titres pour 2008.
En comparaison, pas d’inflation notable du nombre de productions des éditeurs dits «indépendants», qui tendent plutôt à conserver, bon an mal an, le même rythme, comme on pourra le constater dans le tableau ci-dessous.[5]


||Nombre de sorties par an||
|Editeur|’00|’01|’02|’03|’04|’05|’06|’07|
|L’Association|27|24|25|26|14|23|35|27|
|Les Requins Marteaux|–|19|16|17|14|18|17|8|
|Six Pieds Sous Terre|–|9|14|–|19|26|26|23|
|Cornélius|–|–|15|12|10|10|11|13|
|Total||52*|70|55*|57|77|89|71|

Alors que les grands éditeurs sont lancés dans une course en avant, multipliant les sorties pour préserver leurs parts de marché, les petits éditeurs privilégient le «travail du livre» et maintiennent un nombre de sorties adapté à la (petite) taille de leurs structures.
Au passage, cette recherche d’une meilleure qualité de leur approche est très certainement la raison des divers changements de distributeur que l’on a pu recenser durant l’année passée.

Diversité ? ou «cancres et premiers de classe»

Mais revenons aux meilleures ventes de l’année passée. Sans forcément que ce soit une surprise, les séries établies continuent à régner en maître, et l’on ne trouvera que deux nouvelles séries et trois one-shots dans ce top 50.[6]
Pire — sur les vingt meilleures ventes, on compte pas moins de 17 titres appartenant à des séries de 10 volumes ou plus.[7] En fait de véritables «nouveautés», ce sont plutôt les bonnes vieilles recettes que l’on nous sert ici : en 2007 comme en 2006, l’âge moyen des personnages et séries présents dans le top 50 est de dix ans — et passe à treize ans si l’on enlève les manga.[8]
Dans un tel contexte, on peut se demander comment se portent les séries a priori destinées aux plus jeunes — et de constater que Boule et Bill et Astérix et ses Amis (grosses sorties de la première moitié de l’année), ainsi que Le petit Spirou et Kid Paddle (grosses sorties de la rentrée) tirent la langue et n’arrivent pas à écouler plus d’un tiers de leur tirage initial — pourtant déjà revu à la baisse.

Du côté des lecteurs plus âgés, on pourrait penser que la tendance est plus clémente, avec un trio de tête 100 % signé Van Hamme. Oui, mais — mais il faudrait souligner que Largo Winch, pourtant sorti en Mars, n’écoule que la moitié de son tirage initial — soit une performance tout juste comparable aux deux derniers XIII sortis en Novembre.
Pas de quoi pavaner cependant pour la conclusion des aventures de l’agent amnésique : malgré un coup-double qui pousse allègrement les ventes au-delà du demi-million d’exemplaires, on notera que contrairement à Naruto (dont les tomes 1 à 7 sont présents dans ce top 50), toute l’agitation médiatique n’aura pas suffit à relancer significativement les ventes des premiers tomes de la série — échouant dans le recrutement de nouveaux lecteurs.

Derrière, la situation n’est pas vraiment reluisante : le nouveau Thorgal est en net recul par rapport au précédent (-6 %) malgré un mois de vente supplémentaire ; le dernier Lanfeust des Etoiles souffre d’une date de sortie encore plus tardive qu’en 2006 (12 Décembre contre le 6 Décembre), mais ses 26 % d’érosion sont peut-être à rapprocher des -8 % enregistrés par le Trolls de Troy sorti durant l’été ; enfin, gros coup de barre pour Le Sommeil du Monstre d’Enki Bilal, qui après une belle performance du tome 3, voit son Quatre ? perdre 46 % des ventes.
En fait, il faut vraiment descendre dans le bas du classement pour trouver deux titres en légère progression par rapport à l’année passée, à savoir Les Naufragés d’Ythaq (+8 % à 52 000 exemplaires) et I.N.R.I. (+1 % à 48 600 exemplaires).

On soulignera enfin la performance remarquable de Persepolis, qui, avec ses 93 700 exemplaires vendus, prouve qu’il vaut mieux bénéficier d’une adaptation au cinéma que d’un prix à Angoulême pour faire partie des meilleures ventes. En fait de valorisation de la bande dessinée pour elle-même, il reste encore du travail…

Par ailleurs, on notera que les «produits marketing» apparus il y a deux-trois ans commencent à montrer les limites de leur concept : le cinquième tome des Rugbymen, malgré une sortie bien calée sur la Coupe du Monde, enregistre une petite performance en n’écoulant que 41 % de son tirage initial — souffrant sans doute de se retrouver perdu dans la médiatisation ambiante ; par ailleurs on soulignera le très net essoufflement de la série des Blondes, qui marque le pas pour … son sixième tome en trois ans (avec -18 % de recul par rapport au tome 4, sorti à peu près un an plus tôt). Actualité oblige, par contre, les deux titres «politiques» de Vents d’Ouest (La face karchée de Sarkozy et Sarko 1er) enregistrent des ventes plutôt satisfaisantes, mais on peut se demander si, à terme, ils ne finiraient pas par se faire concurrence l’un l’autre.
Enfin, il faut relever les grands absents de ce top 50 — en particulier Kaamelott tome 2 (tiré à 160 000 exemplaires), le dernier Adèle Blanc-Sec (tiré à 140 000 exemplaires), ou encore le troisième volume de Magasin Général (tiré à 110 000 exemplaires), malgré des sorties à la rentrée et un pédigrée prestigieux — les tomes précédents figurant en bonne place dans les meilleures ventes 2006 (avec respectivement 89 900 – 66 700 – 53 100 exemplaires).

Ce qu’il faut retenir de cette avalanche de tendances, c’est un constat finalement assez simple : en dehors du manga, l’industrie de la bande dessinée n’arrive plus à créer de nouvelles séries phares, et peine à maintenir l’existant. La «bande dessinée populaire» aurait-elle vécu ?

Conclusion, parce qu’il faut bien s’arrêter

Il va sans dire que nous rêverions (enfin, toutes proportions gardées) de pouvoir mettre la main sur des chiffres de vente plus complets, qui permettraient de creuser plus en détail la réalité de la situation, de suivre les diverses fortunes des initiatives et des collections.[9] Mais malheureusement, il faut bien se contenter de ce que l’on a, et nous nous garderons bien de trop vouloir analyser ces quelques chiffres 2007. Voici néanmoins les grandes conclusions que l’on peut en tirer.

Le secteur du manga continue de jouer un rôle majeur dans la vitalité du marché de la bande dessinée. La plupart des éditeurs ont d’ailleurs pris position sur ce secteur, espérant bénéficier des solides performances des quelques rares best-sellers. Néanmoins, au vu des perspectives moyen-terme qui laissent entrevoir une diminution des sorties annuelles et des difficultés pour trouver des nouveautés pour la compenser, il est probable que certains éditeurs se soient dangereusement fragilisés en devenant par trop dépendants des productions asiatiques.
En dehors du secteur du manga, on note une érosion quasi généralisée des grandes séries traditionnelles de la bande dessinée franco-belge, avec des difficultés visibles à établir de nouvelles «marques». Il n’est donc pas étonnant que les éditeurs se tournent vers des «produits marketing» basés autour d’un concept simple ou liés à une licence et/ou une actualité, mais ceux-ci montrent leurs limites et résistent mal à une exploitation intensive. L’attention portée à des collections dites d’auteurs pour tenter de capitaliser sur le public des «indépendants» participe également à cette recherche de nouvelles sources de croissance dans un contexte défavorable.
Alors que les grands éditeurs multiplient le nombre de sorties pour compenser l’érosion des ventes, on constate que les «indépendants» ont plutôt tendance à modérer leur rythme de sortie, préférant lancer leurs titres dans de meilleures conditions.

A la décharge des grands éditeurs, il faut souligner, une fois de plus, que ces tops limités ne permettent pas de rendre compte de tout le reste de leur activité — les bonnes et les moins bonnes idées, les projets et les expérimentations.
Qu’il s’agisse de collections-laboratoire, d’intégrales venant revaloriser un fonds (Spirou et Fantasio ou Tif et Tondu), ou les tentatives d’hybridations plus ou moins heureuses (de Shogun à Dofus en passant par l’inutile «Lanfeust manga»), on se cherche, on explore, on tente d’amadouer cette «longue traîne» et de (re)conquérir ce nouveau public.
Avec l’érosion des valeurs sûres et dans la perspective d’une vague manga arrivant au terme de sa croissance fulgurante, jamais le proverbe/la malédiction Chinois(e) n’aura été autant d’actualité : «May you live in interesting times». En espérant que les années à venir continuent à se montrer riches en découvertes.

Et une fois de plus, ce tour d’horizon annuel est l’occasion de constater combien diffèrent les économies des grands groupes et celles des petits éditeurs — proposant en apparence la même chose (des livres de bande dessinée), mais existant dans des espaces, des problématiques et des enjeux qui ne se croisent que rarement…

Notes

  1. L’art de faire parler les chiffres, bien sûr.
  2. «Bande dessinée : La guerre des étals», p.76 à 84, Livres-Hebdo #717 daté du 18 Janvier 2008.
  3. Notons que les chiffres fournis par GfK faisaient état d’un marché plus conséquent (autour de 40 millions de bandes dessinées pour 2006), et que cela a donné lieu à une polémique en début d’année dernière. Afin de préserver une cohérence dans l’analyse qui va suivre, nous nous limiterons à considérer des chiffres provenant d’IPSOS, et à estimer que ceux-ci correspondent à un périmètre comparable d’une année sur l’autre.
  4. Ont été écartés de ce top deux titres, à savoir le dernier Astérix et le Titeuf hors-série. Notons également que le dernier Spirou et Fantasio est sorti en 2006.
  5. Chiffres basés sur les nombres de sorties fournis dans les rapports annuels de Gilles Ratier. Par ailleurs, la comptabilisation des sorties du FRMK et d’Ego comme X est absente des mêmes rapports, ce qui explique le fait qu’ils soient écartés de cette rapide analyse — mais il y a fort à parier que l’on retrouve une attitude similaire pour ces deux autres «indépendants historiques».
    Enfin, il faut noter que les autres «petits éditeurs» font généralement état de cette tendance à la modération, que ce soit Vertige Graphic, Le Cycliste, La Boîte à Bulles, Atrabile, Warum, çà et là, etc.
  6. Antarès et Death Note pour les séries, Persepolis et les deux titres sur Nicolas Sarkozy chez Vents d’Ouest pour les one-shots.
  7. 18 si l’on veut bien rattacher les sept volumes de Lanfeust des Etoiles à la série-mère.
  8. En prenant en compte la date moyenne pour la publication du premier volume des séries présentes dans le top 50 : 1997 pour le top 2007 (1993 sans les manga), 1996 pour le top 2006 (1993 sans les manga).
  9. Encore une fois, tout généreux donateur désireux de faire avancer cette cause avec une vision plus exhaustive du marché sera accueilli à bras ouverts. S’adresser à l’auteur de cet article, discrétion assurée.
Dossier de en janvier 2008