Opé(ration) trentenaire

de

68, puis 69. Et un trentenaire de plus ! Un ! Glénat a trente ans, sensation curieuse, je ne me souvenais pas qu’il ait eu 20 ans. Mais c’est vrai qu’en dix ans les choses ont changé. Le marketing s’est installé (avec pour devise : plus ou jamais) en même temps que l’avènement d’une époque dédiée aux chiffres et au festif.

Pas 29 ! Pas 31 ! Mais 30 albums ! Pas un de plus. Chronologiquement trois décennies : la 70 (revival des 90’s), la 80 (revival comme il se doit des années 2000, roman familial oblige), et la 90 c’est à dire le présent (et futur revival des années 2010). Comme la 90 a du plomb dans l’aile, Glénat dans sa grande générosité vous refile du 2000 aussi (et en même temps on amortie une dernière fois la symbolique 2000, Y ‘a pas de petites économies et puis c’est vrai que ça coûte rien…. etc.). D’où 30 divisé par 4 = 7,5 albums par décennie. Mais comme un album ne peut pas se diviser en quatre, pour que les parts soient justes, elles ne le seront pas. Donc pour 70 : 6 albums, pour 80 : 12 albums, pour 90 : 7 et pour 2000 : 5. Comme 90 et 2000 au-delà du symbolisme, reviennent (finalement hein !) à la distinction anglo-américaine early nineties et lately nineties on additionne et on obtient 12 soit le même chiffre que pour les 80’s ! ! ! ! ! Naaaannnn ! Sssiiiiii ! Belle égalité Jacques ! Pour les 70 t’es un peu lège, mais c’est vrai qu’au début t’étais limite éditeur du fanzine Schtroumph, ce n’est qu’avec Circus (lately seventies) que tu deviens un éditeur sévèrement burné (golden balls) comme on dit chez les chefs d’entreprise. Donc OK pour le partage.

Bon maintenant du concret, voyons les titres : Pour les 70 : 3 titres sur 6 sont antérieurs aux seventies. OK, c’est pour montrer le passé rééditeur de Glénat dont le fameux Futuropolis de Pellos, chef-d’oeuvre des années 30. Mais le problème c’est cette phrase en quatrième de jaquette couvrante : « de la créativité des années 70 à la maturité des années 80 de la consécration des années 90 aux nouvelles tendances des années 2000 » Pellos et Marijac créativité des 70’s ! ! ! ! Pour le reste il s’agit de Bretécher et ses Gnan Gnan, de Bourgeon et ses deux albums de Brunelle et Colin en intégrale et surtout du Baron Noir, chef-d’oeuvre génial de Got et Pétillon. Chronologiquement, tout ça colle, même si ça frisotte dans le eighties.

Ensuite, 12 albums pour les années 80, là, le Jacques il assume à fond ! Par contre, question « maturité des années 80 » cela me fait encore une fois marrer. C’est plutôt l’immaturité qui triomphe avec cette décennie qui s’auto-consacre dans les années 90, et devient méga tendance pour les 2000 [1] . Des titres comme l’intégrale du Professeur La palme (De Briel), Le marchand d’idées (Cossu et Berthet) font ronfler et ont pris un sacré coup de vieux. L’intégrale d’Arno dessinée par Juillard sur un scénario de Martin apparaît bien bavarde. Pourquoi ne pas avoir choisi l’intégrale des 7 vies de l’épervier ? Idem pour Ballade au bout de monde, pourquoi son absence ? S’il y a deux bandes dessinées emblématiques des années 80 ce sont bien celles-ci. Mais c’est vrai, les intégrales étaient déjà faites ou disponibles, ça ne pouvait pas rentrer dans « l’opé ». Voilà pourquoi dans toute cette liste on ne trouve que des titres qui n’étaient plus disponibles depuis belle lurette : Vic Valence de Autheman ou Sam Pezzo de Giardino [2] . Deux séries sous forme, là encore, d’intégrale. Perramus tome I réunissant le vol I & II n’était plus disponible depuis quelques mois. Big City n’était pas entièrement disponible non plus, idem pour La Crève. En regardant bien, je suis sûr que Raymond Calbuth en intégrale nécessitait une réimpression. Pareil pour Mordillo.
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La réédition de La Crève s’explique peut-être aussi par ce que la gestion de trois albums coûte plus cher qu’un album tout seul. Et puis quand on fait une campagne de pub pour 30 livres on divise aussi la promotion d’un livre par trente, non ? Le plus drôle dans tous ces livres en jaquette, c’est que la seule nouveauté de tout ce lot est Humour Chronique de Serre. Mais ainsi habillé impossible de le distinguer des autres.

Pour les nineties la chronologie débloque carrément, Grimion gant de cuir par exemple est typiquement années 80, idem pour Sambre. Pourquoi les mettre là ? A cause de leurs scores de vente au maximum dans les 90’s ? Sûrement, et la présence d’Akira ne peut s’expliquer qu’ainsi, puisque Otomo l’a réalisé entre 82 et 88. Bien entendu, c’est aussi un moyen simpliste de rappeler que Glénat fût un pionnier de l’édition en français des mangas. En tout cas les albums des années 90 et 2000 montrent la pauvreté et le peu de renouvellement de la bande dessinée chez Glénat. Entre les mélos plus ou moins « Vécu » et l’aventure éditoriale manga il n’y a quasiment rien. Sur les 5 volumes classés espoir 2000, 3 font directement référence aux mangas et à son esthétique (Nomad, HK, et Malika Secouss). La pauvreté des scénarios est le plus souvent au rendez-vous. Idem avec Le troisième testament sorte de croisement entre un Nom de la rose version abrégée avec de l’esthétique « héroïque fantaisie ». Seul Zep et son Titeuf mérite le titre « tendance 2000 ». Même si son registre est assez classique, il a un style sympathique qui cartonne auprès des collégien(ne)s.

Le mot intégral a été souvent prononcé, car l’intégrale est bien pratique. Moins de gestion de titres de catalogue, elle est idéale pour les périodes de fêtes (de + en + nombreuses) de l’homo festivus. Douze Malfada en un seul volume, ah le poids et le volume du beau livre (comprendre gros livre) si cher (tellement cher aussi) à la tradition du papier cadeau emballant qui repose sur l’équation suivante : la taille du cadeau est proportionnelle à la générosité du geste. De là à dire que les jaquettes sont le papier cadeau et la grosseur des livres les arbres abattus qui ne cachent plus le désert. Oui !

Bon on résume : cette opé(ration) est une affaire d’intégrales, de rééditions et de meilleures ventes en jaquettées sous un prétexte commémoratif pour une optimisation du catalogue Glénat. Alors pas de quoi s’extasier, les prix des albums ne sont pas plus bas et la langue de bois toujours aussi bien pendante (comme d’habitude). Ne remerciez pas Jacques Glénat [3] , il fait du boulot d’éditeur ni moins peut-être, ni plus pour le lecteur surtout ! Cet habillage de jaquettes commémoratives et « posterisables » en leur verso ne fera fantasmer que les collectionneurs ou les acheteurs compulsifs. Ayons une pensée pour ses pauvres victimes.

Notes

  1. Pour plus de précision je vous renvoie à l’appui-tête B.d. adulte vs bédés pour adultes.
  2. Glénat réédite en même temps mais pas sous jaquette : Max Fridman, c.q.f.d.
  3. Toujours dans la quatrième de couverture des jaquettes couvrantes l’expression neuvième art est mentionnée avec des guillemets, c’est-à-dire avec des pincettes au cas où ! On ne sait jamais ! Si je m’appelais Jacques Glénat ancien éditeur des légendaires Cahiers de la bande dessinée je ne mettrais pas de guillemets à neuvième art.
Site officiel de Glénat
Dossier de en juin 1999