[SoBD2016] Revue de littérature
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Renaud Chavanne : Lorsque nous avons voté pour élire l’ouvrage lauréat du prix Papiers Nickelés SoBD 2016, nous avons procédé en deux tours, comme à notre habitude. À l’issue du premier, nous avons établi une short list, dans laquelle se trouvait un autre titre qui a beaucoup retenu notre attention, et que l’on peut cette fois ranger dans l’une des catégories évoquées plus tôt. C’est l’ouvrage intitulé L’Art de Morris, qui est le catalogue d’une exposition portant le même nom, installée à la Cité de la Bande Dessinée et de l’Image (CIBDI) d’Angoulême.
Les catalogues d’expositions se multiplient. J’ai déjà évoqué ceux des expositions organisées par Leclerc à Landerneau. En parlant de catalogues d’exposition, peut-être avez-vous assisté à la rencontre précédente, intitulée « Peut-on parler de bande dessinée sans parler d’Hergé » [avec Christian Rosset, Benoît Peeters et Jochen Gerner, NDLR]. Je ne sais pas ce qu’ils en ont conclu, quoique, connaissant les intervenants, j’ai quand même une petite idée sur la question. Toujours est-il qu’en ce qui nous concerne, nous avons fait le choix de ne pas commenter ici cette année d’ouvrage sur Hergé, et j’en suis très heureux. Autrement dit, nous ne parlerons pas d’un autre catalogue, celui édité par la RMNGP pour l’exposition Hergé du Grand palais. Surtout parce que cet ouvrage n’a pas grand intérêt. Ce n’est pas le cas du catalogue Morris. L’exposition de la CIBDI était consacrée à un auteur que tout le monde connaît, mais auquel peu de travaux ont été dédiés alors pourtant qu’il le méritait. Morris est un dessinateur tout à fait exceptionnel. Il a dessiné toute sa vie les aventures d’un personnage, Lucky Luke, qu’on peut encore relire avec plaisir des années après. Elles ont conservé tout leur sel, tout leur piquant, et le dessin est vraiment remarquable. Le catalogue est à la hauteur. C’est, somme toute, une réussite. Qui souhaite nous en parler
Harry Morgan : Je résumerais les choses en un mot. Avec l’exposition qui est donc pérennisée dans ce catalogue, nous découvrons Morris comme graphiste. On l’avait complètement oublié parce que les histoires sont très attachantes et sympathiques, et de fait on peut les relire toute sa vie si on aime ça. Du coup, nous n’avions pas vu ce qui crevait les yeux, à savoir l’importance du dessinateur comme graphiste. On peut constater en feuilletant le catalogue l’évolution de Morris qui correspond à son apprentissage du métier de dessinateur. Encore qu’il n’a pas grand-chose à apprendre, puisque, au fond, c’est au point tout de suite. Mais on traverse avec ce livre les tentatives de Morris, les différentes directions qu’il prend, les différents styles qu’il essaye. Ça commence avec un style tout rond, qui n’est pas exactement le style de Disney d’ailleurs, contrairement à ce qu’on pourrait penser à une lecture un peu rapide. C’est plutôt le style des dessins animés de l’époque, réalisés alors pour le cinéma, pour les projections en salle. En particulier ceux de la firme UPA, les Mister Magoo et autres, qui datent exactement de la même époque (1949 pour Mister Magoo). Traverse encore l’œuvre de Morris, à un moment de sa carrière, l’influence de Mad, c’est à dire que Morris essaye d’intégrer l’humour madesque à son travail, via l’apport de la caricature. Morris, qui fait des caricatures d’acteurs Hollywoodiens pour le Moustique, en vient à se dire qu’il pourrait les utiliser dans Lucky Luke. Et c’est quelque chose qui va perdurer. Il fera des caricatures pendant toute son existence. D’ailleurs tout reste chez Morris, et c’est là également une chose fascinante. Il essaye tour à tour différents langages graphiques, mais tout ce qu’il essaye laisse des traces dans son style, y compris d’ailleurs le côté rondouillard des commencements.
Il y a des phases chez Morris, par exemple une phase grouillante, au début. Si l’on veut bien m’autoriser une réminiscence personnelle, enfant j’étais assez attaché aux premiers albums, parce que j’étais sensible à cet aspect là. Il y avait un côté mal peigné et grouillant dans le dessin. Par exemple, quand le gangster sort du saloon, les sympathiques villageois sont une collection de têtes avec les nez collés au bord du trottoir en bois (parce qu’ils sont cachés en dessous). Et tout cela est exécuté d’un trait qui n’est pas propre ni léché. Cette manière de faire va également persister plus tard, à l’état de trace. Ceci étant dit, à un moment, ça y est, le système de Morris est en place. La phase de recherche et d’expérimentation formelle dure assez longtemps, mais une fois que le système est au point, il ne bouge plus. Par exemple, en 1958, voilà les villes en perspective et en contre-jour, qui sont devenues presque emblématiques de la série. Ces panoramas sont mis au point dans l’album Lucky Luke contre Joss Jamon. À partir de là, ça ne bougera plus, Morris procédera de la sorte jusqu’au bout. Ce qu’on découvre avec ce livre, c’est un Morris graphiste, et c’est une découverte qui n’est pas sans importance.
Renaud Chavanne : C’est très beau de revoir les dessins de Morris agrandis en gros plan. Mais ce catalogue comporte également une dimension analytique, qui est relativement judicieuse, avec des études sur la couleur, sur les transformations de l’image, sur la composition. Sur ce dernier point, j’aurais assurément quelques objections à faire, mais il faut souligner que l’approche globale ne se contente pas de mettre des images les unes à côté des autres, elle cherche également à les commenter, à les expliquer. Et cela fonctionne très bien.
Antoine Sausverd : C’est vraiment un bel ouvrage, qui reproduit bien la scénographie de l’exposition et qui remet en avant le graphisme. Mais il y a aussi tout un travail sur les perspectives, et de manière générale sur les effets visuels employés par Morris, qui sont vraiment mis en évidence à travers l’iconographie et à travers les textes. Les textes en question sont collectifs, parfois signés parfois non. Cette façon de faire produit un peu de redondance et manque parfois d’une direction d’ouvrage qui aurait pu uniformiser ou unifier la totalité du propos. Mais c’est un très bel ouvrage, très intéressant. Grand public en plus, c’est-à-dire que on peut rentrer dedans en étant fan ou…
Renaud Chavanne : Ce n’est pas un ouvrage universitaire. Le livre est même, à mon avis, plus intéressant que l’exposition dans la mesure où il nous épargne son aspect didactique. Si vous avez eu l’occasion de visiter l’exposition, vous avez pu voir le dispositif qui y a été mis en place, notamment dans l’optique d’accueillir des enfants. Comme c’est une exposition Lucky Luke, les enfants vont venir. On reconstitue donc l’univers de la bande dessinée, avec des portes de saloon et autres choses sans aucun intérêt, on prévoit des petits jeux, etc. Tout ceci est évacué du catalogue. On nous montre les dessins de Morris qui a eux seuls valent largement le déplacement.
Voilà pour le catalogue L’Art de Morris. Franchement, le match pour le prix Papiers Nickelés SoBD a été très serré cette année, et ce livre n’est pas passé loin. À peu de chose près, il aurait pu être le lauréat 2016.
Restons dans le genre du Western. Nous allons à présent évoquer un livre paru dans une collection que j’ai déjà citée, à savoir la collection « Esprit BD » de la maison Karthala. Le lancement de cette collection a été annoncé sur le SoBD, il y a quatre ans, dans notre première revue de littérature. Son initiateur, Philippe Delisle, était venu pour la présenter. Elle compte à présent une dizaine de titres, dont plusieurs écrits par Philippe Delisle lui-même. Le livre dont il va être question à présent est de Tanguy Villerbu et il s’intitule BD Western, histoire d’un genre. Vous allez le constater, les avis sont assez partagés sur ce titre…
Manuel Hirtz : C’est un livre d’historien. L’auteur est un historien et un universitaire. C’est un ouvrage qui montre les problèmes que posent certains universitaires quand ils s’intéressent à la bande dessinée : alors qu’il est sensé parler de la bande dessinée française et belge, en bon héritier de la classe moyenne intellectuelle, Tangi Villerbu n’évoque en réalité que des westerns qu’ont pu lire les enfants de la dite classe. Il nous parle de Spirou, de Tintin puis de Pilote ; ensuite viennent (À Suivre), puis Vécu puisque l’auteur est historien et que tous les historiens adoraient Vécu. Il n’est question par ailleurs que d’une bande dessiné du journal Vaillant et d’une autre de Marijac. Le problème, c’est donc que l’auteur oublie, grosso modo, 80 % de ce qui se publie à l’époque. Résultat, quand il nous dit que la bande dessinée des années cinquante-soixante est catholique familialiste, puis que ça devient plus ambigu dans les années soixante-dix avec Blueberry et qu’à partir des années quatre-vingt-dix on n’y comprend plus rien, il n’en n’apporte pas la démonstration, puisqu’il n’étudie pas le corpus dans son intégralité.
Et même dans ce qu’il étudie, il a une fâcheuse tendance à aller au plus facile. Quand il parle de Lucky Luke, par exemple, il s’attarde uniquement sur les épisodes scénarisés par Morris qui sont assez simples, qui sont en réalité de petits dessins animés ; il n’aborde parle pas du tout le Lucky Luke de Goscinny qui est beaucoup plus ambigu, dont le discours est beaucoup plus subtil. D’autre part,
Tangi Villerbu traite du reste de la bande dessinée européenne à partir du début des années soixante-dix, parce que c’est la période où elle paraît en album. Il en résulte qu’il évoque des bandes dessinées italiennes ou espagnoles parfaitement secondaires dans l’histoire de la bande dessinée, et qu’il en oublie complètement d’autres, comme Tex Willer, une institution en Italie qui dure depuis 1948 et qui a été publiée en France où elle se vendait à une certaine époque encore mieux qu’en Italie.
L’autre problème que pose le travail de Tangi Villerbu, c’est qu’il ne prend pas en compte la forme, comme c’est le cas chez beaucoup d’historiens universitaires. Il en découle qu’il parle du Corentin chez les peaux-rouges de Cuvelier comme d’une approche catholique et familialiste, puis du Chihuhua Pearl de Giraud et Charlier comme d’une vision érotisée de la femme. Le problème c’est que certes Chihuahua Pearl est une vision que je dirais modestement érotisée de la femme. Mais beaucoup moins que les histoires du jeune Corentin de Cuvelier, qui sont véritablement des monuments de sensualités, n’est-ce pas ? Que dire d’autre ? J’ai dit le principal.
Renaud Chavanne : Oui, il a dit le principal. Mais je voudrais essayer d’adoucir le jugement de Manuel sur ce livre. C’est un livre qui en effet a été écrit par un historien, qui n’est pas un historien de la bande dessinée mais du western, ou plus précisément de la réception du western en France. En ce qui me concerne, j’ai trouvé cette approche intéressante. Il découpe l’histoire en grandes périodes, qu’il introduit chacune par un discours général, une contextualisation, détaillant ce qu’est le western et comment il est perçu en France. Et c’est dans ce cadre qu’il introduit les ouvrages de bandes dessinées étudiés, avec les limites que Manuel nous a signalées. Mais enfin, cette contextualisation n’est pas inintéressante. Reste que dans la dernière partie, il n’arrive manifestement pas à trouver l’axe directeur permettant de dévoiler les grandes orientations du western et de sa perception, chose qu’il avait fait pour les époques initiales.
Manuel Hirtz : Mais a t-on vraiment besoin d’un historien pour nous expliquer que le journal de Spirou est plutôt de tendance catholique ? Je m’en rendais compte, étant protestant, quand j’avais dix ans.
Renaud Chavanne : Oui, mais là tu simplifies un petit peu !
Manuel Hirtz : Tangi Villerbu commence par expliquer que, dans les années trente et jusqu’à la fin de la guerre, le Far West est un Far West contemporain, c’est à dire que les héros des bandes dessinées vont au Far West. Après, explique-t-il, on passe au western. Mais ce n’est pas exactement vrai ! Ça continue. Tous les héros de bande dessinée jusqu’à la fin des années soixante sont allés dans un Far West contemporain : il y a deux épisodes de Bibi Fricotin là-dessus et un épisode des Pieds Nickelés. Ils vont tous au Far West à l’époque contemporaine. Et l’auteur semble ne pas se rendre compte non plus, du moins c’est l’impression qu’on a, que le western comique est un genre en lui-même. Chaque revue de bande dessinée avait son western comique, Lucky Luke n’est pas du tout une exception dans le paysage du western en bande dessinée. Les illustrés italiens qui publiaient chez nous dans Pepito, dans Pipo, etc. regorgent de westerns humoristiques. Et cela à une époque où Lucky Luke était à peine connu !
Harry Morgan : Je suis d’accord avec la critique de mon camarade Manuel Hirtz assis au bout de cette table. À la décharge de Tangi Villerbu, je pense que l’ouvrage a été mal relu tout simplement et que par exemple les coquilles systématiques sur les noms propres des dessinateurs donnent un effet des plus fâcheux. C’est le premier ouvrage que je rencontre dans ma longue carrière de lecteur d’ouvrages sur la bande dessinée où le premier nom d’auteur à la première page est écorché. Mais notre historien connaît sinon l’histoire de la bande dessinée du moins celle de l’ouest. II part sur de très bonnes bases, puisqu’il commence avec Gustave Aimard, soit donc la littérature populaire écrite en France. Cette vision française du western, c’est une excellente base de départ. Il aurait fallu continuer sur cette lancée. Cependant je crois que l’auteur cède à un travers qui consiste à chercher les évolutions sociales, ou en tout cas les évolutions du discours, à travers les bandes dessinées. Toutes ces histoires d’une bande dessinée plutôt conformiste avec des valeurs familiales dans les années cinquante suivie d’une prétendue révolution dans les années soixante ou soixante-dix, ne nous mènent nulle part. Il ne s’agit évidemment pas de remettre en cause le principe même de l’étude de contenu, mais enfin, essayer de discerner l’évolution sociale de l’après soixante-huit à travers le genre de la bande dessinée, cela amène presque inévitablement des simplifications. La bande dessinée de chaque époque est structurée par différentes tensions, différentes préoccupations et véhicule plusieurs discours. Ceci dit, le western appartient, faut-il le préciser, à un genre, qui est un genre épique, qui s’installe donc dans le paysage aventureux qu’est celui de l’Ouest. Même dans les années cinquante, cela va donc propager un modèle narratif qui est celui du héros solitaire confronté à des ennemis. Dieu sait que les adversaires de la bande dessinée en France, autrement dit les éducateurs, ont assez reprochés à tous les genres aventureux, et au western en particulier, d’être une littérature déboussolante et désinsérante, précisément parce que ça ne parlait pas de la vrai vie, telle qu’elle existe, avec des vraies personnes qui ont des vraies familles. Il n’est pas possible de reprocher à la bande dessinée, à des périodes différentes, tout et son contraire, d’entendre les éducateurs des années cinquante se plaindre de la nature déboussolante du western, en précisant au passage que c’est très peu français, pour ensuite écouter dans les années deux mille, dix autres personnes expliquer que les mêmes bandes dessinées sont conformistes. Il faut être un peu prudent…
Renaud Chavanne : Bien. Si malgré ça vous avez envie de lire ce livre, vous pourrez le trouver sur le stand de Stripologie.com…
Manuel Hirtz : Nous le recommandons aux sociologues. C’est un intéressant document quant à l’état d’esprit des historiens.
Renaud Chavanne : Portons-nous à présent sur un livre de Philippe Aurousseau consacré à Robert Dansler, un auteur de bande dessinée qui était extrêmement célèbre en son temps…
Manuel Hirtz : Non, il a été très productif, mais peu célèbre.
Antoine Sausverd : Robert Dansler, dit Bob Dan ou L’âge d’or des récits complets. C’est un ouvrage signé Philippe Aurousseau, publié aux éditions de L’Oncle Archibald. 128 pages en papier glacé, intégralement en couleurs, c’est un bel effort de reproduction d’image. Il s’attache à retracer en détail l’œuvre et la vie de Robert Dansler dit Bob Dan, né en 1900 et mort en 1972, que l’on surnomme apparemment le stakhanoviste de la bande dessinée des années cinquante. Il a réalisé des milliers et des milliers de pages pour la presse, ainsi que pour ce qu’on appelle les « récits complets ».
Comme le disait Renaud, c’est un livre qui fait partie de la sphère des livres de fan. Il procède de manière assez classique, en retraçant de la façon la plus complète possible la vie et l’œuvre de Robert Dansler. Philippe Aurousseau cherche à accumuler un maximum d’informations sur ce dessinateur, en commençant évidemment par détailler sa vie personnelle, puis sa carrière. Il s’intéresse à l’ensemble des travaux de Dansler. Aurousseau s’est apparemment appuyé sur les archives personnelles de Dansler : le livre contient beaucoup de photographies, mais aussi des extraits de la correspondance de Dansler, intéressante pour retracer le rapport entre le dessinateur et ses éditeurs.
Bob Dan s’est fait surtout connaître dans l’après-guerre avec ses récits complets pendant la période faste de ce genre, et d’ailleurs le livre est sous-titré « l’âge d’or des récits complets ». Les récits complets étaient des illustrés, vendus en kiosque je crois, avec des couvertures aux couleurs criardes, bon marché. Ils racontaient des histoires (pourrais-je dire simples) d’aventures, de science-fiction, de western, etc. Des histoires captivantes, alléchantes. Bob Dan s’était fait une spécialité de ce genre, travaillant notamment pour des éditeurs bien connus, comme Jean Chapelle, Cino Del Duca ou Artima, le fameux éditeur de Tourcoing pour lequel il a travaillé pendant plus de vingt ans en flux tendu. Dansler était extrêmement demandé par Artima.
Le livre n’est pas une simple bibliographie. Il profite précisément d’une iconographie assez riche. Il nous présente également des aspects thématiques de l’œuvre de Dansler, même si c’est survolé. Cela nous permet de découvrir un dessinateur qu’on ne connaissait pas (enfin, que je ne connaissais pas du tout en ce qui me concerne), ainsi que ses héros les plus célèbres comme Jack Sport, une sorte de jeune détective français toujours prêt à défendre la cause des plus faibles, Tarou, un tarzanide, et, justement, un cow-boy, Bill Tornade, agent fédéral au Far West, qui accomplit un travail de pacification auprès des populations indiennes. Toute une époque, avec apparemment quand même un certain succès.
Une partie du livre est dédiée aux travaux annexes de Dansler, c’est-à-dire hors bande dessinée, comme ses couvertures de romans, les nombreuses illustrations publicitaires, etc. L’ouvrage se termine par quelques approches thématiques du style graphique de Bob Dan, et par un aperçu de ses thèmes favoris. J’aime bien le passage sur les automobiles, avec une page entière dédiée à ses dessins d’autos et de motos — Aurousseau précise que Dansler était mauvais en la matière. L’ouvrage, très généreux avec ses nombreuses illustrations, se veut comme un ouvrage de référence sur un dessinateur inconnu. Il me l’a fait découvrir. Et je préfère ce genre de livre, avec ses défauts, à un énième livre sur Tintin, aussi intéressant puisse-t-il être.
Manuel Hirtz : Par delà l’œuvre de Dansler, dont on pense ce qu’on veut (moi je l’aime bien, pour des raisons biographiques), ce qui est intéressant c’est qu’on voit là un imagier, comme j’aime les appeler, tels qu’ils existaient dans les années quarante et cinquante. Dansler est quelqu’un qui travaille à flux tendu, comme Antoine le disait très bien, et dont le sort n’a pas été… je n’ai pas lu l’ouvrage encore, je viens de me le procurer, mais je pense qu’il y a des détails sur la biographie qui montrent que les choses étaient dures. Je me souviens avoir lu une interview de la veuve de Bob Dan qui expliquait qu’il travaillait le matin de 9h à 12h, puis de 13h à 18h et qu’il s’y remettait un peu à 20h, après le dîner quand il avait des choses à finir.
Renaud Chavanne : C’était un artiste de formation classique. Il voulait être peintre.
Manuel Hirtz : Oui, et c’est un bon animalier. C’était un mauvais dessinateur de voiture, mais quand il le souhaite, c’est un assez bon animalier.
Antoine Sausverd : En effet, tout un aspect du livre, je ne l’avais pas précisé, est consacré à la vie de Dansler et à son engagement en tant que défenseur du métier de dessinateur, puisqu’il a fait partie du syndicat des dessinateurs de presse. Avant-guerre, déjà, il était un peu engagé puisqu’il a travaillé pour Mon camarade et des revues communistes. Après-guerre, il s’est investi dans le syndicat pour les dessinateurs de presse pour l’enfance, où il avait des fonctions de responsable. Toute sa vie, il s’est engagé. Et dans la correspondance reproduite dans le livre, on observe les rapports entre les dessinateurs et les éditeurs, notamment américains.
Renaud Chavanne : Tout ça conduit à la loi de quarante-neuf sur les publications destinées à la jeunesse.
Manuel Hirtz : Il a donc travaillé pour Mon Camarade de Georges Sadoul, futur auteur de grands pamphlets contre la bande dessinée, qui avait lui-même auparavant publié des bandes dessinées dans une revue destinée aux petits communistes !
Renaud Chavanne : Il y a un travail à faire, peut-être universitaire, sur ces questions de représentation des artistes et des auteurs. Il y a deux ans, nous avions précisément organisé une des rencontres du SoBD autour des problématiques de représentations des auteurs et des éditeurs de bande dessinée. Existe en effet aujourd’hui et depuis 2007 le groupement BD, comme branche du Syndicat National des Auteurs et des Compositeurs (SNAC), connu sous le nom de SNACBD. Existe également depuis 2014 un Syndicat des Éditeurs Alternatifs (SEA). Il y a deux ans, j’avais cherché à trouver quelqu’un qui puisse nous parler de cette représentation des auteurs de bande dessinée, et éventuellement des éditeurs, dans le temps, puisque les syndicats de dessinateurs existent depuis la première moitié du XXème siècle. Mais je n’ai pas trouvé d’intervenant en mesure de produire un panorama de ces institutions, de ces regroupements d’auteurs qui se sont rassemblés pour défendre leur métier. C’est pourtant intéressant. Dans l’ouvrage d’Aurousseau, on observe les enjeux qui étaient ceux de Robert Dansler, comment la bande dessinée américaine est un danger économique pour ces auteurs, entraînant une baisse des prix drastiques avec l’importation de bandes déjà financées et pour lesquels seuls des droits de reproduction sont dus en France. Ces bandes produisent des marges importantes pour les éditeurs, mais elles contribuent à diminuer le prix de la planche.
Thierry Lemaire : Il faut dire deux mots de la maquette… C’est vraiment dommage parce qu’il y a beaucoup de choses à refaire. C’est un livre de fan… Si on le compare à celui de Malabar…
Renaud Chavanne : Mais Malabar, c’est Dupuis.
Thierry Lemaire : Oui oui, bien sûr. Mais c’est dommage.
Renaud Chavanne : Dupuis, ce n’est pas L’Oncle Archibald. Nous avions fait le même reproche l’année dernière au livre de Jean Depelley sur Kirby [Jack Kirby, super-héro de la bande dessinée, NDLR]. Nous en avions beaucoup discuté. Le livre de Depelley est riche d’une iconographie extrêmement abondante et très intéressante. On y voit par exemple comment les dessins de Kirby ont été retouchés lors de l’encrage, sur demande de la rédaction, et comment donc la chaîne du travail des comic books américains influait sur la transformation du livre. Mais la maquette du livre de Depelley est criarde. Si l’on regarde le livre suivant publié par Neofelis, celui de Feragati sur les super-héros à la française, on constate que le livre est beaucoup mieux conçu, plus agréable à lire.
Je souligne le fait que l’autoédition s’est développée fortement dans la bande dessinée. On peut voir, sur le SoBD, un grand nombre d’ouvrages splendides, faits par des gens avec peu de moyens, qui éditent pour le plaisir de faire des livres. Finalement, c’est la même chose qu’on observe dans les livres qui étudient la bande dessinée. Apparaissent des livres publiés par des gens qui n’en auraient jamais fait auparavant. Ils font ces livres avec leurs moyens. Ce sont des passionnés, pas des graphistes. Cela produit effectivement des objets étranges : beau papier, belle reliure à dos carré. Ce sont des ouvrages de bonne facture, mais effectivement, parfois, on a ce sentiment qu’ils pourraient être un peu plus travaillés.
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