[SoBD2023] Revue de Littérature
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La Revue de littérature est une table ronde qui se tient tous les ans sur le SoBD depuis plus de dix ans, et qui se consacre à un commentaire sur les ouvrages sur la bande dessinée parus dans l’année.
Renaud Chavanne : Bonjour à tous. Voici la traditionnelle Revue de littérature du SoBD. C’est la dixième. Cela fait donc dix années que nous nous présentons devant vous avec une sélection d’ouvrages sur la bande dessinée, afin de vous dire ce que nous en avons pensé.
Comme nous commentons chaque année une grosse dizaine de livres, en dix ans cela fait 60, 70, peut-être 80 ouvrages, soit l’équivalent d’une production annuelle. En effet, cette année nous avons recensé 79 ouvrages sur la bande dessinée, soit autant de titres qui étaient en compétition pour le Prix SoBD, et parmi lesquels nous avons choisi ceux dont nous allons parler dans cette Revue de littérature.
À noter que la volumétrie est à peu près stable puisqu’en 2022 le compte s’établissait à 78 ouvrages, de même qu’en 2021. En ordre de grandeur, on peut dire qu’il paraît chaque année une petite centaine de livres consacrés à la bande dessinée, ce qui est tout de même une belle performance.
Je commence par quelques indications générales offrant un panorama de ces ouvrages. 40 % d’entre eux concernaient cette année l’aire culturelle franco-belge, c’est-à-dire la littérature qui nous est la plus proche. C’est assez logique.
Cette année, la part du manga représente 13 % de ces livres. En la matière, ce sont essentiellement des ouvrages didactiques ou alors des guides. J’entends par ouvrages didactiques qu’on nous apprend comment dessiner des mangas, comment créer des personnages pour le shôjo manga, pour le shônen manga et ainsi de suite. Au sein de la littérature secondaire, l’intérêt,de cette littérature didactique a souvent fait les frais de nos conversations de spécialistes. Mais rappelons que nous avions signalé il y a quelques années le caractère remarquable d’un ouvrage didactique, portant en l’occurrence non sur un Japonais, mais sur un Britannique, Dave Gibbons. Intitulé Dave Gibbons, les secrets d’un maître, publié chez Eyrolles, le livre avait été réalisé par Tim Pilcher en collaboration en collaboration avec le dessinateur. Il détaillait sa façon de travailler le dessin mais aussi le lettrage, la titraille. Vraiment, un ouvrage remarquable, dont nous avions dit à l’époque beaucoup de bien.
Cette prédominance des ouvrages didactiques sur les mangas est assez compréhensible puisque lorsque les nombreuses personnes qui en lisent, souvent des enfants ou des jeunes gens, veulent prolonger leur lecture, ce sont ces formes de bandes dessinées qu’ils privilégient. Le manga, c’est la littérature populaire d’aujourd’hui.
Parmi les titres dont nous vous parlerons aujourd’hui se trouve un de ces ouvrages didactiques sur le manga selon l’école Shônen Jump. Florian vous dira deux mots.
Dans la sélection des nominés pour le Prix SoBD se trouve un titre consacré aux mangas, à savoir le catalogue du FIBD édité par 9eArt+, sur le Mangaka Ryôichi Ikegami. Mais nous avons un problème avec ces catalogues : nous n’arrivons jamais à vous les montrer. Ils sont impossibles à trouver sinon pendant et sur le festival d’Angoulême. Ces livres, généralement de qualité, pilotés par Xavier Guilbert, connaissent donc un gros problème de distribution. On a du mal à les trouver. Nous ne sommes même pas arrivés à mettre la main sur un exemplaire pour vous le montrer, raison pour laquelle on n’en parlera pas davantage.
Je poursuis notre panorama : 10 % des titres cette année portaient sur les comics.
Et puis, c’est à noter, ils ne sont pas nombreux mais ils sont tout de même trois, trois titres portaient sur l’aire culturelle africaine. Nous en reparlerons. Et nous comptons également deux titres sur l’aire culturelle sud-américaine. Ces aires culturelles non négligeables pour la bande dessinée, ne sont au final pas totalement absentes de notre littérature secondaire.
Autre phénomène de cette année, le retour en force de la littérature sur Hergé. Neuf ouvrages, 11 % de la sélection, sont des livres consacrés à Hergé. Et je pense que ce n’est pas fini, étant donné que certaines maisons d’édition très spécialisées, comme 1000 Sabords, sont extrêmement prolifiques et publient, je dirais à tour de bras des ouvrages sur le créateur de Tintin. Il y a cinq ou six ans, nous avions monté sur le SoBD une table ronde qui s’intitulait : « Est-il possible de parler de bande dessinée sans parler d’Hergé ? » Il semblerait que non. En dépit de nos vœux les plus chers, on est toujours obligé de parler d’Hergé.
À noter également l’importance des ouvrages académiques. Sept ouvrages universitaires qui sont tous, hormis le livre d’Erwin Dejasse, des ouvrages collectifs, et qui ont cet intérêt de permettre à de jeunes chercheurs de mettre le pied à l’étrier. C’est un point positif. Je relève à toutefois une certaine frénésie. Frédéric Chauvaud, par exemple, a dirigé pas moins de trois ouvrages collectifs cette année. Ce ne sont pas les premiers, donc Chauvaud a une bonne demi-douzaine d’ouvrages à son actif. L’un de ces ouvrages, à titre d’exemple, est À coup de cases et de bulles, les violences faites aux femmes dans la bande dessinée, codirigé par Frédéric Chauvaud, Lydie bodiou, Jean-Philippe Martin, Héloïse Morel, aux Presses universitaires de Rennes. C’est copieux, c’est un travail sérieux. Voici Bulles marines et cases maritimes, codirigé par Frédéric Chauvaud et Thierry Sauzeau, toujours aux Presses universitaires de Rennes. Là, c’est typiquement l’approche que je trouve la moins intéressante au sein des études académiques sur la bande dessinée. Voici ce qui se passe : on veut programmer un colloque sur la bande dessinée, faire travailler les jeunes chercheurs de sa discipline. Il faut choisir un sujet. Qu’est-ce qu’on va faire cette année ? Ah ben si on parlait de la mer et des bateaux. Ou du Moyen-Âge. Ou des squelettes. Ou des ectoplasmes. Et ainsi de suite. Tout cela peut produire des textes intéressants. Il n’y a pas de raison. Mais le défaut de cette approche est de prendre pour point de départ une thématique qui n’est pas soutenue par une problématique solide, et qui pourrait contribuer à étayer la réflexion de jeunes chercheurs.
Il y a des exceptions. Nous avions récompensé il y a quelques années avec le prix du SoBD l’ouvrage Case, strip, action !. Conçu par quatre universitaires suisses, Alain Boillat, Marine Borel, Raphaël Oesterlé et Françoise Revaz, ce travail pourrait être érigé en modèle pour ce type d’ouvrage. C’est un travail collectif , organisé à partir d’un objectif commun, où l’on se répartit le travail entre chercheur. Et au cours de l’élaboration du livre on échange les uns avec les autres. Il en résulte des textes qui se répondent les uns aux autres.
Toujours d’un point de vue très personnel, je soulignerai l’intérêt porté par Frédéric Chauvaud, à la problématique du corps. Un intérêt que je partage. Dans À coup de cases et de bulles, ce sujet est abordé indirectement puisqu’il est question ici des violences faites aux femmes. Mais enfin, c’est tout de même en rapport avec la problématique des corps dans la bande dessinée. Chauvaud avait commis auparavant, en 2022, un Geste et bande dessinée, mais aussi, avec Denis Mellier, en 2020, Corps handicapés et corps mutilés dans la BD. En 2019, toujours avec Denis Mellier, il avait publié Les Êtres contrefaits : corps difformes et corps grotesques dans la bande dessinée. Ce sont tous des ouvrages collectifs, tous publiés aux Presses universitaires de Rennes. On constate que la problématique du corps dans la bande dessinée fait l’objet d’une approche ancienne et persistante de la part de Chauvaud, ce qui est louable. On attend maintenant une synthèse, une analyse, le regroupement de tous ces textes afin de produire quelque chose qui donne à la réflexion sur la bande dessinée une plus grande puissance.
Je termine mon aperçu général : cette année, un seul livre d’entretien. Les livres d’entretiens avec les auteurs forment une littérature importante parmi les ouvrages sur la bande dessinée. En 2021, le SoBD a eu comme invité d’honneur Numa Sadoul dont la notoriété tient principalement à de grands livres d’entretiens avec des sommités de la bande dessinée comme Hergé, Franquin, Tardi, Mœbius, etc.. Aujourd’hui, il semblerait que ce type d’approche perde en importance.
Je noterai encore dix catalogues d’exposition, ce qui n’est pas mal. Cela veut dire qu’on monte des expositions en les accompagnant de matériel analytique. C’est une bonne chose.
Dix monographies d’auteurs. Vingt-huit monographies thématiques. Mais la monographie thématique, c’est un peu la catégorie fourre-tout dans notre classification. Il y a plein de choses qu’on y range qui pourraient trouver place ailleurs.
Voilà pour mon panorama général de nos livres cette année.
Nous allons commencer comme c’est la coutume par vous reparler du livre qui a été le lauréat du Prix SoBD 2023, à savoir le livre d’Antoine Sausverd, Dans l’ombre du professeur Nimbus, aventures et mésaventures d’un héros de bande dessinée et de son créateurs André Daix, aux éditions PLG.
Avant de laisser enfin la parole à mes camarades, je voudrais faire une précision importante. Ceux qui nous suivent depuis longtemps savent qu’Antoine Sausverd a participé à cette Revue de littérature et, à ce titre, a fait partie du comité de sélection du prix SoBD.
En effet, le prix fonctionne de la façon suivante. Nous faisons d’abord la recension des titres parus, en essayant d’être exhaustifs. De cette liste générale nous décidons d’une première sélection qui compte une dizaine ou une douzaine de nominés. Cette année, exceptionnellement, il y en avait quatorze. Jusque-là, c’est l’ensemble du comité de pilotage du SoBD qui participe. Et puis un deuxième tour est organisé, où ne participent que les personnes que vous pouvez voir à cette table, et qui entreprennent une lecture plus approfondie d’un plus grand nombre de titres. Elles sont – comment dire – plus averties, et ce sont donc elles qui élisent le lauréat. Antoine a donc fait partie de cette confrérie. Cependant il s’est est retiré il y a trois ans. Parce que, comme je le disais avec un peu d’humour pendant la remise de prix, il s’intéresse essentiellement à la bande dessinée du XIXe siècle et du début du XXe siècle. En conséquence, il faut bien dire que 95 % des livres qui sortent chaque année le désespèrent. Il a donc a fini par renoncer à participer à notre Revue de littérature, et par voie de conséquence, il a également quitté le groupe qui élit le lauréat. Antoine n’a donc pas eu son mot à dire dans la nomination de son propre ouvrage. En récompensant le livre nous avons voulu récompenser le travail de quelqu’un qui, depuis plus de dix ans, entretient le blog nommé Töpfferiana, oùl exhume des publications du XIXe et du début du XXe siècle, grâce à un travail dépouillement de la presse via les archives numérisées de la BNF.
Florian Rubis : Le livre d’Antoine Sausverd présente deux aspects. Il raconte l’histoire du comic strip et du personnage du professeur Nimbus mais aussi celle de son créateur, André Daix. Je vais insister sur l’une des réussites de cet ouvrage : outre la reconstitution historique, l’usage de documents, Sausverd a su raconter le parcours de cet auteur. Lors de la remise du prix, Renaud a dit que ce livre permettait de mettre en lumière un de nos grands auteurs dont on ne parle plus parce que la série n’a pas fait l’objet de publication en livres, ou très peu. Il y a un volume du Professeur Nimbus chez Futuropolis, si je ne me trompe pas. Ce que montre l’ouvrage d’Antoine Sausverd, c’est qu’on peut raconter le patrimoine disparu du neuvième art sans réhabiliter l’artiste, sans faire du créateur un héros oublié ou disparu. On peut raconter l’histoire de Daix sous toutes ses facettes, à commencer par le versant politique désastreux, puisque l’individu était un adepte de la délation, fasciné par les régimes autoritaires d’extrême droite. Après la Seconde Guerre mondiale et après l’épuration, il a fui au Portugal chez Salazar.
Nimbus est aussi un personnage qui a eu beaucoup de succès, la série a bien marché. Mais Antoine Sausverd réussit à bien expliquer qu’elle n’est ni géniale ni originale. Il dévoile tout le fond de ce personnage qui est finalement un phénomène au sein d’une tendance de fond, lié à un transfert culturel et médiatique du comic strip en Europe. André Daix était très inspiré par Adamson d’Oscar Jacobsson, il a beaucoup pompé Adamson pour construire Nimbus, et même pour écrire ses gags. Daix était si peu talentueux dans l’écriture des gags, qu’il a dû demander qu’on lui attribue un gagman. En définitive, Nimbus et André Daix sont deux exemples de cette culture médiatique particulière qu’a été la bande dessinée dans la presse, qui est à dépoussiérer, mais pas forcément à réhabiliter de manière béate. Et je trouve qu’Antoine Sausverd a très bien entrepris ce travail.
Harry Morgan : L’ouvrage situe en effet le strip d’André Daix dans le strip muet et plus généralement dans l’histoire du comic strip, et donc dans l’histoire de la bande dessinée de presse. Cela permet de mettre les pendules à l’heure en montrant le caractère fondateur de cette bande dessinée de presse. Parce que c’est elle qui utilise les codes qu’on associe classiquement à la bande dessinée. Et c’est elle qui rencontre par définition un très large lectorat, et au fond un public captif, pour la simple raison que le journal est lu par un tas de gens. Notamment des gens qui , en temps normal, ne liraient pas de bande dessinée. Mais ils en voient dans le journal, en lisent et, du coup, l’apprécient.
Et ici encore on peut faire le lien avec le site Töpfferiana de notre auteur. Je pense à l’article qui s’intitule « Du Chicago Tribune au Dimanche-Illustré : les premiers comic strips dans la presse française », qui pourrait servir de contexte général à l’ouvrage sur Nimbus. Il y a dans le livre des choses que j’ignorais complètement. Vous connaissez Paul Winkler, qui est le créateur du Journal de Mickey, en 1934, donc le premier journal, sur papier journal, qui est rempli avec les strips américains, et qui est destiné aux enfants. Eh bien ce n’était pas l’idée primitive de Winkler. Il voulait créer un supplément du dimanche pour les quotidiens français, qui aurait été le même pour plusieurs quotidiens, un supplément qui aurait été imprimé à part et ensuite liassé avec l’édition dominicale des quotidiens. Autrement dit, Winkler voulait reproduire en France l’écologie du strip de presse telle qu’elle existait aux États-Unis. Imaginez qu’il ait réussi. Ça a raté parce que cela soulevait toutes sortes de problèmes, mais imaginez qu’il ait réussi. L’histoire de la bande dessinée en France aurait été totalement bouleversée. Il y aurait eu une acculturation, c’est-à-dire qu’on aurait acquis le strip américain comme si ça avait été à nous depuis le début.
Renaud Chavanne : Le couple Winkler-Daix est intéressant parce qu’on a d’un côté un juif hongrois qui travaille dans les métiers de la presse, qui s’exile pendant la guerre pour sauver son affaire, qui a été aryanisée il me semble…
Manuel Hirtz : Et pour encourager les Américains à entrer dans la danse si j’ose dire. Il a été important à ce niveau-là.
Renaud Chavanne : Et puis de l’autre côté on a un collabo fascisant ultra-réactionnaire.
Je profite pour rebondir sur la question des agences de presse, qui est une chose de première importance. On connaît le rôle des syndicates aux États-Unis. C’est ce que Winkler a essayé de faire avec Opera Mundi en France. Mais si vous avez écouté ou si vous écoutez les rediffusions audiovisuelles de certaines des tables rondes du Cycle espagnol du SoBD, vous vous rendrez compte que le phénomène des agences a également existé en Espagne, par exemple avec selecciones Ilustrada. En Espagne, ces agences ont fonctionné sous un régime totalitaire de droite. Les Espagnols ont abreuvé l’Europe entière de récits en bande dessinée. Nous présentons au centre d’études Catalan, à côté du SoBD, une exposition portant sur 150 ans de bande dessinée espagnole. On y trouve des originaux datant de la période franquiste dont certains proviennent des agences espagnoles et sont d’une qualité extraordinaire. Les bandes dessinées des agences espagnoles étaient publiés en petit format, et elle ont irriguées l’Angleterre, les pays scandinaves, la France etc. Le livre de Sausverd remet en lumière ce phénomène déterminant des agences, qui a contribué à une large diffusion de la bande dessinée.
Manuel Hirtz : Et comme l’ont sous-entendu – mais comme l’a sous-entendu au fond tout le monde – il y a un grand plaisir à aller dans les coulisses de la bande dessinée. Nimbus, voilà une bande dessinée qui a été lue pendant plus de cinquante ans par des milliers de personnes. C’est la seule bande dessinée que connaissait ma grand-mère. Et l’ouvrage donne un aperçu sur ce qui se passe derrière, à savoir qu’il y a plusieurs auteurs et non un seul, que l’un était un collaborateur, qui s’est enfui en Amérique du Sud à la libération, que le personnage a été repris par d’autres dessinateurs. C’est tout à fait fascinant. Et plusieurs anecdotes comme celle qu’a citée Harry Morgan nous font nous questionner sur tous les hasards qui ont fait en quelque sorte l’histoire de la bande dessinée.
Florian Rubis : J’aimerais bien revenir sur l’intérêt aussi, jnduit en filigrane, dans ce livre pour ceux qui n’en sont pas familiers, de découvrir l’histoire et l’évolution des syndicates à la française. Parce qu’en suivant ce cheminement du personnage, de son auteur controversé, de ses reprises, de ses repreneurs, de Winkler qui revenait aux commandes de la série, on a un aperçu de toute l’évolution de ces syndicates à la française. On pourrait dire, en prenant un raccourci, que c’est finalement un sujet qui n’est pas tellement connu et abordé en France. Et c’est un autre des intérêts de l’ouvrage.
Ce qui est très important, les familiers des travaux d’Antoine Sausverd le savent, c’est cet aspect de dénicheur, qui consiste à recourir tout le temps à la recherche documentaire. Au fil des pages du livre, on s’aperçoit combien ça apporte en connaissances nouvelles sur le sujet. On en parlait avec lui. En plus de de faire connaître Daix pour ceux qui ne le connaissaient pas. Parce que, bon, les experts de la bande dessinée connaissaient ce parcours de l’auteur qui est très spécial. Cet aspect, avec Antoine, on en riait un peu, mais vraiment, Daix, c’est le Louis Ferdinand Céline de la bande dessinée française. Enfin, c’est même pire que Céline.
(Protestations générales.)
Florian Rubis : Oui, oui. Compagnon de route du Francisme, quand même, qui est l’un des grands mouvements de collaboration. Bref, l’un va au Danemark, l’autre se réfugie chez les Salazaristes, au Portugal. Ensuite Daix part en Amérique du Sud. Il prend même des pseudonymes en « o ». C’est proche de la caricature. On se croirait dans Papy fait de la résistance. Puis il revient clandestinement en France. Quel parcours hallucinant.
Et en même temps, on assiste à ce décalage avec le personnage qui reste très longtemps au top, qui demeure très populaire, qui passe même dans les expressions du langage.
Renaud Chavanne : Je terminerai en signalant qu’un autre des intérêts du livre de Sausverd est qu’il rappelle que la mondialisation culturelle est très ancienne. Au XIXe siècle, Töpffer a été exporté un peu partout, copié aux États-Unis, en Europe. Pour sa part, Nimbus est diffusé dans cinquante pays. Adamson est un autre personnage qui a connu une très large diffusion. Il y a des personnages suédois de bande dessinée qu’on retrouve en Pologne, qui passent en Turquie. Dès la première moitié du XXe siècle la bande dessinée est une forme d’expression qui circule extrêmement facilement. On a tendance à penser que la mondialisation, c’est le XXIe siècle, mais pas du tout. Les personnages de BD sont passés d’un pays à l’autre, ils ont parfois été repris des dessinateurs locaux. Ça fleurit de partout.
Manuel Hirtz : Les dessinateurs français ont fait du Wilhelm Busch pendant très longtemps, d’abord en le disant, puis en oubliant de le dire, parce que c’était un Boche. Mais la tradition s’est perpétuée si j’ose dire.
Florian Rubis : N’oublions pas aussi que les disciples de Wilhelm Busch, enfin ses disciples allemands, ont été très présents aux États-Unis, notamment dans le bassin de Chicago et dans les journaux du syndicate du Chicago Tribune. De plus, il y avait de vrais échanges, avec des auteurs qui travaillaient des deux côtés de l’Atlantique.
Irène Le Roy Ladurie : Si je peux me permettre, la mondialisation, on sait bien que c’est un phénomène ancien. Et c’est plutôt qu’on a construit une histoire en essayant de nationaliser nos personnages de bandes dessinées. Et c’est la même chose au Japon, où il y a eu des transferts médiatiques et culturels très importants de la BD américaine, qui a donné le manga, dont les historiens japonais ont essayé de masquer un peu l’origine exogène. Et en fait, c’est ce que je trouvais le plus passionnant dans cette histoire. C’est à quel point il n’y a pas de génie spécifique, local, régional. Il n’y a pas même de génie d’un auteur. Il y a toute une espèce de fourmilière derrière, mondiale, internationale.
Florian Rubis : Au Japon, à mesure que le militarisme monte entre les deux guerres mondiales, que la xénophobie augmente en parallèle, on a eu tendance ensuite à oublier qu’on avait fait dans la presse de l’Archipel de gros emprunts, notamment de personnages étrangers, avec en particulier la reprise dans les journaux japonais de ceux de syndicates américains. En matière de diffusion très ample, on retrouve ça avec les syndicates britanniques, à une échelle globale aussi, à cause de leur empire sur lequel le soleil était réputé à l’époque ne jamais se coucher, puis avec le Commonwealth.
Renaud Chavanne : On aura l’occasion de reparler de cette circulation des œuvres et des influences à l’échelle mondiale quand nous parlerons des livres de Cassiau-Haurie, notamment celui sur la bande dessinée à l’époque coloniale en Afrique. Peut-être qu’il faudra aussi tâcher d’éviter, même si l’influence de la bande dessinée européenne, américaine est évidente, d’en faire systématiquement le point de départ.
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