Aidan Koch

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Un pied dans la bande dessinée, l'autre dans l'Art Contemporain, Aidan Koch est une artiste polymorphe qui dessine, sculpte, travaille sur tissu, publie de petits livres et réalise des installations. Dans chacun de ses projets, elle manipule des choses fragiles, agence des fragments, distille des impressions -- construisant par petites touches une narration aussi élégante que cristalline.

Xavier Guilbert : Pour commencer, te définis-tu comme une auteure de bande dessinée, ou dirais-tu plutôt que tu es une artiste qui fait parfois de la bande dessinée ?

Aidan Koch : Généralement, je dis — quand il me faut écrire une présentation, ce genre de chose, je dis généralement que je suis auteur de bande dessinée. C’est souvent « je fais des installations et des sculptures et de la bande dessinée. » (rire) Mais en fait, je suis simplement une artiste qui pratique ces choses. Et donc sans vraiment en favoriser une en particulier.

Xavier Guilbert : C’est assez difficile de mettre ton travail dans des cases. Même quand tu fais des installations, on y trouve de la bande dessinée — et même si ce n’est pas de la bande dessinée… est-ce qu’une planche de bande dessinée imprimée sur un t-shirt cesse d’être de la bande dessinée ? Il y a une transformation, mais si c’est dans le cadre d’une installation, il y a des rapports qui s’établissent avec d’autres dessins et d’autres objets…

Aidan Koch : Oui… j’essaie d’éviter les définitions. Ce qui n’est pas toujours facile, parce que c’est — en fait, les gens sont systématiquement perturbés par mon travail, ou perturbés parce qu’ils essayent de comprendre comment la bande dessinée s’articule avec ces autres domaines. Et donc pour moi, plutôt que de m’appuyer sur le langage pour y arriver, je préfère la mise en pratique.

Xavier Guilbert : Comment définirais-tu ta culture en bande dessinée ? En lisais-tu enfant, ou est-ce quelque chose qui t’est venu plus tard ?

Aidan Koch : Oui, enfin, effectivement j’ai lu — tu sais, les illustrés étant enfant. Et j’ai aussi lu beaucoup de manga quand j’étais plus jeune. Et puis je n’ai plus rien lu pendant des années. En fait, je n’ai recommencé à lire de la bande dessinée que quand j’ai commencé à en faire, soit il y a sept ou huit ans. Je crois que j’ai traversé cette phase de « oh, je devrais me cultiver sur le sujet » (rire). Parce que je fais de la bande dessinée, voilà que je me retrouve soudainement faisant partie de cette communauté. Ce qui fait que j’ai vraiment beaucoup lu pendant quelques années, mais depuis c’est — je ne sais pas trop, je ne lis plus vraiment beaucoup.

Xavier Guilbert : Quand tu en lisais, n’avais-tu pas peur de contaminer, en quelque sorte, ce que tu faisais ?

Aidan Koch : Non, parce que je savais tout simplement — que c’est très différent. Oui. J’étais simplement curieuse de savoir ce qui existait. En fait, je pense que j’en ai tiré des choses, qui me sont utiles. Mais… je ne crois pas que cela ait jamais changé ce que je faisais. Qui plus est, j’ai tout de suite découvert des auteurs qui étaient aussi dans l’expérimentation, ce qui fait que c’était plus une manière de poursuivre la conversation avec ceux-là, dont le travail était très éloigné de — la production alternative habituelle. Oui, je pense que c’était plutôt cela…

Xavier Guilbert : « La production alternative habituelle »…

Aidan Koch : Oui, je sais… (rire)

Xavier Guilbert : On trouve dans ton travail une utilisation inhabituelle de la grammaire traditionnelle de la bande dessinée. Il y a bien quelques bulles ou quelques cases, mais elles sont utilisées d’une manière très lâche. Le texte est parfois sous les dessins, comme on placerait le titre d’une illustration…

Aidan Koch : En fait, c’était — quelque chose que j’ai découvert quand je lisais plus. « Tiens, çà pourrait être intéressant d’utiliser ça. » Mais oui, changer ma manière de — en fait, pendant longtemps je n’ai pas utilisé de bulle. Et puis — je pense que c’est amusant (rire). Ce qui fait que maintenant — je ne sais pas, je me les suis un peu appropriées, au lieu de les utiliser comme l’aurait fait un auteur de bande dessinée.

Xavier Guilbert : Les bulles sont présentes dans The Blonde Woman, et puis elles disparaissent de ton travail avant de revenir dans Impressions, avec le récit que tu as fait pour The Paris Review. Dans ton travail, il y a tout un pan qui s’inscrit dans un rapport à l’Art — les réinterprétations des peintures de Degas pour kus, ou les Elements of Painting que je trouve particulièrement intéressants : tu prends des peintures, et en en isolant des éléments, tu reconstitues une narration.

Aidan Koch : En effet. En fait, cette idée était pour moi une manière de m’entraîner et de m’amuser, je crois. Et surtout, je pense, de montrer que l’on peut partir de n’importe quelle source. J’ai fini par utiliser ça dans les ateliers, un peu. J’ai l’impression que lorsque je discute avec des artistes qui ne font pas de bande dessinée mais qui s’y intéressent, ils disent souvent : « je ne sais pas par où commencer », ou « je ne sais pas, je n’ai pas d’histoire, je ne sais pas quoi faire… » Ils sont trop angoissés. Pour moi, ce projet était en essence « on peut litéralement faire n’importe quoi avec n’importe quel matériau ». Si tu as un image, tu peux tout simplement en extraire des choses, et aussitôt tu viens de créer une nouvelle histoire. Je trouvais intéressant de jouer avec cette idée de strip. C’était un peu — je ne sais pas, la manière dont le langage de la bande dessinée s’est contruit au fil de l’histoire est vraiment intéressante, et c’est amusant de revenir en arrière et de se dire : « tiens, je pourrais faire quelque chose avec ça. » Un peu comme si l’on prolongeait la conversation entre ces deux domaines.

Xavier Guilbert : Découvrir de la bande dessinée dans l’art, et amener la bande dessinée à l’art.

Aidan Koch : Oui, faire ce genre d’aller-retour, et apprendre en chemin.

Xavier Guilbert : En effet, et ce n’est pas étonnant de te voir participer à quelque chose comme PFC. Il y a beaucoup de contraintes dans ton travail, mais je ne sais pas dans quelle mesure ce n’est pas lié à des ateliers. Je pense par exemple à In which qui m’évoque le haïku japonais, dans l’économie de moyen inhérente au strip, et le texte qui commence systématiquement par « In which… ». Il y a toujours beaucoup d’inexprimé et de place pour l’interprétation.

Aidan Koch : Oui. C’est le genre de chose que je fais pour — en fait, pour me mettre au travail, et pour essayer de voir comment je peux jouer avec. Parce que c’est amusant. C’est le même principe pour les strips des Configurations, parce qu’ils partent tous de la même base — j’avais simplement dessiné ces quelques cases, et je les ai assemblées de diverses manières.

Xavier Guilbert : Tu as fait quoi, 19 strips à partir de huit ou neuf cases ? À mon sens, il s’agissait surtout de donner un titre, parce que les associations étaient assez abstraites. J’ai l’impression que l’idée de juxtaposer des éléments, et d’essayer de voir quelles sont les associations qui peuvent en émerger est très présente dans ton travail, que ce soit dans le domaine de la bande dessinée ou des installations que tu fais.

Aidan Koch : C’est parce qu’une large part repose sur — la manière dont les gens interprètent différentes informations, en fonction de ce que tu donnes ou que tu retiens, je pense. Une manière de tester les limites de ton audience, en quelque sorte. Tu peux faire une installation qui ne repose que sur des dessins, et tu peux la présenter comme une installation de dessins, ou bien dire : c’est un récit. Et les gens l’abordent d’une manière complètement différente, et c’est la même chose avec la peinture aussi — tu sais, beaucoup de peintres ont fait des séries, ou ont refait le même tableau plusieurs fois. On peut alors considérer chaque œuvre comme une image isolée, mais elle participe aussi de cette histoire qui englobe leur processus créatif, et l’évolution de leur registre pictural ou coloré. C’est une question de perspective. Ce qui fait qu’au moment où tu dis à quelqu’un de considérer quelque chose d’un point de vue narrative — il le fait.

Xavier Guilbert : J’ai l’impression que c’est quelque chose que le monde de l’art a rejeté pendant longtemps. Ils ne voyaient pas l’intérêt de montrer des séquences. Monet a beaucoup peint la Cathédrale de Rouen, ou une meule de foin au fil du jour, mais on les présente souvent plus comme des études que comme une œuvre d’art en tant que telle. Le monde de l’art n’était pas prêt à accepter qu’il puisse y avoir une sorte de narration dans ces séries. Alors que c’est absolument normal dans la bande dessinée.
De ce que j’ai vu de tes expositions, j’ai l’impression que tu travailles sur l’idée de réseau, un réseau très personnel, qui partagerait quelque chose d’intime en invitant les visiteurs à y pénétrer. J’ai noté la notion de « une femme entrant dans un labyrinthe » (« a woman entering a maze« ) qui me semblait résonner de manière intéressante avec ton travail.

Aidan Koch : Dans le cas de cette exposition, c’était intéressant, j’ai en quelque sorte — j’avais amené des choses un peu au hasard, et puis, après les avoir considérées, j’ai écrit un texte pour les accompagner. Je l’ai écrit sur le mur, et aussitôt cela donne un contexte bien précis à l’ensemble. Pour moi, c’est excitant, et le fait de mélanger — généralement, en faisant une référence à un personnage, ou encore… je fais ces tentures de texte, qui consistent simplement en du texte sur de la soie. À nouveau, c’est un peu — c’est littéraire, mais c’est de l’art, et peu importe ce que c’est. Faire éclater tous ces formats établis et voir comment on peut en construire l’idée d’un récit.

Xavier Guilbert : Pour revenir à ton travail imprimé — la manière dont tu utilises le texte, et le fait que tu laisses beaucoup des dessins inachevés me donne l’impression d’une sorte de monologue interne, proche de la manière dont fonctionne la mémoire. Nous ne nous rappelons pas des scènes entières, ou alors seulement d’une manière fragmentaire et non-séquentielles. L’esprit ne fait qu’aller d’association en association. C’est quelque chose que je trouve dans ton travail — comme dans The Blonde Woman, lorsqu’elle brosse ses cheveux, tout disparaît à l’exception de sa main sur ses cheveux. Ou encore ce personnage qui n’est montré que par la robe qu’elle porte. Il y a aussi les pages vides avec seulement du texte… bref, il y a vraiment une forme de narration subjective.

Aidan Koch : Oui, cela joue beaucoup avec — j’imagine, des questions de perspective et comme plusieurs niveaux de conscience. Comme tu le dis, cela se concentre sur certains aspects. On ne cesse de passer de ce que voit un personnage à l’autre, et puis il y a aussi comme une vue globale… C’est très présent dans Impressions, tout simplement parce que cela aborde sa réflexion sur son identité, ce qui fait qu’il y a trois versions d’elle qui y sont répétées. Parfois, il n’y a que sa chevelure, et parfois c’est son visage en entier qui est dessiné. À d’autres moments tout est dessiné, comme si c’était cette sorte d’idée de ce que les autres personnes voient d’elle, la version complète : un être humain, en quelque sorte. Et puis il y a sa propre idée d’elle-même qui ne cesse de changer avec le temps. Parfois elle se voit, parfois elle est perdue et ne sait plus vraiment pourquoi elle existe ni ce qu’elle fait, et elle disparaît presque. On passe par toutes ces phases. C’est vrai pour le texte aussi — je pense… comme tu le disais, par l’intermédiaire des bulles mais aussi en traçant des cases et en plaçant du texte en dessous, j’arrive à comprendre comment utiliser tout cela afin de représenter différents monologues intérieurs en les différenciant du dialogue mais aussi de séquences qui ne seraient pas chronologiques, tu vois ? Comme repenser à quelque chose. Ou essayer de trouver d’autres manières de — de représenter différents personnages, par exemple. Le texte pour un personnage étant toujours d’un côté, et celui d’un autre de l’autre. Bref, des manières de représenter ces idées sans avoir à montrer plus. Parce que j’ai l’impression que souvent, il n’est pas besoin de montrer plus, les gens comprennent de quoi il retourne (rire). Par exemple, il y a deux personnages qui parlent, et tu as deux colonnes ou quelque chose du genre — tu n’as pas besoin de montrer ces deux personnages à chaque fois. Il te suffit de leur faire comprendre que voilà, telle personne est de ce côté, et telle autre ici, et c’est bon. Donc oui, essayer d’enlever le maximum de choses et laisser le lecteur reconstituer ce qui se passe, à l’aide des indices que tu lui laisses.

Xavier Guilbert : Quelle est ta méthode pour arriver à ça ? Pars-tu d’une idée d’histoire que tu élaborerais avant d’essayer d’en enlever des choses, ou est-ce plutôt une approche qui consisterait à travailler avec aussi peu que possible ?

Aidan Koch : C’est quelque chose qui s’est vraiment développé très naturellement — parce je ne sais pas bien planifier mes histoires. Le plus que je vais avoir, peut-être, ce sont des notes de dialogues. Ou bien quelque chose du genre : voilà ce qui se passe dans la première moitié, et voilà ce qui se passe dans la seconde. Ce qui fait qu’une bonne partie se décide en cours de route — si je dois dessiner quelqu’un, peut-être que je n’ai pas besoin de le dessiner à nouveau. Genre, oh, elle est là. Si tu mets une ligne de texte et que tu la répètes, cela établit un contexte. Donc c’est surtout une affaire de se mettre au travail et de trouver quand c’est suffisant ou quand il y en a trop. Mais généralement, il n’y en a jamais trop (rire).

Xavier Guilbert : Ton récit le plus long à ce jour est The Whale, même si Impressions fait 72 pages, donc on en est proche. Est-ce que cela représente pour toi une sorte de limite maximale de ce que tu peux faire ? Sachant que ce n’est pas une critique — tu t’attaches à ces petits moments fragiles. Jusqu’où peut-on expérimenter à partir de ce genre de sujet ? Aimerais-tu pouvoir faire des choses plus longues, ou es-tu satisfaite de faire des récits courts ?

Aidan Koch : Je pense que — en fait, j’ai des idées pour plusieurs histoires, et j’y pens souvent. Mais en effet, je ne crois pas qu’un récit long m’intéresse. Je pense que le type de tonalité ou d’action qui m’attirent peut toujours s’exprimer de manière succincte. Même pour ce qui est de — je ne sais pas si les gens le remarquent, mais je ne donne jamais de nom à mes personnages. Et je ne veux certainement pas — je ne veux pas faire d’histoire qui serait si longue qu’il me faudrait commencer à préciser ce genre de chose. Je ne veux rien faire qui soit trop extraordinaire, je préfère conserver tout cela — que cela te laisse avec une ambiance. Mais pour mon récit Heavenly Seas, j’ai envie de quelque chose de plus long. Je ne sais pas ce que cela fera au final, mais cela fait un peu partie de l’histoire. C’est un récit conséquent que je veux faire…

Xavier Guilbert : Mais même quand tu travailles sur des récits plus longs, ils sont découpés en chapitres. Il y a visiblement une forme de zone de confort pour toi — il y a quatre chapitres dans The Blonde Woman, donc autour de dix à douze pages…

Aidan Koch : Je crois que c’est cet autre aspect étrange — presque un jeu, on pourrait dire. Comme je n’ai pas de plan global et que je ne fais ni esquisses ni découpage ni quoi que ce soit, je me fixe généralement un nombre de pages et ça m’aide. Parce que je me retrouve dans la situation où je sais ce que je veux qu’il se passe, et cela m’évite de m’égarer ou de me lasser ou de perdre confiance. « Ceci doit se passer, voici dix pages, débrouille-toi pour y arriver dans cet espace. » Et c’est un peu comme ça que j’aborde tout.

Xavier Guilbert : J’ai l’impression que cela apporte une cohésion à chaque chapitre. En particulier lorsqu’il s’agit des choses fragiles sur lesquelles tu choisis de travailler, il est difficile de trop tirer dessus sans que cela casse. Et l’ensemble finit par s’effondrer. Avoir des chapitres te permet de construire des choses que tu peux ensuite relier entre elles.

Aidan Koch : Oui, et je pense que cela laisse aussi de la place pour — une forme d’adaptation. En cela que je déplace des chapitres entiers quand je travaille, simplement parce que je me relis encore et encore, et à chaque fois que je fais une nouvelle page, j’essaie de voir comment elle s’inscrit dans le flot de l’ensemble. Cela m’amène donc à déplacer des passages importants de l’histoire, simplement à cause de la manière dont se déroulent les scènes. Parfois je veux quelque chose qui perturbe la chronologie, et qui finira alors par créer une connexion avec tel autre élément à la fin… oui, je crois qu’en travaillant par séquences, c’est plus facile de garder l’ensemble plus stable dans ma tête. Et j’aime l’idée d’avoir des scènes. Je pense que cela aide d’avoir comme une respiration entre elles, et cela permet de se dire : bon, voilà où nous en sommes. Ou bon, maintenant, nous sommes avec quelqu’un d’autre, ou nous allons ailleurs… Je pense que c’est un très bon outil séquentiel qui permet de ralentir la narration et de marquer une articulation.

Xavier Guilbert : Il y a aussi l’utilisation de la couleur — nous avons un peu évoqué la composition, mais je trouve intéressant de voir combien ton travail de la couleur est distinct de ton travail sur le trait. Je parlais de ton utilisation très personnelle de la grammaire de la bande dessinée, mais c’est un autre exemple de la manière dont tu utilises certains éléments d’une manière inhabituelle : la couleur et le trait, et la manière dont ils interagissent et jouent ensemble… C’est à la fois très innovant et va à l’encontre de certaines règles, mais cela fonctionne quand même sur la page.

Aidan Koch : Oui, je pense que c’est quelque chose que j’ai commencé à comprendre avec The Blonde Woman — je crois qu’en effet, c’était même mon premier récit long en couleur. Avec l’idée de construire différents niveaux de langage. Il y a bien sûr le langage écrit, mais tout au long du récit il y a des symboles qui reviennent, ces petits dessins étranges. Pour moi, c’est comme s’ils étaient — s’ils te retenaient, du genre : « tiens, voilà celui-là à nouveau ». Je pense que la répétition est utile quand les images changent autant. C’est la même chose pour la couleur — comprendre comment utiliser la couleur comme un symbole. Dans The Blonde Woman, c’est évident qu’il s’agit de sa chevelure et donc — une fois que tu as établi qu’elle a les cheveux blonds, et qu’il y a une séquence qui y fait référence, dès qu’il y a du jaune cela te fait penser à elle, ou cela la représente. C’est une méthode très facile pour ne pas avoir à la dessiner à chaque fois, mais de simplement faire comprendre au lecteur qu’elle est là, et on le sait parce que j’ai griffonné du jaune.
Et puis il y a l’utilisation de ces éléments comme symboles — comme par exemple dans Impressions, avec le point bleu… c’est intéressant, parce que les gens pensaient que cela représentait des choses très différentes. Dans mon esprit, ce point bleu est un peu son point focal, parce que quand tu poses tu es simplement assise là et tu regardes un point dans le vide. Pour moi, le point bleu était ce point, mais d’autres personnes l’ont vu comme étant son œil à elle, son iris.

Xavier Guilbert : En ce qui me concerne, je le voyais plutôt comme le regard du peintre, parce qu’on le voit ensuite se déplacer. Comme si le peintre avait arrêté de dessiner mais continuait d’observer… il y a beaucoup d’interprétations possibles.

Aidan Koch : Oui, c’est très bien parce que je n’ai aucun problème à ce que cela représente des choses différentes, et je pense que c’est la répétition qui fait que cela fonctionne. Tout est calme ; elle est immobile, il fait ceci ou cela, et le point donne l’impression du calme, parce qu’il ne bouge pas. Et puis quand elle lève les yeux, alors il bouge. En partant de là, c’est — ce qu’il symbolise peut changer ou varier, mais cela reste un outil qui exprime cette sensation temporelle.

Xavier Guilbert : Tu travailles vraiment dans un contexte de moyens très limités. T’arrive-t-‘il de penser que tu es allée trop loin dans l’épure, au point que cela devienne trop difficile à comprendre ?

Aidan Koch : C’est difficile à dire, parce que je ne pas beaucoup de retour. Je pense que ça m’arrive un peu, parce que j’oublie parfois que personne ne sait ce que je sais quand je dessine, ou la manière dont j’agence mes histoires. Ce que fait que je suis certaine qu’il y a des moments où c’est trop peu, mais personne ne me l’a encore dit (rire).

Xavier Guilbert : Tu parlais du point bleu — as-tu été surprise par les interprétations que font les gens de ton travail ? J’ai la conviction que le livre que l’auteur produit et celui que le lecteur découvre sont deux livres qui peuvent avoir bien peu en commun. En tant que lecteur, tu te retrouves à apporter dans le livre pour le comprendre autant que tu en retires. Le processus de lecture est un processus actif. Avec quelque chose de très épuré, il y a le risque que les gens en repartent avec des choses très différentes de ce qu’était ton intention au départ.

Aidan Koch : C’est quelque chose qui me stimule. Comme j’étais ravie lorsqu’on m’a dit que le point était son œil. Je pense que c’est parce que — comme tous ceux qui ont suivi des cours de littérature, je me suis retrouvée à écrire des analyses de tel ou tel détail d’un livre de Dostoïevsky, du genre : « cela signifie ceci, et voilà pourquoi », mais dans ma tête je me disais toujours : « non, je suis sûre que ce n’était pas ça qu’il voulait dire… c’est tiré par les cheveux… »Mais ce qui est important, c’est que — tu cherches à comprendre comment cela s’inscrit dans l’histoire ou la thématique dans son ensemble, et comment cela se retrouve exprimé dans le livre, tu vois ? Je pense que c’est simplement un aspect normal de la fonction narrative, et comment elle devrait être abordée ou questionnée. Comme c’est quelque chose que nous avons fait avec la littérature depuis la nuit des temps, cela devient évident, comme pour La lettre écarlate par exemple, mais à d’autres moments, on a plus l’impression d’inventer de toutes pièces. Mais il y a toujours du bon et du mauvais —

Xavier Guilbert : Il y a deux camps qui s’opposent, ceux qui disent qu’en fait, la vérité se trouve dans l’intention originelle de l’auteur, et ceux qui pensent que ce qui est important, c’est ce que l’on tire d’un livre.

Aidan Koch : Oui. Parce qu’en réalité, c’est que — tu sais, tu écris pour toi-même, mais tu écrit aussi pour un public. Et c’est plus intéressant de voir ce qu’ils peuvent en tirer, et comment ils le rattachent à leur propre expérience et leur propre vision. C’est l’une des raisons qui fait que je trouve que dans beaucoup de bandes dessinées, c’est comme s’il y avait trop d’information. Ce qui fait que ton point de vue devient étroit, et c’est moins — il devient plus difficile d’engager un dialogue et de se sentir transformée, parfois ? Alors qu’en le laissant ouvert, j’ai beaucoup de lecteurs qui ont ressenti de véritables émotions, parce que — en dépit de l’absence de noms, on y trouve plus de représentations d’idées et d’émotions et d’ambiances. Je pense que c’est plus facile pour les gens de s’y impliquer. Pour moi, c’est ce qui est vraiment stimulant.

Xavier Guilbert : Tu as fait une école d’art — comment est-ce que la bande dessinée y était perçue ? Etait-ce un domaine qui était acceptable ou dénigré ?

Aidan Koch : J’ai fait de l’illustration là-bas, et quasiment tout le monde en illustration faisait aussi de la bande dessinée. Ils ont même lancé un club, un collectif. De ce point de vue, c’était tout naturel que tout le monde dans ce cours fasse aussi de la bande dessinée. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai commencé à en faire, parce que j’étais entourée de gens qui en faisaient. Je me suis dit : « bon, je vais simplement prendre mes dessins, je vais rajouter du texte et en faire un livre — pas de problème, je peux le faire. » Mais je ne peux pas dire ce qu’il en était au global… Simplement parce que je pense que l’illustration fait partie de ces départements qui sont vraiment à part de tout le reste, que ce soit le design ou les disciplines commerciales. En fait, les cours d’imprimerie étaient quasiment les seuls où l’on croisait d’autres étudiants. Oh, j’ai fait aussi de l’animation, mais à nouveau, ce sont un peu le même genre d’étudiants. Mais mon école est plutôt ouverte, il y avait beaucoup de gens qui essayaient des choses très différentes. Je n’ai jamais eu l’impression qu’il ait eu de véritables contraintes. Ce qui est super (rire).

Xavier Guilbert : Quels sont les auteurs de bande dessinée dont tu te sens proche ? S’il y en a…

Aidan Koch : C’est amusant, parce que j’ai un groupe très établi, je crois, d’amis en bande dessinée, que je connais depuis que j’ai commencé à en faire, et qui sont vraiment impliqués dans un travail alternatif et expérimental. Ce qui est stimulant, c’est que leur travail à tous est très différent. Ce serait difficile de dire de nous que — je ne sais pas trop, ce n’est pas comme si nous avions notre genre à nous, parce que chacun de nous est très différent, mais dans le fait que ce sont des approches qui sont surtout très différentes de tout le reste. Pour moi — chacun finira par avoir une influence qui lui est propre, et il y aura des gens qui seront plus proches de l’un ou de l’autre. Il y a une vrai diversité. Mes premiers amis dans le domaine de la bande dessinée étaient Austin English, Blaise Larmee, Jason Overby… Des gens comme Ward Zwart — qui d’autre encore, avec qui j’échange beaucoup ? Jaako Pallasvuo, qui a récemment recommencé à faire de la bande dessinée… je ne sais pas trop, il y a beaucoup de gens avec qui j’échangeais quand j’ai commencé avec qui je continue d’interagir et qui font des choses intéressantes.

Xavier Guilbert : Tu connais le travail de Warren Craghead ?

Aidan Koch : Oui.

Xavier Guilbert : Ainsi qu’Oliver East, tous ces gens qui travaillent autour de l’idée de poésie et bande dessinée. En lisant ton travail, c’est le genre de référence qui m’est venue à l’esprit ; et également la manière dont Warren Craghead a évolué en s’éloignant progressivement d’une narration plus traditionnelle.

Aidan Koch : C’est aussi intéressant — et oui, j’imagine qu’il appartient aussi à ce sous-sous-groupe d’idées très alternatives. Mais c’est amusant de faire partie de ce groupe et de se rendre compte combien notre travail et nos histoires sont radicalement différents. Mais partagent le même état d’esprit, j’imagine — de repousser les frontières traditionnelles.

Xavier Guilbert : En parlant de frontières traditionnelles, j’ai été très surpris de constater combien de ton travail est disponible en ligne. J’ai l’impression que tu as essayé différents canaux — sans vouloir te limiter à une quelconque définition…

Aidan Koch : Oui, c’est un peu mon point fort (rire).

Xavier Guilbert : Est-ce que le papier reste quelque chose de spécial pour toi ? La forme « livre » représente-t-elle encore quelque chose ?

Aidan Koch : Oh oui, ça reste l’idéal, la plupart du temps. En fait, pour tout ce qui est de mon travail en bande dessinée, j’aimerais une version imprimée. Mais je n’en ai pas toujours la possibilité. Mais sinon, oui, je suis en train d’essayer de sortir un nouveau livre qui fait 48 pages — c’était un projet sur lequel je travaillais comme ça, et puis il y a un salon qui arrive et je me retrouve à penser : « il faut que je l’aie pour ça ! » Je vais donc l’imprimer par moi-même, parce que — comme il me le faut, je ne peux pas attendre après un éditeur, je n’ai pas vraiment envie d’ennuyer qui que ce soit avec ça, j’imagine, mais il me faut absolument ce livre (rire).

Xavier Guilbert : À nouveau, tu vas à l’encontre de l’approche établie : ne pas chercher d’éditeur, et faire les choses…

Aidan Koch :… oui, et aussi vite que possible. J’aime garder le contrôle de mes projets. C’est vrai, j’ai une idée très précise de l’esthétique de mes livres, ce qui renvoie probablement à — dans l’approche des beaux-arts, une large part dépend du contrôle de la qualité tangible des choses. C’est agréable — je veux dire, j’aime produire des choses moi-même, et j’ai l’impression d’avoir bâti un public suffisant pour — en fait, cela aide d’avoir quelqu’un qui s’occupe de la distribution, mais ce n’est pas essentiel. Je sais maintenant à quel rythme j’arrive à vendre mes livres par moi-même, et je participe à suffisamment de salons pour que — je finirai par récupérer ma mise, plutôt tôt que tard, sans doute (rire).

Xavier Guilbert : Quand tu fais des expositions, tu amènes aussi tes livres ? Ou est-ce que c’est plus difficile, parce que les endroits où cela se passe n’ont pas forcément l’habitude de ce genre de chose ?

Aidan Koch : Cela n’a jamais vraiment été le cas jusqu’ici… Je pense que c’est simplement parce que les galeries ne sont pas organisées pour vendre quoi que ce soit. Ils sont juste là avec leurs ordinateurs portables, et c’est tout.

Xavier Guilbert : C’est sûr, c’est bien de choisir d’éviter les définitions et de refuser d’être limitée à une case, mais parfois le monde qui nous entoure n’est pas d’accord et exige des définitions.

Aidan Koch : En fait, j’ai fait cette exposition il y a quelques mois où l’une des œuvres que j’avais préparées était un ‘zine, et je l’ai mis dans une jolie petite étagère. J’en ai donné des exemplaires, et j’en ai vendus quelques-uns, mais — c’était chouette. Oui, c’était à la fois l’œuvre que j’avais faite pour l’expo, mais c’était aussi un ‘zine qui coûtait $20. Ce qui est abordable, dans un environnement qui généralement ne l’est pas.

Xavier Guilbert : Que penses-tu de PFC ?

Aidan Koch : C’était chouette (rire). Très intéressant. En fait, j’ai l’impression que tout le monde est passé par beaucoup de changements d’humeur et de créativité. Mais pour moi, c’était particulièrement agréable, en cela que — je dessine toujours avec un objectif, ou pour quelque chose de très spécifique, alors qu’ici on dessine pour le plaisir. C’est agréable. Et puis également par rapport à la pression — la pression d’être celui qui vient abîmer le travail d’un autre, ou à l’inverse qu’ils puissent ajouter quelque chose de bizarre à ton travail. C’est bien qu’il n’y ait aucune pression.

Xavier Guilbert : Savais-tu à quoi t’attendre quand tu es arrivée ?

Aidan Koch : Non… mais je pense que c’est un peu ce que j’imaginais. C’est simplement une semaine de… collaboration. J’avais un peu entendu parlé de l’association ChiFouMi. Quand j’étais à Angoulême, Matt Madden (qui est très impliqué dans l’OuBaPo) en parlait beaucoup. Et en particulier de cette… résidence.

Xavier Guilbert : Je crois que c’est parce qu’Etienne Lecroart, qui est l’un des membres fondateurs de l’OuBaPo, avait choisi la contrainte utilisée pour la toute première édition de PFC. Il n’avait pas participé à la résidence, mais il avait été à l’origine. Je crois qu’il a fait récemment un « OuBaPo show » avec Matt… et oui, j’imagine que Matt puisse être très au courant de tout ça. Avais-tu eu l’occasion de travailler sur ce genre de collaboration quand tu étais à Angoulême, ou est-ce la première fois ?

Aidan Koch : Pour moi — oui, c’était la première fois que j’en avais entendu parler. En fait, je crois que je connaissais la version littéraire. Mais je ne savais pas qu’il en existait une version pour la bande dessinée et qu’il y avait — en fait, j’ai l’impression qu’il y a un groupe assez important qui s’implique là-dedans.

Xavier Guilbert : Il y a un groupe, et puis il y a PFC qui est plus expérimental. Et très ouvert aux propositions…

Aidan Koch : Oui. Parce que j’ai l’impression que l’OuBaPo était très — avait des contraintes très strictes. Comme des séries de…

Xavier Guilbert : Il y avait une dimension théorique importante dans la version littéraire, et je pense qu’au début l’OuBaPo a essayé de l’adapter. Ils ont sorti un livre récemment, l’OuPus numéro 6, qui est tout simplement un inventaire de tout l’existant, réparti en catégories. Il y a une véritable approche de cartographie, mais quand on cherche à expérimenter…

Aidan Koch : Cela fait disparaître l’expérimentation. Oui, c’est vrai, quand Matt en parlait je me souviens avoir pensé ça. Que oui, c’est intéressant parce que cela te sort de ce que tu fais d’habitude, mais au final tu te retrouves toujours prisonnier de contraintes. Alors qu’ici, c’est plus drôle, parce que tout le monde est là à faire : « oooh, et si on faisait ça ? Et puis ça ? » et cela reste toujours très ouvert.

Xavier Guilbert : T’attendais-tu à travailler autant ?

Aidan Koch : Oui… vraiment, oui. Je sais pas ce que l’on pourrait faire d’autre, parce qu’on travaille tout le temps. Mais c’est bien. Enfin, c’est que je pense que tout le monde fait de toute façon. Donc…

Xavier Guilbert : Travailles-tu généralement en studio avec d’autres dessinateurs, ou es-tu seule ?

Aidan Koch : Je suis généralement seule. En fait, j’ai un studio qui est chez moi, dans mon sous-sol, et mes colocataires ont aussi des studios en bas, mais nous n’avons pas d’espace commun pour travailler. Ce qui fait qu’ici, c’est drôle, cela me rappelle quand j’étais en école.

Xavier Guilbert : Avec la grande table où n’importe qui peut se balader autour et jeter un œil au-dessus de l’épaule de tout le monde…

Aidan Koch : Oui, c’est très sympa, comme ça (rire).

Xavier Guilbert : Est-ce qu’il t’a fallu beaucoup t’adapter ?

Aidan Koch : En fait, le premier jour j’ai vraiment détesté chacun des dessins que j’ai faits. Donc — j’essaie de m’adapter, d’être plus satisfaite de mon propre travail (rire). D’autant plus que je ne dessine pas souvent d’imagination. Et puis d’habitude, je ne fais pas — je ne sais pas, par exemple travailler avec les cases prédéfinies, c’est difficile. Donc il me faut plus réfléchir — réfléchir à comment utiliser ça du point de vue de la composition, tout en essayer de faire des dessins qui me plaisent. Mais… enfin, c’est intéressant, parce qu’une bonne partie de tout cela, je l’ai en quelque sorte emprunté à ce que font les autres. En fait, ce que je fais, je prends leur personnage et je le dessine d’une manière proche de la leur, mais je le transforme un peu. Voilà, comme si j’adaptais le travail de tous les autres. Parce que — en fait, comme je travaille beaucoup à partir de références, là c’est un peu comme si j’utilisais leur travail comme référence.

Xavier Guilbert : Et pour ce qui est de la résidence ? Cela correspond-il à comment June te l’avait présenté ?

Aidan Koch : Je pense que — oui, c’est proche de ce que j’avais imaginé. Même si bon, il reste encore une journée entière (rire). Je ne sais pas trop, je suis simplement curieuse parce qu’il y a tant — nous avons produit tellement de travailler et… est-ce qu’on en fait quelque chose ? Ou pas ? Et où cela va-t-il aller ? Ou encore — je ne sais toujours pas.

Xavier Guilbert : Sinon, tu as un nouveau livre qui va sortir bientôt ?

Aidan Koch : Oui, pour la New York Art Book Fair.

Xavier Guilbert : Et après cela, quels sont très projets ? J’ai l’impression que la manière dont tu travailles est, sinon impulsive, du moins du genre : tu as une idée, tu la réalises, et tu passes à la suivante. Tu te reconnais dans cette description ?

Aidan Koch : Oui, absolument (rire). C’est du genre « ce que je peux faire avec le temps que j’ai ». Donc — je veux dire, j’ai ce livre bientôt, et puis la semaine d’après il y a une exposition dans une galerie — deux, même. Donc : ce livre est fait, maintenant il me faut travailler sur ces expos, et puis ensuite je suis sûre que quelque chose va me tomber dessus. Je gère les priorités dans l’ordre où elles viennent.

Xavier Guilbert : Cela se compte en semaines, mais rien de plus long terme ?

Aidan Koch : Oui (rire). J’ai l’impression que, surtout depuis que j’ai déménagé à New York, je ne sais jamais vraiment d’où viendra ma prochaine paye, ou même où je vais aller. Je prends les choses comme elles viennent. Ah oui, je crois que je vais aller — je vais faire un festival et une expo en Belgique en novembre. Ce qui fait que je connais mon emploi du temps jusque là..

Xavier Guilbert : Une éternité…

Aidan Koch : Oui. C’est ça mon programme pour le moment, ce qui fait que je suis bien occupée. Ensuite, on verra. Je crois qu’il y a quelque chose qui va sortir — ah non, The Blonde Woman va être réédité, ça sortira peut-être pour le Comic Arts Brooklyn. Ensuite, Koyama Press prépare un recueil de récits plus anciens [After Nothing Come], et je crois que c’est prévu pour le printemps 206…

Xavier Guilbert : Qu’est-ce qui t’a fait te tourner vers Koyama Press  ?

Aidan Koch : C’est simple, elle [Anne Koyama] est extraordinaire. Je suis en contact avec elle depuis — depuis The Blonde Woman, elle a failli le publier. Mais j’ai reçu la bourse Xeric pour le faire, et donc — cela fait longtemps que nous sommes en contact, et j’avais depuis longtemps le projet de ce recueil avec Bill Kartalopoulos, il devait le publier chez Rebus, mais je pense que les choses sont un peu ralenties de ce côté-là. Koyama Press avait une place dans son planning d’édition, et nous a mis dessus, Bill et moi. Donc — je pense que ça va être chouette. Je n’aime pas vraiment revenir sur mes travaux, mais je conçois l’intérêt de le sortir. Ce serait une manière de compléter la chronologie de mon travail depuis… un certain temps. Tout ça, c’est agréable, je trouve. Ces histoires qui vont être à nouveau disponibles. Parce que The Whale n’est plus disponible, The Blonde Woman aussi… comme la plupart de mes ‘zines. En fait, il y a beaucoup de choses dont je n’ai même pas d’exemplaire (rire). Donc…

Xavier Guilbert : Qu’est-ce que ça te fait de revenir sur tout ça ?

Aidan Koch : Hmm… j’essaie de ne pas penser à — j’essaie de le considérer en étant objective. Mais je suis un peu : « oh, les gens ont apprécié ce boulot — okay, laissons-le ». Je n’ai pas vraiment besoin de me pencher à nouveau dessus. Mais cela montre combien les choses ont évolué, et c’est plutôt chouette. Lorsque j’en discutais avec Bill, j’expliquais que — chaque histoire que j’ai faite a été assez différente des autres, au moins visuellement, et ça donne une sorte de panorama de la manière dont ça a évolué.

Xavier Guilbert : Tout ce que tu as fait jusqu’ici était soit en tant qu’ouvrage indépendant, soit dans une anthologie au milieu du travail d’autres personnes. Qu’est-ce que ça te fait de tout avoir réuni en un seul ouvrage ? Comment as-tu organisé le contenu ?

Aidan Koch : C’est chronologique, en fait. Mais j’ai volontairement mis le veto sur un certain nombre d’histoires que je ne peux tout simplement pas… Je ne veux jamais les revoir, il y a une raison pour laquelle ce n’est plus disponible ou pour laquelle je ne l’ai pas réédité. Donc oui, il y a une sélection des travaux qui me plaisent le plus, et qui je pense sont les plus représentatifs de la direction dans laquelle je souhaite continuer de travailler, ou comme participant de ça, la lignée que j’utilise, en quelque sorte. Les choses qui m’ont appris et que j’ai appréciées.

Xavier Guilbert : Donc pas vraiment une chronologie officielle, mais plutôt quelque chose qui correspond à la manière dont ton projet a fini par se concrétiser au fil du temps.

Aidan Koch : Oui…

Xavier Guilbert : Est-ce que tu y retrouves aussi cette dynamique que nous avons évoquée ensemble, sur la création d’un réseau entre les choses ?

Aidan Koch : Quand j’y réfléchis — je n’y pense pas toujours, mais quand je regarde l’ensemble, il y a des thèmes, des ambiances et des personnages bien précis. Je pense que c’est bien d’en être consciente. Même si c’est simplement pour dire : « ah oui, c’est le genre d’histoire que j’aime ». Une prise de conscience personnelle — tu sais, de mon identité en tant qu’artiste narratif. Je pense qu’il est important de simplement s’en rendre compte. Même si ce n’est que pour éviter de me répéter…

[Entretien réalisé le 6 août 2015 à Minneapolis, durant PFC#5]

Entretien par en septembre 2016