David Lloyd

par

Né en 1950 à Enfield, au nord de Londres. Il a toujours voulu dessiner et il a toujours dessiné.

Quelles sont vos lectures de jeunesse ? Lisiez-vous des bandes dessinées américaines ? Européennes ?

David Lloyd : Je lisais des revues de bandes dessinées anglaises bon marché. Des trucs marrant comme Beano, ou d’aventure comme Victor and Lion. Originaire d’une famille d’ouvriers, je ne pouvais pas me permettre d’acheter les revues trop chères comme The Eagle, mais cela ne me manquait pas, jusqu’à ce que paraisse Boy’s World qui avait l’air super ! Il était bien imprimé, et on y
trouvait Wrath of the Gods, de Ron Embleton, un strip qui m’a très fortement influencé.
J’avais aussi accès aux comics américains, et j’en achetais assez régulièrement, mais ce qui m’intéressait le plus à l’époque, c’était des rééditions anglaises en noir et blanc d’histoires américaines de meurtres et d’horreurs, les Mystic and Spellbound. Rien ne m’attirait vraiment d’un point de vue artistique dans la production américaine, jusqu’à ce qu’apparaisse Amazing Adult Fantasy, un recueil d’histoires courtes signées Steve Ditko et Stan Lee. Cela m’a scotché. C’est de là qu’est parti Spiderman, et puis je suis devenu accro aux Fantastic Four.
Je dois dire que Tintin ne m’a jamais rien fait. Non seulement ce n’était que très difficilement accessible parce que cela n’existait pas en format comics, mais en plus c’était un personnage trop gentil, mélangeant humour et aventure d’une façon qui ne me passionnait pas. Quant aux autres auteurs franco-belges, je ne les connaissais pas..

Comment avez-vous compris que dessiner pouvait être une manière de gagner votre vie ?

DL : Il s’est passé un moment entre le jour où j’ai réalisé que ce que je lisait était réalisé par des gens dont la principale occupation était de dessiner, et celui où j’ai vu à la télé un reportage sur un de ces auteurs.
C’était le genre de programme censé montrer aux enfants chaque métier en le resituant dans son environnement de travail. Il y avait là un dessinateur assis sur un tabouret et penché sur sa table à dessin. Je me suis dit que cela avait l’air vraiment cool.

Cela n’a pas du être facile de trouver du travail tout de suite. Comment avez-vous commencé votre carrière ?

DL : J’ai fait mes classes dans une agence de publicité. Pendant mon temps libre, j’ai réalisé des séries de strips qui ne me semblaient pas mauvais, et j’ai décidé de tenter ma chance, parce que les premiers retours étaient assez
positifs. Evidement, cela n’a pas marché, mais ne souhaitant pas retrouver une activité avec des horaires de bureau j’ai enchaîné les petits boulots et persévéré dans les projets de strips. J’ai fini par dégotter mon premier
contrat pour un magazine télé, et puis cela a commencé à s’enchaîner, il y a eu un effet boule de neige.

Pouvez-vous nous parler de Marvel UK ?

DL : Dans les années 70, Marvel UK ne faisait que transformer du matériel mensuel américain en publication hebdomadaire. Ils ne solicitaient aucun matériel original, jusqu’à ce que Dez Skinn ne soit engagé pour s’occuper de
Hulk Weekly, qui accompagnait la série télé qui faisait son apparition sur les petits écrans anglais. On y trouvait Hulk bien sur, mais aussi tout un tas d’autres personnages. Celui pour lequel j’avais été engagé, Night Raven, était un vigilante masqué évoluant dans le Chicago de Capone.
J’ai enchainé les travaux pour Marvel UK, mais jamais pour la maison-mère. Par contre, j’ai commencé à travailler pour DC parce qu’ils recherchaient tous les talents anglais dans les années 80. Cela faisait plaisir ! A l’époque, les éditeurs de Grande Bretagne considéraient les auteurs comme des cuillères en plastique jetables.
Depuis les années 70 jusqu’à aujourd’hui, l’influence de
Marvel et DC n’a cessé de croître chez nous. La distribution et l’explosion des fanzines de l’époque n’ont pas été soutenus par les éditeurs.

Vous souvenez-vous de votre première rencontre avec Alan Moore ?

DL :Pas du tout ! Ce dont je me souviens, c’est de ma première conversation téléphonique avec lui. Il avait scénarisé un Doctor Who que j’avais dessiné, et l’on avait évoqué le fait d’avoir tous les deux fait des choses dans le même fanzine, Shadow.

Comment avez-vous travaillé avec lui sur V pour Vendetta ?

DL : Il m’envoyait un scénario, je le rappelais si j’avais des questions, ou des suggestions, pour lui faire part de mon sentiment, mais le synopsis était construit bien en amont et nous nous étions mis d’accord dessus. Mes
réactions n’avaient d’impact que sur des détails, plus particulièrement dans la manière dont certaines séquences ou mises en scènes étaient décrites.
Au départ, les premier chapitres ont été publiés chaque mois dans Warrior. Il écrivait les scénarii mois par mois, et il prenait son temps pour développer progressivement l’histoire, et de manière à se laisser une part d’improvisation. Il voyait mes planches avant d’écrire le chapitre suivant. Par contre, les trois derniers chapitres ont tous été écrits d’une traite, et on y a certainement perdu un peu en spontanéité.

L’adaptation de la série au cinéma est un vrai serpent de mer. En avez-vous des nouvelles ?

DL : Cela ne me pose aucun problème tant que l’histoire ne dérive pas trop de son point de départ. Les frères Wachowski en avaient écrit un bon scénario, même s’il posait quelques problèmes, mais ce n’est pas à moi de
faire des concessions. Les droits appartiennent à DC Comics, et ce sont eux qui décident, même si j’ai pu donner mon avis sur les deux scénarii que j’ai
vu passer.
Au final, cela ne peut être que positif, puisque cela attirera un nouveau public vers l’œuvre originale, il faut toujours revenir à la source !

Vous avez travaillé sur beaucoup de titres, mais ne vous êtes jamais lancé dans une grande série. C’est une question de choix ou de circonstance ?

DL : Je me lasse rapidement. Travailler sur une série mensuelle à l’américaine, comme on me l’a déjà proposé, me rendrait dingue. C’est différent si je travaille sur quelque chose de plus personnel mais même dans le cas de V, malgré un superbe scénario et des personnages incroyables, il a bien fallu que cela s’arrête.
Réaliser des histoires courtes, c’est aussi se réserver la possibilité d’explorer d’autres techniques, de changer régulièrement de dessin. Si les anthologies marchaient correctement, j’aimerais bien ne faire que cela.

Vous travaillez aujourd’hui sur un projet perso pour un éditeur français. En quoi est-ce différent de vos précédents ouvrages ?

DL : J’en ai toujours eu envie. Je rêve de l’album cartonné depuis longtemps. Et puis l’on peut traiter en BD de sujets bien plus adultes en France qu’aux Etats-Unis. Les enquêtes policières y sont mieux accueillies,
malgré les succès récents de 100 Bullets ou Sin City.
J’ai donc monté mon projet qui, après avoir tourné un peu, a été accueilli à bras ouverts par Carabas avec qui j’avais déjà travaillé pour le collectif Vampires. Sur ce projet, j’ai pu travailler tout seul, sans la ribambelle de responsables habituelle, et développer mon histoire comme j’en avais envie.

Pouvez-vous nous en dire plus sur Kickback ? Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire cette histoire ?

DL : Je me suis inspiré des films noirs que j’adore, le genre où les personnages ne parlent que quand ils ont quelque chose à dire, comme Bullit, Carnage ou La cité des dangers. Ce type de projet me tarabustait depuis un moment mais je n’avais jamais eu le temps de me pencher là-dessus.
Je ne sais pas pourquoi mon intérêt s’est porté sur ce genre. Sans doute parce que les « méchants » que l’on y rencontre ne sont que des métaphores d’éléments
perturbateurs que l’on ne peut contrôler dans sa propre vie… Kickback est un polar se déroulant dans une ville anonyme américaine fantasmée. C’est l’histoire d’un homme qui n’a pas fait les bons choix dans sa vie et qui tente de se rattraper.
Je ne veux pas en dire plus. Il vaut mieux le lire.

Entretien par en novembre 2004