Delmas x Brunet

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L'artiste aujourd'hui ne se limite pas seulement à une seule technique; il explore, il est opportuniste, il se révèle au gré des expériences qui lui sont possibles. La bande dessinée fait définitivement partie de sa culture, de son champ d'action, et tous les codes graphiques contemporains sont autant de références que la peinture classique, que l'art primitif. C'est son univers, un monde où il voit des liens, où il créé des liens, où il révèle ce que l'histoire de l'art ne peut faire apparaître. Avec Julien Brunet, le manga se juxtapose aux vases grecs antiques et ils réapparaissent métamorphosés, dans un clip d'art digital. L'impression, le livre, le zine sont des morceaux, des fragments d'interventions plastiques ou graphiques protéiformes.

Julien Brunet est né en 1978 aux Lilas. Entre 1995 et 1998 il passe un CAP de dessinateur d’exécution en publicité au LEP Corvisart à Paris puis entre à l’Ecole Régionale des Beaux-Arts de Rouen en 1998 où il y restera jusqu’à l’obtention d’un DNAP et d’un DNSEP en 2003. Aujourd’hui, il est artiste plasticien.

Bibliographie : My first ed ; Springbreak ; Black belt ; Live by the gun die by the gun ; my first ed, 2nd edit ; Burn gone wild, aux éditions Echec scolaireVigdis la farouche de Sigrid Undset, illustré par Julien Brunet, éditions de la robe noire. Graisse Animale 17. A l’aveugle, United Dead Artists

Gabriel Delmas : Pourquoi cette obsession pour Miley Cyrus ?

Julien Brunet : En fait, ça vient d’une collab avec un ami sur une vidéo, moi j’ai animé mes dessins et lui travaillait sur le son, puis comme il est aussi graphiste et travaille l’image, je lui ai proposé d’intervenir également sur la vidéo, il a donc ajouté quelques images subliminales dans le montage, et parmi son choix se trouvait Miley Cyrus, photographiée par Terry Richardson en maillot de bain string avec grosse canette de bière. Elle m’a inspiré un truc marrant sexy dérisions et « le rien à battre » m’a plu, donc ensuite j’ai fait ma recherche sur google et j’ai trouvé d’autres trucs marrants. Plus jeune, y’avait Madonna, on dira que j’ai trouvé la succession et j’ai de temps en temps bossé à partir d’images de Miley, surtout dans un travail sur le Gif, le tramage numérique RGB, voilà c’était un trip, je reprendrai sûrement plus tard ces expérimentations.

Gabriel Delmas : Il me semble que tu as commencé à créer au sein d’un collectif à Rouen, et que le livre, l’impression, le fanzine ont une importance particulière pour toi …

Julien Brunet : Avant Rouen où j’ai fait cinq ans de Beaux-Arts, j’ai fait un CAP dans un lycée d’arts graphiques à Corvisart à Paris pendant trois ans où j’ai commencé à faire un peu de graff, de tag etc, on a fait du vandale, du terrain, des tags un peu et des cahiers de dessins avec les potes et d’autres gens… Puis à Rouen, un peu pareil, avec en plus l’activité « artistique » de l’école, toujours ces cahiers de dessins, graffs tags, quelques ‘zines avec les HSH, A 31, etc.

Gabriel Delmas : Ce sont tes premiers pas dans l’édition ?

Julien Brunet : C’est par Craoman et Dav Guedin, que j’ai mis les pieds à Marseille au Dernier Cri pour le salon Vendetta 1 et 2… Là-bas j’ai rencontré pas mal de gens de l’édition « underground », j’avais ramené quelques ‘zines faits dans mon salon édition « échec scolaire« , en imprimant mon travail grâce à un risographe et quelques outils pour produire des tirages à cent exemplaires max. J’ai dû en faire cinq ou six, du format A5 à A4 avec différents papiers : des petits portfolio avec pochette, des marque-pages découpés, des petits posters A3, puis comme la machine avait un problème elle a été revendue ; ce modèle n’était pas facile à trouver, il manquait des pièces comme les tambours de couleur, ce qui nous obligeait à travailler seulement en noir.

Gabriel Delmas : Tu as donc commencé en quelle année à faire des livres en autoproduction et pourquoi ?

Julien Brunet : C’est cette histoire avec la machine riso. Au départ en 2009, un pote m’a demandé si ça m’intéresserait d’être édité par lui, il n’avait pas de machine à dispo mais il avait envie de faire de la risographie. Après quasiment une année de préparation d’un petit livre (Blackbelt), j’ai pu avoir, avec mon colloc (photographe), un risographe pas cher, on l’a installé dans le salon, on a pris des agrafeuses, des ramettes A3 et quelques cartouches pour commencer nos petits délires… Finalement le premier livre, my first edit est sorti en 2012. Le riso ayant un port USB, on pouvait envoyer depuis nos ordis direct nos dessins plutôt que de passer par la case scanner sur le dessus, donc my first edit est une série de dessins réalisé avec une tablette Wacom directement sur Photoshop.

Gabriel Delmas : La riso, c’était pour avoir un pigment solide avec un grain ?

Julien Brunet : Non, c’était pour avoir plutôt un truc où l’encre n’est pas cuite et pas brillante comme un photocopieur laser, mais en vrai on avait envie d’avoir plusieurs tambours pour faire nos éditions avec plein de couleurs. Le truc, c’est que le modèle que nous avions n’était pas très populaire et pour avoir des tambours d’occase et abordables, c’était presque impossible. Donc on a gardé le noir, le rendu était intéressant. Je traitais mes images pour avoir du noir 100 % en mode lignes ; sinon, bien sûr, ça permettait le tramage soit aléatoire ou mécanique, ce que j’ai testé, mais avec une couleur, ce n’est pas très amusant…

Gabriel Delmas : Revenons sur tes premiers pas dans l’art, à quel moment tu te dis que tu veux faire ça de ta vie ? Que tu veux être « artiste » ?

Julien Brunet : Disons que pour commencer, mon grand frère est artiste, depuis tout petit, il dessine, et moi aussi, mais maintenant, il sculpte, essentiellement. Il dessinait beaucoup de chevaliers dragons, il faisait des Livres dont vous êtes le héros, il faisait aussi du graffiti genre au début des années 90 et même avant je pense…
Moi, je dessinais aussi, d’abord au collège des Dragon Ball. J’allais à Tonkam, à Junku à Paris (j’ai habité à Fontenay-sous-bois jusqu’en 98) chercher des manga en japonais, j’allais aux conventions projections Japanim’ avec des potes, j’allais aussi chercher des jeux video japonais, etc,

Gabriel Delmas : Cette culture manga, c’est un peu un déclic, une passion ?

Julien Brunet : Oui… j’ai même commencé à apprendre le Japonais à cette époque, mais arrêté assez vite quand même… J’ai aussi pratiqué le graffiti. Ça a commencé avec mon CAP à Corvisart à Paris, dans le XIIIe… Avec mes nouveaux potes de CAP qui venaient de Paris et Banlieue, on rigolait bien, on dessinait tout le temps en cours. Avec mon CAP, on a vu quelques expos importantes dont David Hockney à Beaubourg, c’était, je pense, un truc que j ai adoré.
Mon frère, lui, était à cette époque à Elisa Lemonier, un lycée Arts Graphiques, Porte Dorée. Il avait aussi des super potes dans le graff que j’ai rencontrés également, on allait chercher des magazines de graff étrangers sur Châtelet, des trucs comme ça, les bombes de peinture gare de l’Est, des 400ml, les encres « teinture pour cuir » pour remplir les posca et tagger dans les couloirs du métro.
Bref, suite à mes trois ans de CAP… et bien déjà mon frère, après l’armée, allait aux Beaux-Arts de Paris… moi je rigolais : « haha artiste c’est pas un métier »…
A cette époque, je faisais le CAP dessinateur d’exécution en publicité, formation quasiment entièrement traditionnelle : dessin à la main, observation lettre dessinée, typographie, carte à gratter, nus, histoire de l’art, retouche photo à la main etc… Cette formation fut transformée en tout numérique après notre départ. Ensuite, c’était soit bac pro, ou sinon on m’a conseillé les Beaux-Arts de Rouen… Je connaissais pas du tout, je suis parti là-bas finalement, aidé par ma famille… aux Beaux-Arts, j’ai essentiellement peint pendant cinq ans. Sur la fin, j’ai rencontré des plus jeunes qui faisaient du graff, mais moi je m’en détachais petit à petit, et même assez rapidement en fait. J’ai donc continué ma pratique de peinture sur toile tout en faisant aussi de la 3D, du dessin etc etc.

Gabriel Delmas : Tu sors des Beaux-Arts…

Julien Brunet : Et donc 2003, sortie de l’école des Beaux-Arts. Ensuite travail à la maison, peinture, expérimentation en volume aussi, et plus tard, disons en 2008 : premier projet qu’un ami me propose : l’édition d’un zine riso.

Gabriel Delmas : D’accord, c’est arrivé un peu par hasard…

Julien Brunet : Je décide donc de faire dix dessins A5 et un A4, j’y passe un an, mais bon, l’ami n’a pas de machine, donc, en cherchant un peu, je trouve un riso et décide de produire finalement moi-même ce travail. J’édite ça sous le nom d’échec scolaire, et je commence à éditer de petits tirages (100 copies) de mes boulots. J’édite un ami aussi mais j’en ferai pas d’autres, à part un mémoire d’une stagiaire… et comme la machine a été revendue, arrêt de production jusqu’à maintenant.

Gabriel Delmas : Est-ce que ton frère regarde ton travail, a une certaine influence sur toi ?

Julien Brunet : On se voit plus trop depuis que je suis à Rouen. Au début il m’a influencé, surtout dans mon enfance, il a quatre ans de plus que moi, et il dessine très bien. On partage cette passion évidement et on s’apprécie mutuellement, même si nous sommes au final assez différents.

Gabriel Delmas : Tu as fait plusieurs publications avec Blanquet. Comment l’as-tu rencontré et comment sont nés ces projets ?

Julien Brunet : Stéphane Blanquet m’a ajouté simplement sur Facebook. Il m’a proposé de participer à ses éditions United Dead Artists, je crois d’abord par une carte de dead panini, puis j’ai fait des participations à des expos collectives à Liège à la Galerie Central, puis à Paris rue Louise et à Nancy. Il m’a demandé ensuite de faire des dessins pour des stickers UDA, de faire la couverture du tabloïd La Tranchée Racine, et enfin de préparer un livre monographique grand format, qui est sorti chez UDA également (A l’aveugle).

Gabriel Delmas : Quels sont les artistes de ton entourage ? Ceux avec lesquels tu es en lien et qui ont un regard sur ton travail ?

Julien Brunet : Je partage mon travail avec mes amis à Rouen et sur Facebook. A Rouen où je suis le plus souvent, je fréquente des artistes plasticiens mais aussi des musiciens, des graphistes, des potes du skate, du graff, des profs, des coiffeurs etc … Du coup, ces échanges sont plutôt divers et intéressants, car pas focalisés sur une pratique mono-médium. Sur Facebook, j’ai beaucoup de gens aussi en amis, la plupart que je n’ai jamais rencontrés. Avec certains ont discute, on fait des collab etc… Puis, il y a aussi Mathieu Desjardins avec qui j’ai produit quelques sérigraphies et participé à son fanzine Avorton ; Jean-Jacques Tachdjian qui m’a proposé de participer à son ‘zine Couverture ; et d’autres éditeurs comme Sarah Fisthole et Pole Ka, Gabin Kanibal, les éditions de la Robe Noire pour les illustrations d’un roman norvégien (Vigdis la farouche de Sigrid Undset) et les visuels pour la SMAC, le 106 à Rouen etc…

Gabriel Delmas : Tu as d’autres activités, notamment de peintre, de sculpteur. D’où vient la nécessité de continuer à faire des livres ?

Julien Brunet : La nécessité de l’édition est arrivée plus tard… Mais j’avais déjà constitué des petits livres d’images de mes tableaux, pour faire des dossiers, puis des mini-trucs avec quelques dessins, sur imprimante. Aux Beaux-Arts, on avait un bel atelier de gravure. J’ai commencé à la pointe sèche sur cuivre, testé l’aquatinte au sucre, la sérigraphie, la litho, il y avait même de l’héliogravure, de la gravure sur bois etc. J’ai pas tout fait essayé malheureusement. En tout cas, j’avais un intérêt pour l’image imprimée, reproductible .

Gabriel Delmas : Tu as d’autres projets de micro-édition maintenant ?

Julien Brunet : Non, je produis des images pour le moment sans savoir où elles iront. En ce moment, je travaille la couleur sur informatique, j’aimerais bien en faire une série et la publier à un moment. Ce sont des dessins numériques, donc pour exposer ça serait des tirages, mais j’aimerais aussi retravailler sur toile de grand formats couleur.

Gabriel Delmas : Pourrais-tu faire des bandes dessinées, quelle est ta vision de ce médium ? Quels sont les auteurs qui t’intéressent aujourd’hui ?

Julien Brunet : Humm bande dessinée, je pense pas, ça demande un scénario, de faire un storyboard, je sais pas quoi… Quand je dessine, j’aime bien avoir une vague idée et que l’image monte petit à petit… Je n’ai pas d’idées précises en général de ce que je voudrais arriver à faire… J’aimais pas mal les mangas en fait, le coté noir et blanc déjà, mais aussi le dessin de Toriyama en premier … Il était le plus connu a l’époque et Dragon Ball évidement, j’aimais beaucoup ces fumées, ces explosions, ces lignes, ces onomatopées. A l’époque, en 94-95, on n’avait que les éditions en japonais, donc le texte était inutile.

Gabriel Delmas : On peut voir encore cette influence dans ton travail.

Julien Brunet : Plus tard, j’ai pas mal regardé Osamu Tezuka, j’ai plutôt regardé ses cadrages mais là, en VF, donc j’ai pu lire les histoires… Certaines sont d’ailleurs destinées à un public plutôt adulte et je trouvais ça vraiment cool. J’ai eu aussi ma période Image comics genre Spawn version US –d’ailleurs avant la période manga, je focalisais sur Spawn, en particulier Todd Mc Farlane. Je trouvais ça mortel, la couleur de fou, les persos bien méchants, monstrueux, le style graphique, ça me rappelait la revue USA magazine, un truc comme ça… Y avait aussi Simon Bisley que je vénérais : gros monstres, femmes dénudées couleur genre à l’aéro ou je sais pas quoi. Pareil, le texte des comics en anglais, je les lisais pas, haha, juste lire les images.

Gabriel Delmas : Tu absorbais visuellement les bandes dessinées…

Julien Brunet : Après il y a Reiser, il y avait ça chez mes parents, j’adore son dessin… Les Lucky Luke, les Schtroumpfs, Asterix étaient là, mais ça ne me parlait pas… En revanche, les Franquin, Edika, Fluide Glacial, ça je les lisais, et je trouvais trop cool aussi les dessins… Bref pas énormément de bande dessinée chez moi, j’aimais surtout les magazines de graffiti en import qu’on trouvait à Paris dans des petits shops, là on avait beaucoup de taffs intéressants à y voir.

Gabriel Delmas : Donc même des bandes dessinées plus expérimentales tu ne penses pas en faire ? Pourtant il y a comme des découpages dans ton livre chez UDA… Il y a aussi ces dessins violets que j’ai vu de toi qui ont un côté un peu bande dessinée. Ton univers étant très graphique, on s’attendrait à voir surgir des découpages justement. Je ne sais pas si tu connais Clément Vuillier mais il fait des choses en bande dessinée qui pourraient se rapprocher des formes que tu dessines.

Julien Brunet : Non je connaissais pas, en effet il y a un truc commun dans son travail et le mien. J’ai fait comme des cases, c’est juste, après je teste des choses de temps en temps, ça m’attire… Je vois des choses qui me plaisent, parfois… Récemment, j’ai créé un décor montagneux avec une route, des végétaux, des roches, des surface liquides, des tunnels. J’ai travaillé en 3D et fait les dessins de texture tout à plat, c’était réellement la première fois que je mettais le dessin dans un espace, même s’il est virtuel. Il y a de toute façon dans le rendu du travail (video, VR ou images fixes) quelque chose dans la composition de l’image qui ressemble au cadrage photo. Je veux dire qu’il y a, avec l’accumulation d’un travail en grande échelle et la multiplicité des images et points de vues, des choses qui m’ont donné envie de faire une série de captures de dessins en volume et d’en faire une publication, qui pour le coup s’articulerait sur une idée de bande dessinée, projet à poursuivre plus tard…

Gabriel Delmas : Tes dessins font beaucoup penser à la gravure sur bois, avec cette vision noir et blanc très fine et très détaillée, quelles sont tes références dans ce domaine ?

Julien Brunet : Pas mal de trucs, les estampes japonaises, la peinture italienne du quattrocento, Paolo Uccelo, Fra Angelico, Simone Martini, etc. les gothiques, la peinture flamande, Dürer, Magritte, David Hockney, Caroll Dunham, Philip Guston, Delacroix, Matisse, Ingres, etc. J’ai pas trop de noms en tête, après depuis quelques temps, je regarde surtout beaucoup de mes contemporains. C’est hyper intéressant, il y en a des centaines en dessin et des plasticiens, artisans, illustrateurs etc…

Gabriel Delmas : Même s’il y a un côté street art évident dans ton travail, il y a aussi quelque chose de très classique, même grec archaïque parfois…

Julien Brunet : Ça m’arrive de griffonner quelques lettrages, quelques tags sur un coin de papier. Je regarde de loin la scène du street art qui ne me parle plus vraiment aujourd’hui. A l’inverse, la culture classique m’intéresse de plus en plus aujourd’hui : l’art antique, la Renaissance, les arts décoratifs, le design, l’architecture. Je pense être sorti d’une époque où je ne pensais que par la street culture, que ce soit par mon travail de dessin, de peinture et par mes intérêts culturels. Aujourd’hui, je regarde des choses plus variées et qui épanouissent plus ma curiosité. Je n’aime pas être étiqueté genre : je fais des petits points par exemple. J’ai des envies, pendant un moment, ça sera du noir et blanc hyper minutieux « en petits points » et longs… et après, je ferai de plus grands formats au pinceau et rapidement.

Gabriel Delmas : Et la peinture ?

Julien Brunet : La couleur, c’est plus compliqué… Avant que je ne fasse essentiellement que du dessin, je ne faisais que de la peinture sur toile, avec beaucoup de couleurs… Mais le dessin a finalement repris le dessus et aujourd’hui je pense souvent à intégrer la couleur qui avait disparu de mon travail. D’ailleurs, j’ai, par le biais de collaborations à des éditions, été « obligé » de passer par la colorisation de quelques dessins noir et blanc. Je n’en suis pas encore vraiment satisfait, car colorer un dessin n’est pas la même chose que de dessiner dès le début en couleur, ou peindre… Du coup je peins en noir et blanc aussi, alors est-ce du dessin ou de la peinture ? Je ne sais pas. En tout cas, j’aime de temps en temps m’extirper d’une zone de confort et tenter des choses.

Gabriel Delmas : En numérique… On a vu aussi pas mal de tes boulots dans ce genre. Tu changes de styles comme de techniques assez rapidement.

Julien Brunet : Je bidouille aussi le dessin sur palette graphique sur ordi. J’aime beaucoup le pixel, le zoom dans l’image. Je deviens fou car le geste est le même que l’outil stylo ou pinceau, mais on n’a plus d’échelle dans le dessin, c’est comme si on pouvait devenir minuscule, faire un détail, puis devenir géant et continuer le même dessin. Et ajouter du blanc que je n’utilise pas pour le dessin papier. ça devient chronophage… Tout ça, je l’utilise aussi pour mes 3D où je mappe (colle) mes dessins, et là je travaille la matière et le volume, l’ombre et la lumière prennent un autre tournant. Je travaille sur des animations avec cette technique, mais je produis aussi des images. La perspective dans le dessin et celle qu’offre la 3D me passionnent depuis longtemps. Le VR aussi a pointé son nez récemment, encore un moyen différent de pénétrer le dessin… technique que je trouve marrante et finalement accessible. J’ai testé l’impression 3D d’après une modélisation en 3D, ça marche super ! Aussi, j’ai dessiné pour finir sur des volumes en médium à faces triangulaires, dans l’esprit de volume 3D, où j’ai peint et dessiné dessus, pour boucler la boucle du numérique VS analogique.

Gabriel Delmas : En matière de dessin, puisque tu as une culture très riche et très variée, tu sembles hyper actif. Il y a bien quelque chose qui capte ton attention, et certainement quelque chose de commun à toutes ces sources, tu penses que c’est quoi ?

Julien Brunet : Plus que le dessin, je pense (puisque qu’il faut verbaliser et que je ne sais pas vraiment), je pense que peut-être, c’est la sensation qu’on éprouve devant une œuvre, une sculpture, une installation, un paysage, l’atmosphère, la forme, la ligne, le contraste des formes, les traités, la profusion ou la simplicité, la composition, la lecture de ce qu’on observe. Il y a une sorte de contemplation, de fascination dans ce qu’on voit qui peut m’influencer. Le sexe y prend une part importante, c’est vrai, il y a du fantasme ou je ne sais quoi. Mais le paysage, l’observation de tout le visible et l’invisible me passionnent, comme cette histoire de l’astéroïde à des millions d’années-lumière qu’on a pu observer. Je trouve ça passionnant et surréaliste, pourtant nous l’observons, n’y comprenons pas grand-chose. J’aime la spontanéité, mais aussi inverser les choses, rentrer à l’infini dans le dessin, c’est ce qu’il se passe quand je travaille sur ordi car on peut zoomer sans cesse. Il y a comme une fractale, un truc qui nous échappe toujours. Une forme, qu’elle soit représentée en un corps, une fumée, une plante, un rocher, peu importe, c’est un prétexte. Il y a aussi beaucoup de références à la lumière, au modelé dans mon travail, mais j’ai une volonté de représentation sans contraintes, sans règles vraiment.

Gabriel Delmas : Oui il y a une part d’abstraction graphique très forte, mais c’est intéressant ce que tu dis. Effectivement on retrouve tout cela à la fois dans tes dessins, qui sont des synthèses de ces impressions très fortes, comme si ta mémoire pouvait garder ces variations de lumière avec ce grain argentique. Ton travail est très particulier, il est hybride. Il y a une énergie, un trait très graffiti (et grec archaïque à la fois), et dans le traitement tu peux faire quelque chose de très brut ou de très minutieux, avec une obsession quasi maniaque du « point signe » comme motif graphique et clair-obscur à la fois. Il y a aussi des proximités avec les travaux de Tetsunori Tawaraya ou Matt Brinkman, non ? Est-ce que tu es très attentif à ce qui se fait dans les marges de l’édition, dans les ‘zines, sur les sites d’artistes ?

Julien Brunet : Je suis les artistes, dessinateurs, éditeurs etc. sur Facebook essentiellement, ça reste le moyen le plus rapide pour moi de voir un maximum de choses en un clin d’œil, voir l’actualité etc, les sites internet je les regarde rarement.
Brinkman, oui j’adore. Je ne connais qu’un bouquin de lui, j’aime beaucoup cet ouvrage qui est rempli de têtes. Surtout, le motif est si dense qu’il se fond dans un tout quasiment abstrait un peu fantomatique qui me plait bien, et ces têtes sont parfaitement flippantes.
Le travail de Tetsunori me plait bien aussi, son dessin est trop cool. J’adore ses monstres extra-terrestres, les formes géométriques qu’il emploie, la façon de traiter la matière : ses gros aplats noirs quand il y en a, les petits points pour ombrer les lignes, nickel, en zigzag, en pointe, molle ou angulaire. C’est du beau boulot qui motive.

Gabriel Delmas : Comment tu te vois dans dix ans, artistiquement ? Tu as une vision à long terme de ton art ?

Julien Brunet : Dans dix ans, j’imagine avoir emprunté d’autres pistes, je ne fais pas de plans sur la comète. Déjà, au jour le jour, ça me parait loin. En gros, même si j’ai des choses en cours un peu longues à produire, j’ai toujours hâte de commencer de nouvelles choses. En ce moment, j’ai envie de peindre sur toile en grand, ça me manque, l’amplitude du corps, la vision moins microscopique que le dessin sur papier, assis à sa table. C’est une pratique difficile aussi et j’aime varier les supports et les médiums, j’ai envie de changer mon travail par période, par chevauchement, autant le noir et blanc que la couleur que le dessin ou la peinture ou le dessin et l’animation 2D, 3D textures ou aplats sur ordinateur. J’ai des envies et dans dix ans, je ne pense pas que ça changera. Là, je rêve de matos pour peindre dessiner en large.

Gabriel Delmas : D’après toi, qu’est-ce qui fait qu’un dessin, qu’un style plaît à un large public ou au contraire ne peut s’adresser qu’à un public restreint ? Est-ce que tout style pourrait plaire ? S’agit-il seulement de communication, de persuasion ? Comment vois-tu l’aspect commercial de l’art ?

Julien Brunet : Plaire n’est pas un but dans la pratique que j’ai du dessin. Bien sûr, ça implique de séduire pour intéresser des gens. Le style aussi est un piège, si jamais tu te bases sur ce que les gens te disent. J’essaye de garder mon propre avis sur mes créations. Qu’elles plaisent ou pas, je garde mes propres préférences ; elles évoluent avec le temps.
L’aspect commercial de l’art est tout à fait normal, c’est un travail comme un autre à mes yeux. Il n’y a pas de mythe de l’artiste pour moi, vendre des choses me paraît normal, mais mon travail n’est pas d’être un vendeur. Après, faire des choses commerciales peut être possible à mon avis, l’art est un peu partout, il se fait bouffer par la pub, internet, les sites branchés qui reprennent toutes les cultures et les diffusent à un échelle mondiale –il y a du bien comme du pourri. Finalement, je n’y prête pas vraiment attention quand je travaille sur des choses persos : je me lance et après on verra plus tard ce que ça deviendra, expo, bouquin, ‘zine, t-shirt, skateboard, affiche etc peu importe.

Gabriel Delmas : Techniquement, puisque tu aimais certains illustrateurs qui utilisaient l’aérographe, est-ce que tu pourrais peindre ainsi, ou avec de l’acrylique et des bombes ? Il y a un lien d’ailleurs entre ces artistes et le graffiti…

Julien Brunet : Pourquoi pas, j’aimerais tester un peu l’aérographe, avoir de la ligne floue, faire des dégradés, avoir de nouvelles matières… après, tout m’intéresse, ça pourrait être du fusain, des pastels, des crayons de couleurs etc… L’aéro, la bombe tout ça, en fait je n’y pense plus depuis longtemps, le graffiti n’a plus beaucoup d’intérêt pour moi. J’admire surtout Simone Martini, Giotto, Piero de la Francesca, Dürer, Gerhard Richter, Philip Guston, Carrol Dunham, Richard Tuttle, Sol Lewitt, Donald Judd, David Hockney, Matisse, Jonathan Messe, Franz Ackermann et beaucoup d’autres…

Gabriel Delmas : En 2016 il y a eu une exposition de tes œuvres, « Mythologies approximatives », à Orléans. Comment s’est organisé cet événement ? Tu avais déjà fait plusieurs projets avec le POCTB ?

Julien Brunet : « Le pays ou le ciel est toujours bleu » (POCTB) à Orléans dirige l’espace d’expo dans la ville, mais aussi le module itinérant « La borne ». C’est par cette dernière que j’ai été en contact avec Sébastien Pons et Laurent Mazuy, tout deux artistes plasticiens qui gèrent le centre d’art et La borne. J’ai donc répondu à un appel à projet et, ayant été retenu, j’ai exposé dans La borne. Plus tard, ils m’ont invité à exposer au POCTB à plusieurs reprises, et une troisième fois en octobre dans leur nouvel espace où j’installerai en sous-sol une projection vidéo et des images tirées d’une animation 3D mappé de dessins numériques. J’y présenterai aussi quelques tirages numériques, la vidéo-projection sera accompagné d’une bande-son réalisée en collaboration avec un pote avec qui je travaille régulièrement (Bertrand Gruchy).

Gabriel Delmas : Quels sont tes autres projets pour cette année 2017-2018 ?

Julien Brunet : En ce qui concerne le travail d’atelier, j’envisage de produire une grosse série de dessins sur toile de différents formats. Je pense que je vais expérimenter des choses techniquement et peut-être aller dans des choses plus en couleurs, rien de vraiment figé à l’heure actuelle, ça reste encore des envies.

[Entretien réalisé par mail, entre avril et août 2017]

Entretien par en octobre 2017