Delmas x Clément Vuillier

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Clément Vuillier, plutôt discret et loin des protubérances punk de l'édition underground, propose, dans ses livres et illustrations, un dessin élégant et ordonné à côté de formes plus libres et expressives dans ses sculptures et ses fusains. De nos jours, L'artiste a intégré plus que jamais, le livre, le 'zine, le médium bande dessinée comme un champ d'exploration possible de ses figures et figurations. Le mouvement qui se montre, un peu partout dans le monde, a compris, grâce à ses aînés, que l'art actuel était total, ni populaire, ni élitiste, ni maudit, ni commercial, mais au croisement des expériences et des cultures, d'où qu'elles viennent. Il faut surtout les articuler et en exposer le sens.

Clément Vuillier est né à Bagnères-de-Bigorre dans les Hautes-Pyrénées en 1989 ; il passe un Bac arts appliqués, entre à l’école Estienne en DMA illustration à Paris, puis en équivalence en 3ème année aux Arts décoratifs de Strasbourg en illustration, jusqu’au DNSEP. Il retourne à Paris, où il vit actuellement. Il fonde la maison d’édition 3 fois par jour avec Idir Davaine. Le but de ce projet, qui se poursuit aujourd’hui, est d’avoir un outil pour éditer leurs livres, ainsi que ceux qui leurs semblent intéressants… En parallèle, il travaille pour des commandes en dessin (Télérama, revue Reliefs, UPSaclay, Grand Palais, éditions le nouvel Attila…), en graphisme (Grand Palais) et en sérigraphie.

Bibliographie : Le voyage céleste extatique ; L’année de la comète, aux éditions 2024Canicule ; Nous partîmes 500 ; Talweg ; -65 000 000 ; Flat ; Méchant médecin, bon architecte ; E=mc² ; Il ne faut jamais ; Saint-Guignefort aux éditions 3 fois par jour. Participation régulière à la revue PAN, aux éditions Magnani.

Gabriel Delmas : Tu as créé la maison d’édition 3 fois par jour avec Idir Davaine. Peux-tu nous en dire plus sur la genèse de ce projet alors que tu étais encore étudiant ? Ça a dû vous demander beaucoup d’organisation, de mobilisation, même financière… C’était par nécessité parce que vos livres ne pouvaient trouver leur place dans d’autres structures déjà existantes, ou parce que vous vouliez absolument comprendre toute la chaîne de production des livres et fabriquer des objets qui correspondent totalement à vos attentes ?

Clément Vuillier : Un peu des deux ! Nous avons débuté ce projet aux Arts décoratifs de Strasbourg lors de notre quatrième année d’étude. Nous n’avions qu’une idée assez vague du marché de l’édition car nous ne nous y étions jamais confrontés directement, mais nous avions l’intuition qu’il n’était pas forcément aisé de faire ce que l’on voulait. De plus, la sortie d’étude nous semblait compliquée, et nous avons voulu anticiper cette transition en ayant un projet qui fasse le pont entre les études et le grand bain ! Pas mal de promos au-dessus de nous avaient lancé des fanzines collectifs ou des structures de micro-édition, et nous avons monté 3 fois par jour. L’école proposait un atelier de sérigraphie et de prépresse assez incroyable et nous en avons profité à fond pendant deux ans. Nous publiions des petits livres à tirages très limités (entre 30 et 100 exemplaires), majoritairement imprimés en sérigraphie et reliés à la main. On a donc pu se confronter à toutes les questions de la microédition, et comprendre par étapes les différents maillons de la chaîne. Et trouver des solutions techniques pour pallier au manque de sous !
Une fois sortis de l’école, on a dû repenser tout le système de production car nous ne bénéficions plus de l’atelier. On est donc passés à la vitesse supérieure, avec des tirages plus conséquents (entre 500 et 850 exemplaires), ce qui implique d’imprimer différemment et de diffuser en librairie.
On a décidé dans un premier temps de garder une part de sérigraphie (couvertures des livres) ou d’intervention manuelle (jaspage…) sur les ouvrages, pour continuer ce que nous avions amorcé aux Arts déco.
L’idée principale de cette structure a toujours été de la considérer comme un outil permettant de réaliser nos projets, et donc qu’elle soit suffisamment souple pour s’adapter à nos envies et besoins du moment : publier un livre, monter une expo… Notre activité principale étant le dessin, nous ne pouvons pas nous consacrer exclusivement à cette partie éditoriale, mais nous pouvons l’utiliser au besoin pour développer et concrétiser un projet, tout en étant assez libres dans les choix et les moyens de réalisation.

Gabriel Delmas : Comme tu le dis, aujourd’hui vous publiez des livres en offset avec des tirages assez élevés ; vous êtes entrés dans une véritable économie avec diffusion en librairie. Certains titres sont épuisés, ce qui est un véritable succès pour des livres exigeants. Un des livres les plus emblématiques de votre catalogue est certainement Nous partîmes 500, un grand livre très fort graphiquement, de plus de cent pages, qui fonctionne comme une bande dessinée avec une case par page. Comment est né ce projet ? Quelle est ta vision de la bande dessinée ? Et quelle vision de la bande dessinée développez-vous au sein de votre maison d’édition ?

Clément Vuillier :  J’ai commencé à travailler sur Nous Partîmes 500 à l’automne 2013. Je n’avais pas d’idée précise du projet dans son ensemble : j’ai commencé par réaliser quelques images, sur un format fixe, en partant d’une envie de dessiner des paysages. Je voulais aborder ce thème sans documentation et sans connaitre directement les endroits que je voulais représenter, mais en me basant sur un imaginaire (collectif et personnel) de ce que pouvaient être ces endroits. Il s’agit donc plutôt d’archétypes et de fantasmes, à l’instar de certaines gravures du XIXème siècle qui proposaient de voyager sans que leurs auteurs n’aient eux-mêmes visité ces endroits. Une fois que j’ai eu quelques images, un constat s’est imposé : pour tenir l’exercice sur la durée, il me fallait un fil conducteur, pour éviter la lassitude (au lecteur) et les errances (à moi). Le choix d’un système très rigoureux (dix personnages, qui meurent successivement à chaque changement de décor) m’a obligé à trouver des astuces pour que ça marche et à continuer quand l’envie était moins présente.
Concernant ma vision de la bande dessinée, j’ai une culture très parcellaire de ce médium. L’enchaînement des images et des pages s’est fait au jugé, sans storyboard préétabli. J’ai essayé de réajuster à chaque fois le rythme des images et l’enchaînement des pages jusqu’à aboutir à quelque chose qui me convenait.
Pour ce qui est de l’approche de la bande dessinée au sein de 3 fois par jour, nous avons axé nos choix d’édition sur le dessin. Je pense qu’il s’agit avant tout d’une structure qui permet d’éditer de l’image, et la bande dessinée est l’une des forme que cela peut revêtir. Nous avons par exemple publié deux ouvrages de Baptiste Virot (Walking gag et Cocktail), à la fois pour la qualité de l’écriture et pour la force du dessin. Comme évoqué précédemment, 3 fois par jour est un outil qui permet aussi bien d’éditer ce genre de projet, que des livres comme Cavale de Idir Davaine, ou Monotypes de Yann Kebbi, qui se concentrent beaucoup plus sur le dessin ou la peinture.

Gabriel Delmas : Est-ce que vous participez à des festivals de micro-édition ? Est-ce que vous êtes attentifs à ce qu’il se passe dans l’underground graphique, à des éditions comme Volcan ou Super-structure par exemple ?

Clément Vuillier : Oui, nous participons régulièrement à des salons et festivals d’édition depuis le début des éditions 3 fois par jour, comme Angoulême, Fanzines festival, les Puces de l’Illu ou Colomiers pour la France, et Fumetto ou Culture Maison à l’étranger. C’est effectivement l’occasion à chaque fois de voir ou revoir ce qui sort en ce moment en édition et de se tenir au fait des dernières parutions. On a également participé à plusieurs revues et éditions collectives comme Nyctalope, Vignettes, Pan, lagon et gouffre (pour Idir Davaine)…

Gabriel Delmas : Quels sont les artistes qui t’ont influencé et qui t’influencent aujourd’hui ?

Clément Vuillier : La question est vaste, les réponses multiples ! J’essaye de regarder dans un maximum de directions pour chercher de nouvelles inspirations, ou de nouvelles stimulations. Pour les anciens, j’ai beaucoup regardé d’images d’auteurs plus ou moins anonymes qui illustrent traités, recueils, livres d’emblèmes… Je suis un grand amateur de gravures scientifiques, alchimiques ou ésotériques, de Fludd à Kircher en passant par toutes les cohortes de dessinateurs et d’auteurs qui produisent des images de sciences (au sens très large du terme), de paysages, d’astronomie, de médecine, de montagne, de fleurs… et dont les noms sont souvent méconnus ou oubliés. Sinon je regarde pas mal de peintres et de sculpteurs (anciens ou très contemporains), des gens qui me donnent envie d’aller vers d’autres types d’images et de productions, comme Baselitz, Lüpertz et Kirkeby, qui m’ont « permis » de me mettre à la sculpture. Je regarde aussi du côté du livre et de la bande dessinée, bien que je ne sois pas un grand connaisseur, avec des dessinateurs comme Daly, Yokoyama ou Shrauwen, dont je suis très admiratif. Et puis mon cercle d’amis et de proches, dont j’admire le travail.

Gabriel Delmas : Comment définirais-tu ton métier ? Illustrateur, graphiste, artiste plasticien, ou dessinateur ? Quand j’étais étudiant, on disait « artiste multimédia » pour ceux qui comme moi faisaient de l’art vidéo mais aussi de la gravure ou des dessins, des sons. Je trouve qu’il est difficile de s’insérer dans notre époque, il n’y a pas de parcours tracé. C’est peut être mieux aussi, tout se croise : art, livre, impressions, bande dessinée, peinture, sculpture et je me rends compte que de nombreux jeunes artistes sont curieux de tout, veulent utiliser tous les outils, et atteindre le monde, ne pas exister seulement dans un microcosme francophone ou régional.

Clément Vuillier : Je me considère avant tout comme un dessinateur, puisque je travaille majoritairement le dessin. Je préfère définir mon travail à partir du médium utilisé que du type d’image produit, qui met trop rapidement en boîte ou au contraire donne une vision large et floue. Pour ce qui est de la transdisciplinarité, je pense qu’il est très intéressant de regarder partout, de chercher dans toutes les directions et de se colleter à de nouveaux supports, mais c’est assez récent en ce qui me concerne. Je crois que quelque chose a changé avec l’arrivée de réseaux d’accès à des artistes, comme Instagram par exemple, qui n’existaient pas ou de façon moins massive qu’aujourd’hui, lorsque je faisais mes études. Je pense que ces bibliothèques mondiales  d’influences multiples permettent, et ce en dépit de leurs défauts connexes, une plus grande décontraction quant à l’envie et la possibilité d’essayer des choses, de sortir de son champs d’action « traditionnel ».

Gabriel Delmas : Tu penses que ces bibliothèques mondiales sur Internet sont capables de faire apparaître et structurer des mouvements, d’influencer une scène artistique qui serait globale ? ou que ce sont les marges constituées par des petits groupes dans le réel qui peuvent agréger autour d’eux et devenir importants ? Dit autrement : Internet a-t-il plus de poids que le réel dans la création artistique et dans l’économie de celle-ci ?

Clément Vuillier : Je ne sais pas trop, je n’ai pas une vue d’ensemble sur le phénomène, mais il me semble que la vertu de cette horizontalité d’accès à des artistes qui ne se côtoient pas géographiquement est de découvrir en permanence de nouvelles images, de nouvelles façons de faire ou de voir les choses, de nouvelles techniques… Mais je ne pense pas qu’Internet ait plus de poids que le réel, car il me semble qu’il s’agit quand même de petits groupes, et que le système comporte en lui-même ces propres limites. Le revers des avantages de cet accès à un très grand nombre de visuels, et ce de façon permanente, est de noyer un peu les productions dans un flux continu.

Gabriel Delmas : Les contacts et les rencontres se font autrement. Ça a une influence plus ou moins bonne sur les travaux, les projets qui suivent cette horizontalité. Parfois, il manque le contact humain qui serait nécessaire à l’appréciation d’un travail, et c’est souvent aussi le contraire : un contact humain qui serait plus compliqué se trouve facilité par un échange nécessairement cordial et informatif. Mais les artistes vivant souvent dans leur microcosme, leur atelier et en groupe restreint, j’ai l’impression que c’est quand même globalement bénéfique, et même particulièrement adapté : on reste dans notre atelier, mais la fenêtre sur le monde est à disposition. Certains s’y perdent aussi, drogués à ce flux. Personnellement, j’utilise presqu’exclusivement instagram parce que c’est ce qu’il y a de plus visuel ; on s’épargne le flux de statuts à chaud qui ne permet pas la nuance et valorise seulement une forme d’émotivité compulsive et d’affections absurdes ainsi que leurs contraires. On est très loin de la pensée, de la discussion, de la culture. Mais il faut s’obliger aussi peut être à regarder le règne de l’image, à trier le flux, à y participer, la grande galerie du monde est là. Concernant le dessin, on voit que le monde entier est très actif en ce moment, ça bouillonne, on voit beaucoup d’artistes indonésiens, de pays auxquels on n’a peu accès, des fanzines d’Amérique du sud, comme si l’underground international était en train de s’approprier un « marché » nouveau, sans territoire fixe et hors des cultures locales. As-tu un regard critique sur cet underground international (dont vous faites partie) qui existe surtout sur le support imprimé ? La France, grâce à son grand nombre d’éditeurs, et de son marché de l’illustration et de la bande dessinée particulièrement actif, joue un rôle particulièrement actif ; avez-vous des liens avec d’autres pays, des libraires lointains, des « zones d’impressions alternatives » ?

Clément Vuillier : A vrai dire pas vraiment, je ne suis pas un grand connaisseur de la « scène » internationale de l’édition alternative, bien que nous fassions quelques salons en France et à l’étranger (très peu pour cette dernière catégorie) et nous intéressions à ce qui se fait dans ce domaine. Mais je suis pour ma part plus attentif en ce moment à des peintres, sculpteurs et dessinateurs, d’où qu’ils viennent, qu’à de nouvelles propositions éditoriales et qui se cantonnent au champ du livre. Il s’agit là sans doute d’une envie du moment d’essayer d’autres choses que l’édition, et d’élargir les champs d’action.

Gabriel Delmas : Et du coup, est-ce que tu vas faire de la peinture ?

Clément Vuillier : Oui, je vais essayer des choses, sans savoir trop vers où ça va aller, ni si cela va me plaire, mais l’idée de tenter de nouvelles techniques, d’apprivoiser de nouveaux supports. Réfléchir différemment à une production d’images m’enthousiasme. Et m’inquiète, comme toute sortie de la zone de confort !

Gabriel Delmas : J’ai vu de toi des sculptures de têtes noires, ça m’a immédiatement fait penser à Baselitz, ses sculptures en bois à la tronçonneuse. Il y a quelque chose de très brut et très expressionniste dans ces travaux qui tranchent avec tes dessins très graphiques, beaucoup plus illustratifs. Et il y a aussi ces grands visages flous, au graphite, on les dirait faits avec des pinceaux et de la poudre. Ils forment un ensemble plus plastique dans ton travail, quasiment à l’opposé. Il s’agit d’une période révolue ou c’est quelque chose que tu continues en parallèle, ou qui signifie-t’elle tout autre chose ?

Clément Vuillier : Je suis content de parler de ces deux autres aspects de mon travail, qui sont importants pour moi. Ce ne sont pas du tout de projets révolus, j’essaye de les mener de front avec le reste de mon travail de dessin autour du paysage. Je me suis mis à la sculpture il y a un an et demi, de façon très rapide et spontanée, comme une sorte de nécessité impérieuse, sans doute pour contrebalancer un travail de dessin plus long et contemplatif. Mon père, qui est sculpteur et dessinateur, m’a prêté son atelier de sculpture pour attaquer ce travail sur bois (à Paris, c’est plus compliqué !), je suis allé acheter une tronçonneuse, et nous avons exposé ensemble l’hiver dernier, mes premières sculptures avec ses dessins.
J’ai eu besoin de réinvestir le corps dans mon travail, le mien en temps qu’acteur (quoi de mieux que la tronçonneuse ?) et la figure humaine en général en temps que sujet de représentation. J’ai donc cherché vers d’autres médiums et d’autres façons de travailler pour aborder ce thème qui est assez absent de mon travail de dessin sur papier et à la plume, concentré sur la représentation d’espaces naturels et fantasmés. Ce travail de sculpture, ou de dessins flous (qui sont des grands formats) est donc une façon de me confronter à la matière, à l’espace, à l’engagement du corps dans cette espace, à l’accident, à la jubilation du grand format,…

Gabriel Delmas : Oui voilà, c’est très plastique. Tu as su manier tout de suite la tronçonneuse ? Il y a du danger autour de cet outil qui n’est pas fait pour la sculpture et les découpes sont rugueuses, chargées d’accidents et de hasards. Et tes grands dessins sont au contraire dans une douceur floue et presque des caresses. Tu cherches dans des directions très contrastées, c’est très intéressant de voir que tu arrives à résoudre des systèmes de composition et d’exécution qui ne reposent pas du tout sur des processus similaires

Clément Vuillier : Pour la tronçonneuse, je m’y suis mis directement, sans réfléchir. L’appréhension du danger, ou plutôt la concentration et l’attention nécessaire pour éviter tout problème lors de la taille font à mon sens partie intégrante du procédé, et conditionnent aussi le résultat. A l’inverse de mon travail au trait où le but est de rentrer dans une sorte « d’inattention » au geste, la grande concentration que me demande la manipulation de cet outil permet d’explorer d’autres états. Une sorte de plaisir enfantin enchâssé dans une rigueur d’adulte !
Pour les dessins flous, ils sont en réalité très fatigants à faire, et nécessitent pas mal d’énergie. J’aime bien l’idée de travailler le flou avec des outils qui ne sont en principe pas faits pour ça. Ces différentes facettes me permettent de varier les journées et les expériences, afin d’éviter une lassitude dans la pratique, qui m’effraie un peu.

Gabriel Delmas : est-ce que tu crées aussi en numérique, à l’aide de tablette Wacom, de Surface ou d’iPad Pro ? de plus en plus d’artistes construisent leurs œuvres du début à la fin sur support numérique. On revient à la disparition des originaux, et aux principes de tirages pour les collectionneurs.

Clément Vuillier : Rarement pour un dessin de A à Z, mais j’utilise beaucoup le numérique, soit pour de la mise en couleur, soit pour du travail de mise en page et de mise en forme. Je trouve qu’il y a des choses super intéressantes qui sont produites avec ces techniques, mais je ne suis pas enthousiaste à l’idée de passer mes journées derrière un écran, je préfère travailler en « physique », directement sur support.
Pour la mise en couleur, c’est un outil parfait : le dessin original existe en noir et blanc, et la couleur rajoutée par ordinateur créé une autre image, souvent destinée à l’impression. C’est le cas pour deux livres que je vais sortir en avril 2019. Le premier, les succulentes, aux éditions 3 fois par jour et le second, L’année de la comète, aux éditions 2024. Le premier est entièrement imprimé en risographie, ce qui m’a permis de mettre mes images en couleur sur ordinateur, puis de les retransformer directement au cul de la machine, et de jouer avec les aléas de l’impression et la transformation plus ou moins maîtrisée des teintes. Le second est imprimé de façon plus traditionnelle, en offset.

Gabriel Delmas : Tu as une machine riso chez toi ?

Clément Vuillier : Non, nous avons fait appel au Studio Fidèle, à Paris (que je recommande chaleureusement !). On a travaillé directement avec eux sur place, une fois les fichiers numériques finalisés, pour tenter des choses et régler au mieux les images. J’aime assez l’idée de faire un fichier numérique nickel, et de venir le transformer et rajouter de l’imprévu par la technique, quelle qu’elle soit.

Gabriel Delmas : Ton père étant artiste, sculpteur et dessinateur, est-ce naturellement que tu t’es dirigé vers ce métier, comme une évidence, une culture familiale, ou as-tu eu un moment d’hésitation ? Comment s’est passé ce choix ? Est-ce une voie que tu as toujours choisie, dès l’enfance ?

Clément Vuillier : Oui, ça s’est fait de façon assez évidente de mon côté. Je suivais les cours de dessin que donnait mon père à partir de mes 6 ans, des cours incroyablement intelligents quand j’y repense aujourd’hui, et que je peux analyser un peu plus ce qui s’y jouait. Apprendre à dessiner vite, en grand, dans toutes les formes, influences et techniques, sans chichi et de manière spontanée. L’adolescence malmène un peu cette liberté de faire, mais je pense qu’elle est importante à ne pas perdre de vue.

Gabriel Delmas : Aujourd’hui aussi, tu dirais que ce sentiment de liberté, cette spontanéité continue de construire ton travail artistique ?

Clément Vuillier : Malheureusement trop peu, mais j’essaye d’y tendre. Les contingences, les incapacités (ou supposées telles), les peurs empêchent souvent d’être aussi spontané dans le dessin qu’on voudrait. Par contre quand ça arrive, ça fait des supers moments (et des fois des résultats intéressants, mais ce n’est pas obligatoire !).

[Entretien réalisé par email entre février 2017 et février 2019.]

Entretien par en avril 2019