Ishikawa Jirô

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En 2016, il avait fait l'affiche du F.OFF à Angoulême -- et l'on avait pu découvrir, dans une exposition qui lui était consacré, le travail surprenant de Ishikawa Jirô. Entre son dessin très appliqué et ses personnages à tête de pénis, on pouvait hésiter entre la pochade égrillarde et l'un de ces délires dont les japonais sont coutumiers. Présent au programme du projet Mangaro/Heta-Uma organisé par le Dernier Cri fin 2014, Ishikawa Jirô était de retour en France à l'été 2017 pour une nouvelle exposition. L'occasion d'explorer le parcours atypique d'un auteur résolument en marge.

Xavier Guilbert : Qu’est-ce que ça fait d’être exposé à Paris ?

Ishikawa Jirô : Pour être honnête, je n’imaginais pas qu’à Paris mes dessins pourraient se vendre, ou que ça se passerait dans un endroit aussi grand. C’est vraiment un grand bonheur, je suis très surpris.

Xavier Guilbert : Vous n’avez pas eu l’occasion d’exposer au Japon ?

Ishikawa Jirô : Non, une exposition personnelle, ça ne m’est jamais arrivé.

Xavier Guilbert : Quel sentiment cela vous a procuré ?

Ishikawa Jirô : La première fois que j’ai été invité en France, c’était en 2014, pour l’exposition Heta-Uma, et là aussi j’étais super content. Mais plus encore cette fois-ci, parce que je suis tout seul et que c’est pour une longue durée de trois mois. Le simple fait qu’on me l’ait proposé, c’était déjà un grand bonheur.

Xavier Guilbert : Vous avez fait vos débuts dans Garo.

Ishikawa Jirô : En effet.

Xavier Guilbert : Ça m’a un peu surpris, parce que dans C’est comme ça, le recueil publié par les Éditions Matière, il y a un entretien dans lequel vous confiez que la bande dessinée ne vous intéressait pas, et que vous n’en lisiez pas.[1] Comment connaissiez-vous Garo, alors ?

Ishikawa Jirô : C’est en grandissant que j’ai arrêté d’en lire. Maintenant, je n’en lis plus, mais quand j’étais jeune, je lisais beaucoup de manga, de toutes sortes. Et parmi toutes ces lectures, de temps en temps, je trouvais Garo en librairie. C’est à 14 ans que je l’ai lu pour la première fois, et ça m’a surpris. Et c’est de là qu’est venu mon intérêt pour Garo.

Xavier Guilbert : Quand vous dites que ça vous a surpris…

Ishikawa Jirô : C’est sûr que, comparé aux autres manga, c’était un style qui n’avait rien à voir. C’est peut-être bizarre de dire que c’était mal foutu, mais il y avait des dessins qui n’étaient pas de beaux dessins, des histoires sombres — « Il y a donc des manga de ce genre… » C’était une revue qui ouvrait sur un monde de manga que je n’avais jamais rencontré. Jusque-là, je lisais des revues connues comme Shônen Jump ou Shônen Magazine, c’était la première fois que je découvrais une revue underground, même en dehors de la bande dessinée, ça m’a beaucoup surpris. C’est dans ce sens que j’ai été étonné.

Xavier Guilbert : C’est à ce moment que vous avez cessé de vous intéresser à la bande dessinée mainstream ?

Ishikawa Jirô : Non, à ce moment-là j’appréciais tout autant Garo que des manga shônen comme Doraemon, Obake no Q-tarô ou GeGeGe no Kitarô, différents genres de manga. Jusqu’à ce que j’aie vingt-cinq ou trente ans, je lisais beaucoup de manga. C’est lorsque j’ai dépassé la trentaine que j’ai quasiment arrêté d’en lire.

Xavier Guilbert : Après avoir découvert Garo, comment est venue l’envie de faire de la bande dessinée vous-même ? Et pourquoi avoir proposé votre travail à Garo ?

Ishikawa Jirô : Quand j’ai eu 17 ans, il y avait à la fin du magazine un espace réservé aux débutants. On pouvait envoyer des dessins par la poste, et chaque mois, le nombre de travaux qu’ils montraient augmentait.

Xavier Guilbert : Vous parlez bien de Garo ?

Ishikawa Jirô : Oui, tout-à-fait. J’ai proposé des choses en me disant que, par chance, je pourrais peut-être moi aussi voir mon travail publié par Garo. C’est ce que j’espérais. Quand j’ai eu 18 ans, j’ai terminé le lycée, et aussitôt j’ai voulu partir pour Tôkyô pour devenir mangaka. Je suis allé porter un manuscrit directement chez Garo. Pendant deux ans, tous les mois, je suis allé chez Seirindô, l’éditeur de Garo, déposer des manuscrits qu’ils regardaient et qu’ils me refusaient. Pendant deux ans, la même réponse : ça ne va pas, ça ne va pas. Mais après ces deux ans, il y a eu ce récit de six pages, « Tori ningen » [« Les hommes-oiseaux »], et j’ai par chance fait mes débuts dans Garo. En fait, j’admirais Garo, et c’est pour cela que je leur proposais mon travail, en me disant que je serais ravi s’ils venaient à publier l’un de mes travaux.

Xavier Guilbert : D’autres éditeurs acceptent les propositions de débutants avec des concours dédiés, comme Kôdansha ou Shûeisha. Vous n’avez jamais eu l’idée de vous tourner vers eux ? Pour vous, c’était Garo ou rien d’autre ?

Ishikawa Jirô : Pour être honnête, vu ce que je dessinais, j’étais convaincu qu’un grand éditeur ne voudrait pas me publier. Tout d’abord, j’essayais d’être publié dans la revue que je préférais, Garo. Et une fois que ce serait fait, j’imaginais que progressivement, j’aurais l’occasion de travailler aussi pour de plus grands éditeurs. Bien sûr, j’avais envie d’être publié là-bas, mais ils n’auraient pas accepté mon travail. Et d’ailleurs, c’est ce qui s’est passé en de nombreuses occasions.

Xavier Guilbert : Après avoir réussi à faire publier votre premier récit, comment avez-vous abordé la suite ? C’est naturellement un autre genre de difficulté…

Ishikawa Jirô : Oui, bien sûr. Mais je ne faisais que dessiner, il n’y avait rien d’autre qui m’intéressait à part dessiner du manga. Dessiner quelque chose, le proposer et être publié, ça me faisait plaisir. Mais le simple fait de dessiner sans être publié me rendait déjà heureux. En fait, que ce soit difficile ne me préoccupait pas.

Xavier Guilbert : Vous passiez donc vos journées à dessiner ?

Ishikawa Jirô : Pour gagner ma vie, je faisais pas mal de boulots manuels, et je dessinais le soir. Puis je proposais un manuscrit, et je retournais au travail, et à nouveau le soir je dessinais. C’était comme ça que ça se passait.

Xavier Guilbert : Mais vous gardiez comme objectif de devenir mangaka…

Ishikawa Jirô : Bien sûr, c’était mon objectif principal.

Xavier Guilbert : Et qu’en pensait votre famille ? D’ailleurs, vous êtes originaire de Tôkyô ?

Ishikawa Jirô : Oui, de Tôkyô, mais j’ai grandi dans la campagne profonde. Vous savez ce qu’est le ritô ? Au Japon, il y a tout un tas de petites îles que l’on ne peut atteindre qu’en bateau. Quand j’étais enfant, nous avons déménagé là-bas, et j’ai donc vécu à la campagne. Ce n’est qu’à l’âge de 18 ans que je suis parti. Je suis donc né à Tôkyô, mais j’ai grandi à la campagne.

Xavier Guilbert : Et pour revenir à votre famille…

Ishikawa Jirô : Ah oui, ma famille. Pour tous, c’est le laissez-faire qui… — suivre les désirs de l’enfant. Les parents laissent l’enfant choisir, sans le forcer. Dans ma famille, il y avait la conviction que le bonheur vient de faire ce que l’on a envie de faire en son for intérieur.

Xavier Guilbert : Et donc, le fait de vouloir devenir mangaka…

Ishikawa Jirô : … ça ne posait aucun problème.

Xavier Guilbert : Vous n’avez subi aucune pression pour devenir salaryman, par exemple…

Ishikawa Jirô : Non, absolument aucune pression.

Xavier Guilbert : Dans l’entretien reproduit à la fin de C’est comme ça, vous parlez beaucoup de l’influence de Nemoto Takashi. Mais quand j’ai découvert votre travail, je dois avouer que j’ai eu beaucoup de mal à voir cette influence… même si vous revendiquez une filiation avec le heta-uma. Pour moi, le heta-uma fonctionne à l’énergie, à l’envie — peu importe la manière dont on dessine, c’est de laisser sortir ce que l’on a en soi qui compte, alors que quand on regarde votre travail, le dessin est très soigné. En fait, au sein de ce qui paraissait dans Garo, je vois plutôt des accointances dans la manière d’utiliser la photo et le style de Sasaki Maki ou de Hayashi Seiichi, et des choses de cette période. Je ne suis pas un spécialiste de Garo, mais ce serait plutôt de ces auteurs que je vous sens proche, contrairement au travail de Nemoto Takashi.

Ishikawa Jirô : Effectivement, pour Sasaki Maki comme vous venez de le dire, ou quelqu’un comme Saeki Toshio — vous connaissez ? J’aime aussi le travail de ce genre d’auteurs, ou si l’on regarde du côté du monde de l’art, quelqu’un comme Yokoo Tadanori qui travaille sur le graphisme. Ou plus largement encore, le savoir-faire que l’on trouve dans le design et l’architecture m’intéresse énormément. Il y a beaucoup de choses — ce n’est pas seulement l’influence de Garo, avec Nemoto Takashi ou [King] Terry, il y a beaucoup de choses que j’avais pu voir depuis que j’étais jeune et que j’ai regardé à nouveau avec un regard neuf. Au sein de ces choses stimulantes, il y avait bien sûr l’impact de Nemoto ou de Terry, pas forcément celui que je qualifierais de plus important, mais j’ai puisé dans toutes ces choses à l’époque où se révélait à moi le monde du heta-uma. Du point de vue des grands éditeurs, mon travail, même quand j’étais jeune, est classé dans la catégorie heta-uma. Et pourtant, je ne pense pas qu’on puisse dire que mon dessin ressemble à celui de Nemoto. En fait, je pense que je suis tout seul dans ma catégorie de heta-uma.

Xavier Guilbert : Après vos débuts dans Garo, vous avez connu une phase de dépression…[2]

Ishikawa Jirô : Oui, en effet. Je me suis blessé à la hanche quand j’avais 24 ans. C’était très douloureux, et petit à petit j’ai perdu le moral. C’était un peu comme si je ne pouvais rien faire d’autre que dormir — je ne dessinais plus. C’est là qu’a commencé ma dépression.

Xavier Guilbert : C’est le fait de ne plus pouvoir dessiner qui…

Ishikawa Jirô : C’est ce problème à la hanche. Je ne pouvais plus m’asseoir.

Xavier Guilbert : Mais comme vous disiez que le dessin était très important pour vous…

Ishikawa Jirô : Oui, le fait de ne plus pouvoir dessiner, c’était un choc pour moi, psychologiquement parlant. Je ne pouvais plus m’asseoir, il n’y avait que la position allongée. Bien sûr, ça m’a beaucoup affecté, et je pensais que c’était fini pour moi. Pendant un an, j’ai fréquenté l’hôpital, j’ai pris des médicaments, et petit à petit ma hanche a guéri. Et parallèlement, j’ai repris du poil de la bête, et quand j’ai pu reprendre le dessin, les choses se sont améliorées.

Xavier Guilbert : Certes, mais quand on regarde les dates des récits publiés dans le livre qui vient de sortir, il s’est passé une longue période — plus qu’un an, en fait. J’ai l’impression que c’est avec les livres qui se sont retrouvés chez TACO ché qu’il y a eu une forme de renaissance.

Ishikawa Jirô : Tout à fait. Une longue période.

Xavier Guilbert : Comment l’envie de dessiner et de faire des livres est-elle revenue après tant de temps ?

Ishikawa Jirô : En fait, après cette dépression et quand ma hanche a été guérie, je me suis donné des challenges. Je suis allé voir des éditeurs, je leur ai proposé des projets, et partout on m’a dit non.

Xavier Guilbert : Quelle était la raison qu’on vous donnait ?

Ishikawa Jirô : Hmm. Les travaux que je proposais ne correspondaient pas à l’image de la revue.

Xavier Guilbert : C’était quel genre de revues ?

Ishikawa Jirô : Des revues érotiques. Bien sûr, j’ai aussi démarché des éditeurs comme Kôdansha ou Shûeisha, mais ce que je dessinais ne correspondait pas à leur style. Je n’ai essuyé que des refus.

Xavier Guilbert : À ce moment-là, Garo avait cessé de paraître, c’est ça ? Vers 1992, je crois…

Ishikawa Jirô : Oui, mais après Garo, il y a eu AX, n’est-ce pas. J’ai aussi proposé des choses à AX, de loin en loin. On m’avait demandé d’apporter des choses, et je l’ai fait, mais à chaque fois on m’a répondu que ça n’allait pas. C’est arrivé un grand nombre de fois, au point que j’ai fini par me demander comment c’était possible que ce genre de manga aille pour Garo, et que ça ne plaise pas aux personnes de l’équipe éditoriale d’AX. Je ne comprenais absolument pas. Parmi les travaux exposés ici, il y en a beaucoup que j’ai proposés à AX et qui ont été refusés, alors qu’ici on m’en a dit du bien. Les choses avaient changé avec AX. Ça s’est mal passé avec l’équipe éditoriale et je me suis retrouvé blacklisté.

J’ai essayé de proposer, encore et encore, des choses à beaucoup d’endroits. Lorsque j’ai eu 35 ans, ça m’a vraiment abattu. Pendant trois ans, je n’ai absolument pas pu dessiner.

Xavier Guilbert : Vous avez le sentiment que votre travail avait changé, du fait de votre dépression ? Qu’il était différent avant et après ? J’imagine que c’est très difficile de subitement se voir refuser partout. Mais je me demande si le contenu de votre travail avait changé, comme par exemple avec l’apparition du personnage de Chinkoman, ce genre de choses. C’est peut-être un aspect qu’il était difficile pour vous de percevoir à l’époque mais qu’il est plus facile de comprendre à présent…

Ishikawa Jirô : En fait, je dessine ce que je pense être intéressant. Comme c’était refusé partout, mais que je ne dessinais que ce que j’ai envie de dessiner, je me disais que peut-être, plus tard, l’autoédition pouvait être une alternative satisfaisante. Et c’est avec cette conviction que j’ai continué de dessiner. De plus, mon style ayant changé depuis l’époque où je publiais dans Garo, s’il ne convient vraiment pas, autant dessiner ce que j’ai envie de dessiner. Comme j’avais changé, mon dessin avait probablement changé aussi.

Mais comparé à ce que je faisais auparavant, la noirceur, la confusion et le chaos ont progressivement diminué, tant dans ce que je dessine aujourd’hui que dans ma manière d’être. Cette ligne claire, par exemple, est représentative de cela, et j’ai vraiment le sentiment qu’il m’est maintenant facile de dessiner. Autrefois, beaucoup de choses me préoccupaient, et ça se retrouvait peut-être dans mon dessin. Aujourd’hui, j’accepte que ce qui doit arriver arrive, et c’est ce qui m’encourage à dessiner ce que j’ai envie de dessiner.

Xavier Guilbert : Est-ce que vous avez toujours le sentiment d’être blacklisté, quand vous proposez des choses ?

Ishikawa Jirô : J’ai abandonné, où que ce soit.

Xavier Guilbert : Ah, donc c’est avec l’autoédition que…

Ishikawa Jirô : … je continue. C’est chez TACO ché qu’on trouve les livres que je produis. Ils ne sont pas très chers, et même s’ils ne me rapportent pas d’argent, comme l’envie de créer est très forte chez moi, j’y prends du plaisir. Il n’y a plus aucune frustration, contrairement à ce qui se passait avec les éditeurs. Ceci dit, si la chance se présentait, si on me proposait du travail, je l’accepterais, mais je n’ai plus envie de faire la démarche.

Xavier Guilbert : C’est arrivé que l’on fasse appel à vous ?

Ishikawa Jirô : Pratiquement pas.

Xavier Guilbert : Ce que l’on trouve à TACO ché, c’est donc une production véritablement indépendante : vous pouvez sortir absolument tout ce que vous voulez.

Ishikawa Jirô : Tout à fait.

Xavier Guilbert : Quand on regarde ce que vous proposez là-bas — j’ai été assez frappé, parce que ce sont quasiment tous de très petits formats. Et ça m’a fait penser à Marcel Duchamp, vous le connaissez ?

Ishikawa Jirô : Je le connais seulement de nom. Je n’arrive pas à mémoriser les noms quand je n’ai pas vu leur travail.

Xavier Guilbert : En vieillissant, Duchamp a réalisé plusieurs « Boîte-en-valise », qui visaient à constituer une sorte de musée portatif, dans lequel on retrouvait toutes ses œuvres, mais en version miniature. Et en considérant ce que vous proposez chez TACO ché, j’ai un peu cette impression : avec ces formats très réduits, c’est comme si vous pouviez emporter avec vous une bibliothèque complète de vos œuvres.

Ishikawa Jirô : Maintenant que vous le dites — oui, c’est exactement ça, je viens de m’en rendre compte. Jusqu’à ce que vous l’expliquiez, je n’y avais jamais pensé de cette manière, mais effectivement, comme vous venez de le décrire, je pense que j’aime l’idée de pouvoir emporter mes livres dans un sac.

Xavier Guilbert : Garo s’inscrit au Japon dans ce qu’on appelle la « subculture« , dans l’underground. Seriez-vous alors l’underground de l’underground ?

Ishikawa Jirô : Quoi ? Moi ?

Xavier Guilbert : Puisqu’on ne veut pas vous publier… Mais pour être honnête, en lisant vos livres, j’ai du mal à comprendre quels sont les raisons pour lesquelles on refuse de vous publier.

Ishikawa Jirô : Moi-même, je ne le comprends pas.

Xavier Guilbert : C’est presque de la discrimination, on dirait.

Ishikawa Jirô : Dans la vie, il y a une part de chance. Parfois, tout s’enchaîne et comme c’est le cas cette fois-ci, il en sort quelque chose de bien. Que ça marche ou pas, il y a une part de chance, ou même de destin. Je me demande parfois…

Xavier Guilbert : C’est écrit, en quelque sorte ?

Ishikawa Jirô : C’est écrit, oui, et même si on essaie de s’y opposer, il n’en sortira rien. Pourquoi ne veut-on pas publier mon travail ? Cela me révoltait lorsque j’étais jeune, mais maintenant que j’ai pris de la bouteille, je ne me préoccupe plus d’être publié ou non. Ça n’éveille plus du tout de colère.

Xavier Guilbert : Et d’être publié à l’étranger, quel sentiment cela vous évoque ? Cela vous a-t-il surpris ?

Ishikawa Jirô : En France, les gens achètent des posters et les affichent dans leur salon. Au Japon, ça ne se fait pratiquement pas, tout juste accroche-t-on un calendrier chez soi. Quand je considère cette spécificité, la France m’apparaît comme un pays très bienveillant à l’égard des auteurs et des artistes. Au Japon, je crois qu’il n’y a quasiment pas de ventes d’originaux, comme il peut y avoir en France. Sachant cela, je n’osais pas espérer que les Français puissent s’intéresser à mes livres. Mais en même temps, si ce livre peut faire parler un peu de lui en France, cela me permettrait de dire, en rentrant au Japon, qu’il s’était trouvé ici des gens pour trouver mon travail intéressant. Et si c’était possible ainsi de procéder à une forme d’importation inversée, j’en serais ravi.

Xavier Guilbert : C’est un peu ce qui est arrivé à Yokoyama Yûichi, puisque son premier recueil a été publié par les Éditions Matière en France, avant même d’être publié en recueil au Japon. Il y a d’ailleurs quelques proximités entre votre travail et celui de Yokoyama : en apparence, vous utilisez tous les deux les codes de la bande dessinée, mais en réalité vos travaux respectifs sont très éloignés de la bande dessinée habituelle.

Ishikawa Jirô : Oui, en effet.

Xavier Guilbert : Il y a le même genre de découpage, l’utilisation d’onomatopées, bref, tous les codes de la bande dessinée, pour proposer des récits qui sont très éloignés des thématiques habituelles du manga.

Ishikawa Jirô : J’aime beaucoup ce que fait Yokoyama Yûichi. On peut dire que c’est de la bande dessinée, mais quand on examine chacune des cases, on voit aussi des liens avec l’illustration. Qui plus est, case après case, j’ai le sentiment que tout cela est très contrôlé, jusqu’au dessin. C’est aussi le cas dans les mangas que je dessine : chacune des cases pourrait être agrandie et rester aussi intéressante. Je travaille avec cet objectif en tête. C’est naturel pour une illustration pleine page, mais même dans le cadre d’un récit long, je traite chaque case avec la même application. C’est probablement un point sur lequel je rejoins Yokoyama Yûichi. J’aime vraiment beaucoup le travail de cet auteur.

Xavier Guilbert : Yokoyama Yûichi a une manière très particulière de traiter les visages de ses personnages. Ils changent d’une page à l’autre, et donnent souvent l’impression d’appartenir à un autre monde. En lisant votre histoire « Nuit de Tokyo », c’est un peu la même impression qui m’est venue : avec ces personnages dont la tête a été remplacée par un pénis, une véritable étrangeté s’installe. Au premier abord, on a l’impression d’une sorte de gag visuel à l’impact limité, mais quand on s’attarde sur l’histoire, il y a une description très ordinaire de la société, très peu sexualisée en fait, et qui apparaît finalement comme relevant d’un autre monde. Est-ce que cela correspond à votre propre regard sur la société ? Comme un monde qui vous serait interdit, tout en vous attirant ?

Ishikawa Jirô : Il y a de ça. Quand je suis au Japon, c’est parfois le sentiment que j’ai. Vivre là-bas est pour moi particulièrement douloureux. La première fois que je suis venu en France, le style de vie y est tellement différent et libre — en arrivant, je me suis dit : « Oh, on peut donc vivre différemment. » En rentrant au Japon, j’ai ressenti encore plus cette douleur de vivre. Cette fois-ci, je suis venu en France pour un séjour plus long, et je sais que l’envie de ne pas retourner là-bas est encore plus forte. Ce sera dur de rentrer. En France, le monde de l’art me semble plus riant, et je pense que l’influence de la France se retrouve jusque dans mes récits, comme dans « Nuit de Tokyo ». Quand le matin se lève au Japon, on reste quand même sur un rythme de 24h/24, et même si cette histoire présente une façon de vivre japonaise, je pense que peut-être, les lecteurs n’en retirent pas l’impression de quelque chose de vraiment japonais. De cette manière, il y a beaucoup de choses qui sont en train de changer chez moi, sans que je le décide vraiment. C’est d’ailleurs la première fois que je produis un récit aussi long, de 32 pages. J’avais le sentiment que c’était une vraie liberté qui m’était accordée. Cela faisait longtemps, et j’étais vraiment très content qu’on veuille bien la publier dans ce livre.

Xavier Guilbert : J’aurais deux questions portant sur vos histoires. Tout d’abord, je me demande si vous utilisez les techniques de « cut-up« …

Ishikawa Jirô : Le « cut-up« ?

Xavier Guilbert : C’est une technique notamment utilisée par William Burroughs, qui consistait à découper un texte qu’il avait écrit, et de recomposer quelque chose avec les morceaux. Ce sont les travaux que vous avez publiés dans Gouffre qui m’y ont fait penser. La juxtaposition d’images a priori sans lien entre elles fait surgir une forme de sens inattendu. Est-ce quelque chose que vous faites délibérément ?

Ishikawa Jirô : C’est difficile pour moi de dire si c’est conscient ou inconscient de ma part. Il est possible que ce soit parfois présent de manière inconsciente. Dans le cadre d’un dessin, ou d’une case, même s’il n’y a pas d’histoire il y a toujours des liens qui s’établissent avec d’autres. Et c’est clairement le cas pour ce qui a été publié dans Gouffre.

Xavier Guilbert : N’est-ce pas difficile de laisser l’inconscient s’exprimer dans le manga ? Faire de la bande dessinée est un processus qui prend tant de temps, alors que l’on associe souvent l’inconscient à une forme de pulsion incontrôlable. Il y a une forme de contradiction, ou d’impossibilité, non ?

Ishikawa Jirô : Par rapport aux histoires qui sont dans ce recueil [aux Éditions Matière], si l’on met de côté « Nuit de Tokyo », ce sont des récits plutôt anciens. Mais que ce soit « Nuit de Tokyo » ou les autres — quand je commence un récit, j’écris d’abord un synopsis. Ensuite, quand je me mets à dessiner, il peut y avoir des choses qui changent. Même la dernière scène, c’est arrivé que je la change au dernier moment. Mais je me mets au dessin quand j’ai décidé de ce que je voulais faire. Et effectivement, cela prend beaucoup de temps.

Xavier Guilbert : Est-ce que vous vous référez à des notes ? Est-ce que vous consignez les choses que vous ne voulez absolument pas changer ?

Ishikawa Jirô : Mais ça change parfois.

Xavier Guilbert : Quand c’est pour le bien de l’histoire ?

Ishikawa Jirô : Pour expliquer simplement : au début je découpe l’histoire en cases. Lorsqu’il y a des dialogues, je les ajoute mais sans dessiner. C’est avec les dialogues que je juge le flot de la narration. Ensuite, lorsque je passe au dessin, il arrive que je modifie les répliques pour les faire mieux correspondre à ce que je veux faire, mais je finis toujours par arriver plus ou moins à ce que j’avais décidé au départ. En général.

Xavier Guilbert : Chinkoman est bien entendu un personnage très central pour vous, et comme dans « Nuit de Tokyo », il y a beaucoup de pénis dans votre travail. À l’inverse, si l’on ne voit jamais le sexe féminin, il est souvent représenté dans sa forme « graffiti ». On a cette situation particulière où le sexe masculin est étalé au vu de tous, alors que le sexe féminin est systématiquement dissimulé…

Ishikawa Jirô : C’est que ça me gêne de le dessiner. Pour moi, la forme du pénis est — « cute« , alors que le truc des femmes est grotesque, à mes yeux.

Xavier Guilbert : Et à la place, vous utilisez une étoile, ou bien cette forme « graffiti », c’est ça ?

Ishikawa Jirô : Oui, c’est ça. Et pour le coup, j’aime beaucoup cette forme d’un point de vue graphique, et je l’utilise. Mais quand il est question des parties génitales des femmes, je trouve ça un peu dégoûtant, en réalité. Et quand je dessine, il y a ce signe, voilà. Si je dois représenter des choses un peu grouillantes, ça devient vite grotesque et ça me met mal à l’aise. C’est plus facile de dessiner des bites.

Xavier Guilbert : Du point de vue du lecteur, ça donne un peu l’impression que les femmes sont une sorte d’énigme, qu’il y a une forme de mystère qui les entoure.

Ishikawa Jirô : En ce qui me concerne, je ne dessine jamais ce que je n’ai pas envie de dessiner. Donc s’il y a cette impression de mystère, ce n’est pas conscient de ma part.

Xavier Guilbert : Pour rester toujours sur cette forme « graffiti », c’est une marque que l’on retrouve beaucoup chez vous. Pas du tout en tant que graffiti plutôt comme une sorte de logo dessiné avec application. Par exemple, sur l’une des affiches de l’exposition, il y a un matsuri [procession religieuse traditionnelle] et on retrouve ce signe sur les happi [veste traditionnelle] des participants. Ça évoque un peu aussi les symboles bouddhistes. Si bien qu’on se retrouve avec un signe qui ne relève plus du graffiti, mais presque du religieux. À nouveau, il en ressort quelque chose de non seulement mystérieux, mais de particulièrement important.

Ishikawa Jirô : Pour ce qui est de tout cela, je dois dire que je pense que c’est absolument inconscient de ma part. En fait, visuellement, je l’utilise parce que ce signe est impactant, et parce que je dessine principalement en suivant mes envies. Mais ces références à la religion ou ce genre de choses, c’est absolument inconscient de ma part.

Xavier Guilbert : Mais quand même, entre ces pénis omniprésents et le sexe féminin exclusivement montré sous forme de symbole… en tant lecteur, on en vient à se demander s’il n’y aurait pas un sens caché.

Ishikawa Jirô : Non, rien du tout.

Xavier Guilbert : C’est donc simplement lié au plaisir du dessin ?

Ishikawa Jirô : Oui, c’est tout à fait ça. Mais en réalité, moi, cela fait longtemps que je suis impuissant. Cela a peut-être son importance. Il y a peut-être une forme de réaction de rejet à l’égard des femmes. C’est peut-être le cas, même si ça peut changer à l’avenir. C’est vrai que cette impuissance , ne plus du tout pouvoir avoir d’érection, a été un vrai choc et cela a probablement eu une influence sur mon dessin. Aujourd’hui j’ai 50 ans, et cela m’est arrivé vers l’âge de 42 ans.

Xavier Guilbert : Est-ce que cela correspond au moment où vous avez créé le personnage de Chinkoman ? Ou existait-il auparavant ?

Ishikawa Jirô : En fait, je le dessinais déjà avant de devenir impuissant. Mais j’ai commencé à dessiner Chinkopo Jirô après, donc en fait il y a une forme de continuité. Si cela n’a pas été à l’origine de Chinkoman, cela a peut-être cependant été à l’origine de mon absence d’envie de dessiner des femmes. Mais si j’en ai un jour la possibilité, j’aimerais à nouveau pouvoir coucher avec une femme. Cela me permettrait peut-être de les dessiner à nouveau.

Xavier Guilbert : Que ce soit le motif du pénis ou cette forme circulaire, vous les utilisez beaucoup comme des symboles, presque comme des mandalas.

Ishikawa Jirô : Bien sûr, ils constituent une paire, les symboles de l’homme et de la femme.

Xavier Guilbert : On les retrouve par exemple sur les yukatas des personnages dans « Nuit de Tokyo », de manière très directe.

Ishikawa Jirô : Tout-à-fait. Que je dessine des chiens (mâle/femelle) ou des humains (homme/femme), cette dualité est évidente.

Xavier Guilbert : D’ailleurs dans « Nuit de Tokyo », il y a certains signes qui les associent.

Ishikawa Jirô : Oui, c’est pour moi le signe de l’entente.

Xavier Guilbert : Un dernier aspect que je voulais aborder avec vous, c’est celui de la violence. En lisant les récits de Chinkoman, le premier chapitre dans ce recueil le montre aux prises avec une brigade de policiers venus réprimer une manifestation. On a alors droit à des scènes de violence, mais une violence qui est aussi très symbolique. Je voulais savoir si cela correspond à quelque chose que vous vouliez exprimer vous-même — en particulier par rapport à ce que nous avons évoqué jusqu’ici, toutes les choses qui vous ont été interdites et sur la difficulté de vivre au Japon. Pensez-vous que cette violence en manga soit une forme de réponse à tout cela ?

Ishikawa Jirô : C’est un peu comme dans cette histoire, « Pretty Love », où à la fin la minorité se retrouve oppressée par la majorité. C’est ce sentiment que j’ai voulu aborder avec Chinkoman, avec ce combat du début. On a un individu qui se dresse contre la masse, ce genre de chose. Quand on m’a refusé des histoires chez AX, plusieurs fois, j’avais vraiment l’impression d’être seul à lutter contre le monde. À ce moment-là, alors que je cherchais à ce qu’on me reconnaisse, il est possible que j’aie voulu représenter ce combat,.

Xavier Guilbert : Une forme de catharsis ?

Ishikawa Jirô : Oui, c’est possible.

Xavier Guilbert : Pensez-vous qu’il vous serait possible de vivre sans dessiner ?

Ishikawa Jirô : Non, je pense que c’est vraiment impossible. Le manga, l’illustration, même le lettrage, c’est toujours présent. Quand je ne fais rien, quand je m’ennuie, ou quand je suis en train de boire, je dessine. Il faut que ma main bouge. Arrêter… Aujourd’hui encore, ma hanche est en très mauvais état (je l’ai vraiment abimée il y a deux ans). Elle s’est rétablie, si bien que je peux de nouveau marcher. Si cette blessure n’était pas arrivé, j’aurais continué, mais maintenant que ça va mieux, il y a beaucoup de choses que je veux faire.

Xavier Guilbert : Et ce n’est pas seulement dessiner, mais aussi montrer, sortir des livres.

Ishikawa Jirô : Oui, absolument. Si j’en ai la chance, j’en serais très heureux.

Xavier Guilbert : D’une certaine manière, l’autoédition permet d’arriver à ce résultat.

Ishikawa Jirô : Cependant, comme chaque exemplaire est fait à la main, il y a non seulement le temps passé à dessiner, mais le temps passé à produire les livres. Ce qui fait que pour des questions de temps, si jamais on venait à me commander plus de choses, je ne pourrais probablement plus me consacrer à l’autoédition. La solution idéale serait, je pense, de trouver quelqu’un qui veuille bien s’occuper de la reprographie, et que je paierais.

Xavier Guilbert : Mais ça ne vous fait pas plaisir, de produire ces petits livres soignés ?

Ishikawa Jirô : C’est agréable, oui, très agréable. Mais comme je n’y gagne pas d’argent…

Xavier Guilbert : Ils sont très bien finis, d’ailleurs.

Ishikawa Jirô : Ah, merci beaucoup. Ça me fait plaisir. Mais oui, j’ai envie de faire du travail soigné. Par exemple, je ne massicote pas l’ensemble, je coupe chaque page une par une avant de les assembler. Au début, je massicotais d’un coup, mais ce n’est pas toujours parfait, ce qui fait que maintenant…

Xavier Guilbert : À quoi avez-vous envie de vous consacrer, à présent ?

Ishikawa Jirô : En fait, comme on m’en a donné la chance — pour dire la vérité, j’en ai beaucoup discuté avec Reno [Leplat-Torti], j’aimerais si possible obtenir un visa de cinq ans pour venir en France. Je n’ai plus envie de vivre au Japon. Et si les choses se passaient bien en France, à dessiner et gagner de l’argent, ce serait vraiment le bonheur.

Xavier Guilbert : Vous pensez que le fait que ce livre soit sorti en France pourrait changer votre perception au Japon ?

Ishikawa Jirô : Le magasin TACO ché achètera ce livre, je pense. Et il se vendra probablement.

Xavier Guilbert : Et si vous le montriez à un éditeur, en lui disant : « Regardez, jusqu’ici tout le monde a refusé mes histoires, et voilà qu’en France on vient de publier un beau livre de mon travail… » Vous pensez que cela pourrait changer les choses ?

Ishikawa Jirô : Je n’y crois pas. Au Japon, ça n’en vaudrait pas la peine. Si jamais ils venaient à le découvrir par eux-mêmes à l’étranger, ce serait peut-être le cas. Mais si c’est moi qui leur amène… Rien que le temps passé, le prix du train, en prenant en compte tout cela, ça n’en vaudrait pas la peine. Et en fait, je n’ai pas vraiment envie d’essayer.

Xavier Guilbert : Vous semblez avoir fait une croix sur le Japon…

Ishikawa Jirô : Oui, je n’ai pas beaucoup d’espoir.

Xavier Guilbert : Bonne chance pour la France, alors.

Ishikawa Jirô : Merci beaucoup.

[Entretien réalisé à Paris, le 13 mai 2017. Un immense merci à Laurent Bruel, des éditions Matière, pour sa relecture attentive et pour l’autorisation d’inclure ici de longs extraits de l’entretien publié dans C’est comme ça (conduit à l’écrit par Laurent Bruel en janvier-février 2017, traduit du japonais par Patrick Honnoré et Yukari Maeda)]

Notes

  1. Extrait de l’entretien publié dans C’est comme ça :
    « Dans les bandes dessinées, je regarde les images. Je n’ai quasiment jamais lu les récits. Je suis désolé… Ça fait bientôt vingt ans que je n’ai pas vraiment lu d’autres mangas que les miens. Je mets tout de même à part Obake no Q-tarô, cette bande dessinée dont tout le monde se fout totalement — une bande dessinée qui ne pèse rien, tellement légère qu’elle ne touche personne. Je crois que si j’essayais, je serais peut-être encore capable de la lire. »
    Ishikawa Jirô précise cependant un peu plus loin : « Autrefois, je ne m’intéressais pas particulièrement aux bandes dessinées. Je me contentais de me divertir de façon très superficielle avec les choses auxquelles on s’amusait à cette époque : la télé, les jeux vidéo… Vers l’âge de 7 ans, je me souviens qu’il m’arrivait de regarder les mangas que lisait mon grand frère (qui a huit ans de plus que moi) et de ma sœur (douze ans de plus que moi). C’étaient des mangas en volumes des grands auteurs mainstream, des choses qui étaient également adaptées en séries animées, comme Obake no Q-tarô, Snoopy, Kaba Totto, Oyoyo Neko
    À 14 ans, dans une librairie, j’ai eu pour la première fois en mains un numéro du magazine Garo. Je me suis alors rendu compte que les bandes dessinées qu’il présentait étaient pour ainsi dire l’exact opposé de ce que j’avais connu jusque-là. J’ai été extrêmement étonné. Tout particulièrement étonné par les mangas de Nemoto Takashi. Je me suis dit : « Ah bon ? C’est du manga, ça aussi ? On peut publier même des choses comme ça ! Il est donc possible de négocier une sorte d’existence au sein de la société, de cette façon… » C’est du moins ce qui m’a frappé à ce moment-là. J’étais un enfant encore. Et c’est comme ça que j’ai commencé à aimer cet univers. C’est devenu un objectif : je me disais que le seul endroit où un type bizarre comme moi pouvait s’exprimer et publier, c’était Garo. »
  2. Dans l’entretien publié dans C’est comme ça, Ishikawa évoque également cette période :
    « Pendant presque deux ans, j’ai publié dans Garo régulièrement, tous les mois. Peu à peu, d’autres éditeurs m’ont fait des propositions. C’était l’époque de la bulle économique au Japon : pendant environ un an et demi, j’ai pu gagner ma vie grâce à mes bandes dessinées et à des travaux d’illustration. Puis quelque chose a changé en moi.
    J’ai soudain réalisé que je n’avais plus envie de dessiner des récits amusants, mais envie de réaliser des illustrations plus psychédéliques et abstraites. Je me suis retrouvé embarqué dans des difficultés insurmontables. J’ai fini par faire les poubelles, par travailler comme ouvrier dans des conditions extrêmes… Tout ça m’a conduit à me couper de mes relations avec les éditeurs, avec la société, avec les gens… En 1993, j’ai sérieusement envisagé d’arrêter de dessiner pour de bon. À la place, j’ai fait toutes sortes de conneries… et puis des trucs juste pour gagner ma vie au jour le jour. »
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Entretien par en décembre 2017