Joe G.Pinelli

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Il est de ces voix qui parlent peu mais qui savent se faire entendre et pas uniquement pour combler des blancs. Dans le domaine de la bande dessinée, remplir les espaces vides est pourtant facile. Joe Pinelli n'est pas de ceux-là. Discret artisan de l'underground, il est l'un des pionniers de la bande dessinée autobiographique en France mettant son sens aiguisé du trait et du verbe au service de créations en forme de trompe l’œil. De ses débuts chaotiques dans la moite Espagne à sa douce vie de famille dans l'humidité Liégeoise, il raconte son parcours haut en couleurs ou la frontière entre réalité et fiction n'est pas aussi claire qu'on pourrait le croire.

Cacher le visible

Je suis Bertrand Dehuy. Joe G.Pinelli est un pseudonyme qui provient de ma famille. C’est le nom de mon arrière-grand-père, le père de ma grand-mère paternelle qui émane directement de la région de Charleroi. Ce n’est manifestement pas Belge, c’est un nom qui était tombé en désuétude. Notre famille revient de loin, nous étions des mineurs faisant partie de communautés repliées sur elles-mêmes. Mon grand-père n’a jamais vu la mer par exemple, il est allé une fois à Ostende qui n’est pourtant qu’à 200 kilomètres… Ayant vécu dans les années 60 au contact de la population italienne, notamment des enfants de mineurs, j’ai décidé à vingt ans d’adopter ce pseudonyme en souvenir de cette enfance partagée et de mon arrière-grand-père. L’enfance est un pays où l’on ne peut pas revenir si ce n’est à travers la littérature, c’était donc un moyen de la conserver à mes côtés, puis j’ai voulu préserver cette vieille tradition de la bande-dessinée héritée de Hergé, de Jidéhem entre autres, qui consiste à s’affubler de pseudonyme. J’aimais l’idée de distanciation, d’effacement, de paravent, l’idée de se créer soi-même son nom, indépendamment de la famille selon Rimbaud, puisqu’à vingt ans je lisais Rimbaud.

Je commence mes études aux Beaux-Arts en 1978, je quitte Charleroi et j’atterris ici [Joe Pinelli vit à Liège]. Il s’agit de la quatrième plus grande ville de Belgique et à la différence de Charleroi, on vient à Liège, on y reste. Sur ces quatre villes, c’est l’endroit le plus remuant, où il y a le plus de brassage. C’est une ville qui malgré tout reste très vivante. J’ai longtemps eu un rapport amour/haine et puis j’ai finalement accepté mon sort. Cette ville est une cuvette aux bords graisseux dont personne ne sort, on tente mais on finit toujours par y retomber. C’est le danger. Je suis arrivé au moment où la ville était en plein déclin et elle l’est toujours. J’ai mis du temps à le comprendre mais quand on regarde en arrière, c’était une métropole d’envergure internationale.

Sans même avoir de contact avec qui que ce soit, venant de Franquin et Tillieux et ne voulant pas m’exprimer dans le même genre qu’eux, j’estimais que la bande dessinée devrait passer par l’autobiographie pour s’émanciper. Ce n’était pas du tout les renier, c’était d’une certaine manière les prolonger puisqu’il y a chez eux des passages qui sont en prise directe avec le réel. J’avais dans l’idée de recréer de toutes pièces mon propre langage et je me suis servi pour cela de beaucoup de choses. En 1978, la bande dessinée n’est pas du tout littéraire, elle est figée dans du Peyo, du Franquin. Les plus littéraires sont Munoz-Sampayo et si on s’attarde sur le texte ou la structure de leurs récits, on est proche de la qualité d’œuvres comme celles de Raymond Chandler. A l’époque, je suis lecteur de romans et je veux absolument transposer cette force romanesque, d’écriture et de contenu au langage de la bande dessinée. Il faut trouver un juste équilibre entre le trop de texte, le pas assez et comment introduire le champ de l’écriture aux cases. Cela implique un réglage : ordonner l’image par rapport au texte et à son contenu. Tout cela va me prendre du temps et de la maturation.

Avec les idées que j’ai en tête il m’est impossible de publier dans Spirou et Tintin, je suis dans l’autobiographie avec un trait inapproprié pour le grand public. Je commence à envoyer mes premiers travaux chez Gallimard dans la collection Blanche. Je n’aurai aucune réponse. Je me rends compte que pour être publié il existe quelques fanzines en France, alors je leur écris et ils me publient. Je n’imagine pas du tout que ce que je fais est nouveau, innovant ou différent. Ils publient et je trouve ça très agréable et normal en fait. C’est naturellement que se crée un réseau autour du fanzinat. Je vais donc beaucoup publier en fanzine au début des années 1980 pour terminer par être édité chez PLG qui avait tout refusé jusque là. Ils vont compiler sous forme d’intégrale tout ce que j’avais diffusé de façon éparse dans un ouvrage intitulé Nos Mas Pulpo.

Cette liberté de création me permet de raconter mon histoire mais aussi mes histoires. Cet ensemble de strips qu’est devenu l’intégrale de No Mas Pulpo est l’association de fictions autobiographiques. Difficile de savoir ce qui est fiction et ce qui ne l’est pas. Je pourrais le dévoiler, mais je n’en ai pas envie, c’est le garde-fou de mon univers, de mon personnage, cela m’empêche de tomber dans les limbes d’une certaine normalité. Avec le recul, ces histoires témoignent surtout d’un acharnement, d’une détermination à vouloir être libre. Liberté de ton, de proposition, de temps. Je vivais sans contrainte aucune. L’expression de ce côté cru, parfois froid ou distancié est évidemment volontaire, il agit dans le même sens, dans la cohérence que je voulais donner à l’œuvre. La preuve, le poulpe est animal dont je ne peux m’approcher, j’en suis allergique et les titres imposent ce rejet total : « No mas, no mas, no mas ! » J’avais trente ans à l’époque et je crois que je voulais surtout présenter un caractère à travers une voix.

Poulpe strikes again

A la fin des années 80, je fais mon premier Angoulême. Quand sort enfin l’ouvrage chez PLG, je prospecte chez Casterman dans leur revue (A suivre) qui m’intéresse beaucoup. Il s’y développe vraiment quelque chose d’innovant qui me convient plus que Métal Hurlant. Je vais être repoussé à chaque tentative. Le dessin ne convenait parfois pas, le scénario aussi. L’absence de scénario m’a souvent été reprochée chez la plupart des éditeurs. Cela me paraissait normal, je voulais faire du roman. Je ne vais donc avoir d’autres choix que de continuer en label indépendant. A l’heure actuelle encore, je prospecte chez les majors mais je me vois toujours refusé. Je procède alors avec le même modus operandi, excepté que cette fois, je m’auto-édite directement. Le fanzine est un champ d’expérience unique et riche puisque l’on est tout à fait libre et autonome. J’ai donc travaillé dans cette direction de 1979 à 1994, jusqu’à la naissance de mon premier enfant puis je me suis arrêté du jour au lendemain. Ça ne me plaisait plus. Il n’y a pas vraiment de raison, c’est comme arrêter de boire, je ne sais pas vraiment pourquoi je l’ai fait. Puis, je ne savais pas vraiment raconter au départ, cela m’a permis de prendre une direction nouvelle et de cette fois, dessiner pour raconter davantage. Amorcer une manière de construire le personnage et en construisant le personnage, donner corps à l’auteur que je voulais être.

A force de festivals, j’avais envie de rencontrer des auteurs et des éditeurs surtout français. Milo, avec qui je ferai plus tard La voie Intérieure sera de ces rencontres amicales comme les salons peuvent en engendrer. C’est le moment ou 6 pieds sous terre me propose cette participation à l’univers du Poulpe avec Patrick Raynal qui adapte son roman Arrêtez le Carrelage. Malgré mon allergie pour l’animal, je fonce. Je me dis que décidément, il doit y avoir quelque chose qui m’y relie et qu’il serait vraiment dommage de passer à côté. La volonté de liberté que je recherchais à tout prix dans mes ouvrages précédents s’efface et je me plie ici à l’exercice. Ce découpage en trois cases est donc la conséquence des ouvrages précédents et j’y trouve même un réel intérêt, la case large permettant le déploiement du paysage. L’histoire se passe en Bretagne, sa force, ses couleurs, ses odeurs. Je la raconte comme je la vois, comme je l’aime. J’aurai peut-être aimer la dérouler en couleurs pour encore plus m’y plonger. Je ne sais pas trop. Ce n’est pas très grave, la continuité graphique avec mes autres histoires me permet tout de même de glisser de l’intime entre les lignes. J’aime la grammaire de la bande dessinée. Il est tout aussi intéressant de raconter une histoire comme pouvait le faire Peyo, que celle qu’a décrit Alan Moore avec From Hell. La grammaire est à la base de tout. Que l’on fasse du grand public ou pas, on travaille une mécanique qui permet énormément de choses. Les rapports au code évoluent avec le temps et c’est le travail sur cette mécanique qui permet de s’affranchir, de sortir des cases, si je peux me permettre. C’est celle qui me tient le plus à cœur.

Sonorité de l’image

J’ai travaillé la plume pendant quinze ans et exclusivement de cette manière. Je voulais apprendre à l’utiliser et je le faisais dans toutes les situations : écrire une lettre, remplir des déclarations, faire mes listes de courses et évidemment le dessin. Elle était devenue un réel outil et compagnon d’aventures. Je ne pouvais pas travailler au pinceau, c’était impossible pour moi. Je ne me suis donc consacré qu’à des histoires en noir et blanc avec l’influence de Munoz-Sampayo, de Pratt qui m’ont, comme je l’ai déjà dit, beaucoup marqué dans les années 80. Je ne m’autorisais pas la couleur. Tout mon parcours est extrêmement lent, lié à un réel rapport aux instruments. Connaître l’objet, en découvrir les subtilités, tout cela prend du temps. D’où cette forme d’improductivité qui caractérise mon travail. L’un ne va pas sans l’autre… Du fait de ces choix, j’ai mis quinze voire vingt ans à passer à la couleur.

L’exemple d’Une magnifique journée est un ouvrage pivot, essentiel dans, si je puis dire, ma mythologie à travers laquelle s’y représentent énormément de mes thématiques. C’est une forme d’accomplissement qui mélange la biographie, l’autobiographie, la fiction… peu importe, ici enfin tout sert. Texte, images, couleurs parmi les trois composantes de l’art du récit. Je mets mes influences picturales, ma peinture au service de cette histoire. Plus qu’un hommage, il s’agit surtout d’un éclairage sur cette période trouble et la couleur est primordiale à cette lumière. Elle s’exprime, parle, chante, dévoile. C’est une image sonore qui met en avant l’émotion que je voulais transmettre à mon lectorat. Le titre même vient renforcer cet éclair, il ne quantifie rien, il laisse juste imaginer que les choses seront belles alors que pas du tout. J’aime cette idée que l’intitulé propose deux ou trois interprétations qui se construisent au fil de la lecture. Pour le propos, je me suis contraint d’écrire une phrase par page pour aller à l’essentiel, le texte ne disant pas ce que l’on voit à l’image. C’est une forme de tissage. L’œuvre est courte, assez facilement lisible de prime abord et pourtant il est bon d’y revenir, de refaire ce chemin, de reconnaître ces zones d’ombres que je voulais mettre en lumière et de les comprendre. En plus, il n’y a pas à proprement parler de réel héros. L’identification peut se faire naturellement et le lecteur peut y trouver un cheminement personnel malgré le sujet, c’est en tout cas ce que je me plais à croire [rires]. Le livre dresse un portrait de plusieurs artistes de l’époque qui se sont retrouvés dans cette situation, qui en ont vécu les horreurs à distance. Le héros est donc un tout, un mélange d’éléments ; c’est le narrateur, l’extermination, la musique, la détermination et malgré le sujet, j’y convoque encore de l’intime. C’est un livre qui me tient vraiment à cœur, d’autant que ma collaboration avec les Requins Marteaux était vraiment sympathique.

Flippe

Mon style peut sembler différent selon les œuvres. C’est sans doute un leurre. Je suis continuellement en train d’apprendre. Je regarde ce qui a été fait et je recommence. Pas de façon obsessionnelle, seulement améliorer, réfléchir autrement. Là où je disais que je travaille et retravaille la grammaire dans la façon de raconter une histoire, je fais uniquement ce que l’outil m’autorise à faire, que ce soit gouache, huile, pastel, plume. Je pense donc que le résultat, s’il peut sembler varier ou différer est pourtant toujours le même et dieu merci ça ne se voit pas ! (rires) La comparaison aux instruments de musique est évidente. On n’obtiendra jamais le même son avec un instrument différent et pourtant c’est le même compositeur.

Comme disait Jean-Bernard Pouy, « La contrainte est libératoire ». Quand je dois faire quelque chose d’impersonnel, dans tous les cas, je ne le fais pas. Mon statut d’enseignant me permet une certaine distance vis-à- vis du milieu professionnel. Elle me laisse le choix de renoncer, renoncer à faire de la bande dessinée grand public ou pas. Arrive donc Trouille en 2009. Le livre est issu d’une relation amicale avec François Guérif qui dirige la collection Rivages/Casterman/Noir. Un travail de commande où il s’agit de mettre en image des adaptations de romans. Je sais donc où je mets les pieds. Pourtant l’adaptation littéraire est souvent difficile à adouber. Par exemple, j’apprécie beaucoup de films adaptés de livres mais je trouve qu’à la différence du livre qui fait penser, rêver et réfléchir, le film montre. Je ne peux pas regarder l’adaptation de Peter Jackson du Seigneur des Anneaux. Elle est pourtant parfaite mais tellement fidèle que je n’y vois plus rien. La vision des choses y est imposée et ça me déplaît. Je marchais donc un peu sur des œufs. L’idée de pouvoir revenir vers ce genre de projets en ayant appris des erreurs faites sur Le Poulpe pour me permettre d’en commettre d’autres, m’intéressait. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un exercice, rien ne peut être parfait, c’est ce qui en fait sa spécificité, son intérêt premier. Certains vont adorer, d’autres trouver ça complètement raté, peu importe, c’est une vision des choses parmi d’autres. Si tu ne l’aimes pas, passes ton chemin l’ami, le godillot suivant sera sûrement à ta pointure. La pratique de celui-ci me sera plus douloureux que les autres en revanche. Il reste un mauvais souvenir, surtout dû au fait d’un rapport confus avec une autorité maladroite. Pourtant, je m’y suis plongé, je suis descendu dedans avec un plaisir relatif. Je pouvais y aborder l’Amérique et ses grands espaces mais aussi ses structures étriquées, alambiquées. De mémoire, je cite environ dix-sept peintures et dessins de Edward Hopper. J’aimais aussi y construire comme bande originale le jazz, courant musical dont je suis féru. Et puis, je vivais la chose comme une continuité dans un style qui m’était proche à ce moment-là, notamment dans Caz Roman à travers lequel on peut observer le même usage. Il n’y a donc pas de refus du découpage, il s’agit surtout d’un terrain d’expérimentations où l’absence de cases n’implique en rien une absence de continuité, bien au contraire. Le personnage me parlait, il était libre et sa liberté m’a ému. Je voulais le voir évoluer hors de ces fameuses cases, dans une certaine forme de marginalité puisque c’est ce qui parcourt également le récit. J’aime ces personnages qui érigent la simplicité de ce monde comme rempart à une certaine forme de modernisme, ils parcourent mes œuvres. Je suis un peu comme ça, c’est conscient. Il y à la un choix, une volonté de ma part.

Latitudes cannibales

La notion de représentation, de la reconstitution du monde en fonction de l’histoire est évidemment importante. Il y a le travail de reconstitution où tu as le dos courbé sur ta table et tout sort de ta tête et il y a la vision fidèle, l’observation attachée au réel, qui reproduit bien souvent une photographie. Le filtre de l’individu et de son ressenti peut tronquer l’idée de départ, l’émotion pouvant parfois prendre le pas sur la reconstitution, surtout quand tu as visité les lieux. Lorsque j’ai commencé à construire mes premières œuvres, pendant très longtemps, je n’ai jamais mélangé les deux schémas. Je ne faisais pas du tout confiance à la restitution via la mémoire. Je ne me considérais pas suffisamment aguerri pour représenter un personnage ou une rue de tête. Van Gogh disait qu’à quarante ans passés, il était incapable de dessiner d’imagination. Il lui faudrait vivre très vieux pour pouvoir travailler uniquement de mémoire. Van Gogh a toujours été pour moi un peintre réaliste. Ses œuvres montrent un élément du réel sur lequel il s’appuie. Avec du recul, il y a seulement quelques temps, je me suis rendu compte que c’était faux. Il se base sur la réalité mais il la contorsionne, il se l’approprie et la déforme. Je ne me compare pas à lui, il est une influence comme j’ai pu en citer d’autres. Je pense simplement me rapprocher de son système de fonctionnement et de la sensibilité qui en découle. Pour revenir sur ta question, malgré mes réticences et mon manque de confiance au départ, je crois que j’ai toujours préféré retranscrire une émotion, une sensation plutôt qu’une fidèle photocopie de la réalité. Pour tout dire, je crois même qu’elle guide tout mon travail. C’est la voie qui s’est imposé, au fur et à mesure, la libre expression de mon âme.

C’est dans cette continuité que j’ai construit Féroces Tropiques. Avec elle, je continue mon exploration de la couleur, de l’usage de la peinture dans la bande dessinée. A la base, c’est un travail que je menais depuis 1995 et Didier Daeninckx, dont je suis devenu proche, a séjourné dans ces régions de Papouasie. Il m’a conté les images de ce pays et ce qu’il s’en dégage. Je m’y suis retrouvé. Le pays a donc naturellement participé à la construction du caractère du personnage dans le travail que nous avons fait avec Thierry Bellefroid. J’aime ce retour à l’état sauvage, ce primitif qui nous caractérise tous mais que l’on à souvent tendance à mettre de côté. Ici, il étoffe l’histoire, il fascine le héros comme dans les films de Malick ou Herzog. Je n’aime pas me dévoiler publiquement, me montrer. C’est ma part d’animalité, mon territoire, mon intime, mais avec le temps je me rends compte que peu importe le sujet, il y a toujours un morceau de mon île que je laisse voguer et qui me dévoile. Je borde mes frontières et de temps en temps je montre vraiment de quoi ma terre est faite. Un petit peu, jamais de façon grandiloquente.

La possibilité d’une île

Actuellement, je travaille à l’autobiographie d’un autre, la continuité d’un travail qui n’a eu de cesse d’évoluer. Je raconte les autres pour mieux les faire vivre. C’est un boulot qui a commencé sur Une magnifique journée, il s’agit d’une sorte de pis-aller entre le journal et le roman, 24 revues, des fascicules très exactement montrant le journal d’un officier Allemand entre 1914 et 1947. Avant d’être officier, il est avant tout peintre. C’est donc le journal d’un peintre qui va me permettre de mettre en évidence toute la montée du nazisme en Europe, en Allemagne jusqu’à ses ultimes conséquences. Dans la forme, nous sommes dans un journal, ce n’est pas une bande dessinée. C’est encore une histoire qui me touche ou se rapproche de mon parcours. Il est question d’un personnage qui quitte Berlin et rejoint les îles, son parcours de l’obscurité vers la clarté. J’en découvre des morceaux sur la toile, ça s’appelle Journal d’un faussaire : Les carnets de Kurt Hix. Il y a mille six cent pages réalisées, cinq cent peintures et même un documentaire tourné autour du projet. En faire un livre avec une iconographie correcte intéresserait probablement les éditions PLG. A voir pour la suite…

Mes origines se ressentent également dans mon travail. La Belgique est un endroit de la planète où tu vis entre deux mondes, c’est un pays culturellement imbibé de France et d’Allemagne, bercé entre les impressionnistes et les expressionnistes. C’est le grand carrefour. La qualité et surtout la quantité de lumière y sont très particulières. Ce n’est pas le sud de la France, ce n’est pas l’Italie, ce n’est pas l’Angleterre. Travailler la couleur devient un véritable défi et je ne peux le faire qu’entre 11h et 15h. Aujourd’hui il ne pleut pas mais les jours où le ciel a décidé de se foutre de notre gueule, c’est littéralement la guerre. C’est l’atmosphère d’ici qui je crois me force, me soumet à cette interprétation des choses, je ne peux qu’exprimer mon ressenti. Bien évidemment, je pourrais tout à fait quitter le pays et voir autre chose, mais pour le moment je m’y sens bien. Et puis, on sort de la mine dans ma famille, nous avons toujours plus ou moins été habitué au noir et blanc, au gris crasseux des entrailles de cette fichue planète.

[Entretien réalisé entre décembre 2014 et novembre 2016 à Liège, en Belgique. Photos de Michel Petillo, prises en décembre 2014 à Liège.]

Entretien par en juin 2017