Linda Medley

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Alors que d’autres arpentent la fantasy dans tout ce qu’elle peut présenter d’adolescente et d’immature, depuis une douzaine d’années, Linda Medley construit minutieusement son univers d’aventures ordinaires. Sorti en fin d’année dernière, l’imposant volume de Château l’Attente publié chez çà et là a donc fait l’effet d’un (tranquille) pavé dans la mare. Découverte d’une conteuse.

Xavier Guilbert : Je vais commencer avec une question qui peut sembler un peu bête — qui est Linda Medley ? Parce que j’ai cherché un peu sur Internet, et il semble qu’il n’y ait pas grand’chose concernant la période précédant votre Xeric Grant en 1996. D’où venez-vous ?

Linda Medley : J’ai grandi dans une zone très rurale de la Californie. Si vous avez lu du John Steinbeck — c’est là que j’ai grandi. J’ai ensuite étudié l’illustration à San Francisco, à l’Academy of Arts College. Je voulais faire de la bande dessinée, mais à l’époque ils disaient à tout le monde «ne faites pas de la bande dessinée, parce que la bande dessinée, ça ne vaut rien. Ne faites … n’en faites pas.» Mais pendant que j’étais à l’université, j’ai rencontré des gens qui faisaient de la bande dessinée et ce sont devenus des amis, ce qui fait que je suis restée en contact avec les festivals locaux, ce genre de chose. Et même si je continuais à lire et collectionner des bandes dessinées, je n’avais dit à personne, et surtout pas à mes professeurs, que ça m’intéressait toujours.

XG : C’était quel genre de bandes dessinées ?

LM : X-Men — je collectionnais les X-Men. (rire)

XG : Et vous avez continué en grandissant ?

LM : Non, j’ai arrêté de lire les X-Men quand j’ai eu quatorze ou quinze ans — parce que c’est à peu près le niveau que ça avait, et je … je n’ai plus lu beaucoup jusqu’à ce que Love & Rockets sorte, et que je commence à lire de … de la bande dessinée plus «adulte». Et quand je me suis retrouvée à l’université — comme je ne pouvais pas faire de la bande dessinée, j’ai du me tourner vers l’illustration de livres pour enfants, et j’ai commencé à étudier le folklore, et à lire beaucoup des versions originales de nos contes de fées, ce genre de chose. J’avais une petite idée de ce que je voulais faire … quelque chose avec les contes de fées, mais je ne savais pas vraiment quoi.
J’ai eu mon diplôme, et j’ai fait de l’illustration pour des livres pour enfants pendant quelques années, et j’ai commencé à chercher. Mais vers 87 — entre 87 et 89, j’étais amie avec Arthur Adams et Mike Mignola, qui tous deux font de la bande dessinée. Nous habitions tous dans le même coin, et Arthur avait besoin de — je faisais des livres pour enfants à l’époque, et Arthur avait besoin de quelqu’un pour faire la couleur de certains de ses livres, et des trucs comme les posters. Et c’est comme ça que j’ai commencé à être coloriste.

Et c’est aussi vers ce moment que j’ai décidé que je voulais m’essayer à la bande dessinée, et j’ai fait quelques pages d’essai, je suis allée à une convention et je les ai montrées à un directeur de collection chez DC, et ils m’ont dit : «très bien, on vous prend». Et environ un mois plus tard, ils m’ont envoyé un scénario, et j’ai fait Justice League pendant — quelques années. Je n’ai plus la chronologie exacte en tête, mais il y avait Justice League, j’ai aussi travaillé avec Michael Kaluta sur un projet qui n’a finalement jamais été publié. De là, je suis ensuite allée faire quelques trucs pour Vertigo, j’ai fait Doom Patrol pendant un an … mais je trouvais que je n’étais pas bonne pour ça. J’ai donc arrêté, et je me suis contenté de faire coloriste pendant un moment.

Et c’est alors qu’en 94 — Mignola m’appelle et me dit : «Quoi ? Qu’est que tu fais ? Pourquoi est-ce que» — je ne vais pas répéter ce qu’il m’a dit parce que c’était vraiment méchant, mais il m’a dit : «tu es en train de balancer ton talent par la fenêtre, en faisant des couleurs au lieu de travailler sur ton propre livre.» Et j’ai répondu : «tu sais, je ne suis qu’illustratrice, ce n’est pas quelque chose que je sais faire». Il venait de commencer à travailler sur Hellboy à l’époque, et il m’a dit : «écoute, je le fais, il y a tout un tas de gars qui font de l’auto-publication aujourd’hui, pourquoi est-ce que tu ne ferais pas quelque chose avec ce sur quoi tu travaillais à l’université ?» Et je lui ai dit : «je ne sais pas, je vais boire un coup et j’y réfléchis».
Et c’est ce que j’ai fait, et étonnament, presque du jour au lendemain, j’ai trouvé ce que je voulais faire, au point d’être comme «je dois m’y mettre, il faut que j’essaye». J’ai donc commencé à écrire — la première chose que j’ai écrit devait être le chapitre quatre du livre. Mais c’était l’idée de Mignola de faire quelque chose qui puisse être lu indépendamment, histoire de pouvoir tester le marché et voir si cela pouvait intéresser quelqu’un. Ce qui fait que je suis revenue en arrière, et j’ai fait toute l’histoire Curse of Brambly Hedge, que j’ai sortie en premier.

XG : Du point de vue du lecteur, les choses commencent en terrain familier, avec une interprétation légèrement différente de La Belle au Bois Dormant. Ensuite, on s’en éloigne beaucoup plus, il y a un gros changement. Mais visiblement, dès le départ, vous aviez l’idée de faire quelque chose de moins référentiel. C’était pour proposer une introduction facile ?

LM : Oui, quelque chose que les gens pourraient comprendre. J’avais pensé, en commençant, qu’il était évident qu’avec un château entouré de ronces, que les gens comprendraient qu’il s’agissait du château de la Belle au Bois Dormant. Et puis en fait, peut-être que non, peut-être que ce n’est pas aussi évident pour tous. Au départ, je voulais que ce soient les petites vieilles dames qui racontent l’histoire à Jain plus tard dans le livre, et que ce soit plutôt bref — quelque chose comme une dizaine de page, vous voyez, juste pour clarifier pour ceux qui n’auraient pas saisi quelque chose d’ausse évident. Mais en y réfléchissant, je me suis dit que cela ferait plutôt une introduction, ce qui fait que je l’ai retravaillé pour l’étoffer un peu.

Serge Ewenczyk : Du point de vue narratif, il y a une certaine rupture entre l’introduction et le reste du livre.

LM : Au départ, je ne voulais pas publier la partie Brambly Hedge avec le reste, mais Fantagraphics voulait en faire un seul volume.

XG : Comment s’est déroulée l’expérience de l’auto-publication ? Et la Xeric Grant ?

LM : Pour la Xeric Grant … je — j’ai proposé ma candidature, et je l’ai eu. Je sais que ça donne l’impression que c’était facile, mais ce n’était pas le cas. Ils m’avaient demandé de faire tout un projet d’activité. J’ai listé tout ce que je voulais faire pour la promotion du livre et tout ce qui — combien cela coûterait, pour des affiches, les imprimeurs, tout. Je ne savais pas si ça allait fonctionner, ça allait coûter pas mal d’argent, mais je pensais «c’est un bon plan, c’est ce que je veux faire» — et ils m’ont accordé la bourse.
L’une des choses que j’ai faites, c’est que j’ai imprimé l’ensemble du tirage avant même d’avoir des commandes de la part des distributeurs, quelque chose que l’on ne fait pas, d’ordinaire. Mais je voulais avoir des livres — ça devait sortir en Octobre, mais je voulais pouvoir montrer le livre à San Diego qui se déroule en Juillet. Ce qui fait que j’ai fait imprimer 5 000 exemplaires. Et lorsque j’ai eu les commandes, il y en avait seulement 1 300, et je me suis dit : «tu es coincée avec 3 000 exemplaire de ce bouquin». Mais finalement, ils — j’ai réussi à tous les vendre, cela a juste pris un peu de temps pour que les ventes décollent.
Ensuite, quand j’ai attaqué la série elle-même, en essayant de tenir une certaine régularité — sachant qu’en même temps, je continuais à être coloriste, et — c’est alors que les choses sont devenues difficile, parce que l’on ne peut pas avoir un travail à temps plein et, vous savez, un temps partiel pour écrire et dessiner et illustrer son livre … et d’essayer de le promouvoir, et tout ce qui va avec. Au bout d’un moment, c’est devenu trop lourd, je ne pouvais plus me le permettre, et j’ai dû arrêter.

XG : Quand est-ce que Fantagraphics entre en scène ? Et comment vous ont-ils persuadée de reprendre la série ?

LM : Ils ont eu connaissance de mon travail alors que je m’auto-publiais. C’est quand ils en ont entendu parler pour la première fois, et c’était aussi au moment où j’étais sur le point d’arrêter, fatiguée de me battre contre l’industrie du comic book, pour que mes livres soient remarqués, qu’ils ont commencé à me dire «laissez-nous le publier» — et je leur ai répondu «Non, ça ne m’intéresse pas, je ne veux plus travailler sur ce livre, j’en ai assez». Et j’ai tenu pendant presque trois ans, mais au final ils m’ont eue à l’usure, et m’ont dit : «au moins, laissez-nous publier un recueil de ce que vous avez fait jusqu’à ce que vous arrêtiez». Et j’ai dit très bien.
Et vers la même époque, un fan m’a écrit et m’a demandé : «J’ai entendu dire qu’ils vont sortir un recueil, vont-ils aussi reprendre la série ?» J’ai alors contacté Fantagraphics et je leur ai demandé «alors — vous voulez faire la série ?» et ils ont répondu oui. C’est comme ça que ça s’est passé.

XG : Et maintenant que vous avez sorti huit ou neuf épisodes de la seconde séries, qu’en pensez-vous ?

LM : C’est agréable de ne pas avoir besoin d’un autre travail. Je ne gagne pas énormément d’argent, mais je suis contente de ne pas avoir à jouer les coloristes à côté. Mais en même temps, durant ce trou de trois ans j’avais des idées d’autres projets qui m’intéressaient, ce qui fait que c’est un peu — j’aimerais me lancer dans ces autres projets, mais ce n’est pas possible, si je veux continuer Château l’Attente. Il y a du bon et du mauvais comme dans tout, mes journées ne sont pas assez longues.

XG : J’ai évoqué mon impression que, pour Château l’Attente, les choses évoluent depuis un point de départ qui serait une réinterprétation de La Belle au Bois Dormant — mais visiblement, c’est une erreur. Dans quelle mesure avez-vous planifié le déroulement de votre récit ?

LM : Hm… Pratiquement tout. Il y a sans doute des détails et des passages qui se passent plus tard qu’il me reste à déterminer, mais pratiquement toute l’histoire était là — formée durant la première semaine où j’ai commencé à travailler dessus. Parce qu’il y a des choses dans le tout premier chapitre qui font référence à l’histoire de la toute fin, ce qui fait que je savais où j’allais depuis le début. Mais j’ai aussi rencontré des gens qui, quand ils ont commencé à écrire, avaient tout gravé dans le marbre. Et quand ils se mettent finalement à travailler dessus, ils disent «je n’en peux plus, tu sais, ma vie a changé, les choses ont changé, et je ne peux plus travailler dessus». Ce n’est pas ce que j’ai fait, j’ai mis en place la trame globale de ce que je voulais raconter et je l’ai laissée ouverte, parce que je savais que dans quelques années, je serais quelqu’un de différent, et que les choses auraient évolué en partie…

XG : Le récit laisse transparaître beaucoup d’affection pour vos personnages, et la majeure partie de l’histoire tourne autour de leur développement et leur évolution, au lieu des aventures traditionnelles.

LM : En fait, c’est en partie parce que pour moi, le livre en est encore à ses débuts, et je voulais avoir des personnages solidement établis que les lecteurs pourraient suivre facilement. Enfin, pas seulement suivre facilement, mais également qu’ils puissent avoir des sentiments pour eux. Et d’une certaine manière, je sais qu’il n’y a pas beaucoup d’aventure au sens habituel, mais beaucoup des conflits que l’on trouve dans les relations … cela va sonner un peu ennuyeux de le dire, mais c’est un peu comme si la véritable aventure, c’est de faire la lessive. Quelque chose de banal et …

XG : Ou de se teindre les cheveux ou …

LM : Oui. En fait, ça peut être amusant, ou ça peut être désastreux. Une chose que je voulais faire, ce qui est important c’est que personne dans le livre n’est un Prince ou une Princesse — ce sont tous des gens qui travaillent. Et il y a de grandes aventures qui surviennent plus tard, mais je voulais les montrer qui évoluent, et qu’il leur arrive beaucoup de choses. Il peut y avoir des conflits — mais comment gère-t-on cela quand on est le type qui nettoie les toilettes, comment fait-on quelque chose d’héroïque si l’on n’est que le cuistot, et … vous savez, libérer deux personnes qui sont des esclaves est plus important que tuer un dragon.

XG : Je voudrais réagir sur quelque chose — vous avez dit «le livre en est encore à ses débuts», et vous avez environ 450 pages du recueil, plus huit ou neuf chapitres de la seconde séries — quelle en sera la longueur au final ?

LM : Hm, je ne sais pas. Je ne sais pas quelle longueur cela fera, mais .. la troisième partie, de la manière dont je la voie, c’est uniquement l’histoire de Jain, une sorte d’aventure autour des choses qui lui sont arrivées dans sa vie. Ce qui se rapproche un peu plus de ce que l’on entend habituellement par un récit d’aventure.
Mais il y a aussi toute la partie sur les Solicitines, les femmes à barbe, qui n’aurait pas dû être là. Cela devait arriver plus tard, beaucoup plus tard dans la séries, mais Cartoon Books me publiait à l’époque, et ils tenaient à ce que je change l’histoire. Ce qui fait que j’ai arrêté ce que je faisais, j’ai sorti l’histoire du contexte et … j’aimerait pouvoir retirer ces sept chapitres et les replacer où ils devraient être. Vous savez, Brambly Hedge, les sept premiers chapitres, et ensuite passer directement au chapitre quinze et ainsi de suite, de la manière dont cela aurait dû être.

XG : L’histoire est bien entendu basée sur les contes de fées, et j’ai l’impression qu’elle a plus à avoir avec, disons, une tradition Anglaise qui remonterait à Lord Dunsany, plutôt qu’une tradition Américaine avec le Conan le Barbare de Robert E. Howard. C’est aussi la différence que je vois entre votre travail et le Cerebus de Dave Sims ou le Bone de Jeff Smith, qui sont plus ancrés dans le sword and sorcery. Bien sûr, cela découle sans doute de vos études…

LM : Oui, tout-à-fait. Quand je lisais ce que j’ai utilisé comme base — toutes les vieilles histoires de Grimm, et quand je pouvais, les version originales. Beaucoup de ces histores viennent à l’origine de la région Tchécoslovaque, et en effet, d’Europe. Et même si j’ai lu Conan — je n’étais pas vraiment intéressée par le sword and sorcery. J’étais plus attirée par une sorte de … magie domestique.

XG : Oui, Conan traite principalement d’accomplissement personnel, alors que votre travail tourne plus autour des petits miracles de la vie quotidienne — en effet, une sorte de magie domestique.

LM : Oui, je pense que c’est simplement, pour moi, la manière dont je suis et d’où je viens, c’est ce qui m’attire. Peut-être parce que je n’ai jamais rêvé de partir tuer un dragon, ou quoi que ce soit d’incroyablement héroïque. Mais plutôt de faire des choses … plus petites. Le genre de choses que personne ne remarque jamais vraiment, mais qui au final se révèlent former quelque chose de grand et d’héroïque.

XG : Un autre aspect qui est très présent, c’est le fait qu’il y a de la magie un peu partout, ne serait-ce qu’avec les personnages mi-humains, mi-animaux, et que personne ne semble s’en étonner. C’est comme si cela appartenait à l’ordre normal des choses, et c’est très rafraichissant. Dans Bilbo le Hobbit, par exemple, les choses commencent normalement, et puis l’on part «là où sont les dragons», et quand ils reviennent c’est en ayant découvert quelque chose de radicalement différent. Dans votre travail, cela fait partie de la vie quotidienne, et les gens l’acceptent très facilement…

LM : Oui, ce que je voudrais que les gens retirent de ce livre — une chose que je sais, c’est que dans le livre les gens font parfois référence à «oh, ça s’est passé durant la guerre». Quelque chose qui s’est passé à un moment, mais qu’ils ont tous plus ou moins accepté, et aujourd’hui c’est quelque chose que l’on connait. Il y a des gens qui ont des couleurs de peau différentes, tout autour de vous. Très souvent, dans les histoires fantastiques habituelles, il y a une race nouvelle, et — dans Château l’Attente, c’est déjà arrivé.

XG : De ce que je connais des versions originales des contes de fées, c’est que — elles sont plutôt sanglantes, se terminent souvent mal, et ne constitueraient certainement pas des «lectures familiales» selon les critères d’aujourd’hui. Quels éléments en avez-vous tiré ? Ou bien vous en êtes-vous servi comme base pour développer votre propre vision ?

LM : C’était — un peu des deux, en fait. Parce que je — dans mon esprit, il y a cette motivation, et je sais que dans le volume III il va y avoir un peu de cela, ou au moins une référence à un épisode très sanglant. Les gens que je connais me disent tous «Personne n’est jamais méchant, il n’y a pas …», et je leur réponds «en réalité, si». Il y a eu une guerre terrible dans le passé, une — je veux dire, mon père a combattu durant la Seconde Guerre Mondiale, et il n’a jamais voulu en parler ensuite. Et beaucoup de gens sont comme cela, ils ont fait la guerre, et ils préfèrent ne pas se remémorer la partie la plus atroce. Et j’essaie de faire la même chose — des choses atroces se sont passées, et parfois on en entend parler, mais c’est bien comme ça. Ce n’est pas présent tout le temps, mais c’est ce que je voulais.

XG : Vous mélangez aussi ces histoires traditionnelles avec des éléments plus originaux. Je ne me souviens pas avoir lu quoi que ce soit parlant de cirques ambulants ou de femmes à barbe…

LM : Mais il y avait des femmes à barbe — c’est quelque chose qui m’a vraiment surprise, c’est une histoire de Grimm. Et cette histoire de Grimm se base sur une Sainte qui a été retirée des registres Catholiques en 1968. Et il y a des églises — il y en a une en Angleterre, il en reste quelques-unes en Italie, et des histoires en Amérique du Sud qui parlent du même sujet. C’est un peu comme mettre le doigt dans l’engrenage, on commence — j’ai lu l’histoire originale de Grimm, et quand j’ai commencé mes recherches, il en est sorti de toutes parts. Que vous le croyez ou non, je n’ai pas inventé les femmes à barbe. Les gens croyaient en cela — et personne ne le remettait en question ! Mais pour le cirque … tout simplement j’aime les cirques, il fallait que j’en mette un dans l’histoire.

XG : Pour ce qui est de votre dessin, on peut trouver des similarités avec les travaux de Charles Vess ou Craig Russel. Font-ils partie de vos inspirations ?

LM : En réalité, et bien que j’aime autant le travail de Charlie que celui de Craig Russel, c’est plus qu’ils ont les mêmes influences que moi, qui viennent de l’illustration du début du siècle. Quand je regarde leur travail, je peux voir quand ils ont été influencés par les mêmes artites. Comme Kay Nielsen, par exemple qui est un illustrateur Danois, je crois, du début du siècle…

XG : Le courant Art Nouveau.

LM : Oui. Et c’est tout simplement superbe. Et ce que je fais aujourd’hui pour voir si j’ai fait des progrès, je regarde ces travaux et je me dis — je n’ai pas le niveau, pas encore.

XG : Puisque l’on parle de Charles Vess — auriez-vous apprécié de travailler avec Neil Gaiman sur Sandman ?

LM : Je ne sais pas si j’aurais aimé travailler sur Sandman… je dois dire que ça me plaisait au début… Mais désolé Neil, mais dans les derniers chapitres, il n’y avait rien qui m’attirait vraiment. Je préférais quand c’était plus sombre, quand Mike Dringenberg travaillait dessus, c’était super. Ca n’aurait pas allé avec mon style, par contre.

XG : Vous avez mentionné des projets que vous vouliez faire, sans pouvoir à cause du travail sur Château l’Attente. Que pouvez-nous vous dire à leur sujet ? Les avez-vous tous mis de côté, ou travaillez-vous dessus de temps en temps ?

LM : Je continue à travailler dessus, chaque fois que j’ai un peu de temps libre. J’ai réécrit un certain nombre d’histoire sur le Wizard of Oz, en faisant la même chose qu’avec Château l’Attente et les contes de fée. Il y a beaucoup de choses qui sont plus ou moins laissées en suspens dans le récit de Baum, et pendant les trois ans où j’ai fait une pause sur Château l’Attente, je me suis dis : «bon, et si ça et ça de nouveau étaient arrivé ?» Et j’ai donc effectivement mis en place environ neuf chapitres et j’ai commencé à dessiner. Mais je ne suis pas certaine de vraiment les faire, parce que je voudrais les travailler en couleur, et c’est quelque chose de difficile à obtenir, du moins pour moi. Peut-être que je le ferai sur Internet ou quelque chose du genre, je ne sais pas.

XG : Passons à la question inévitable — dans quelle mesure pensez-vous que le fait que vous soyez une femme transparait, ou a un impact sur votre travail ?

LM : Je pense qu’aux Etats-Unis, on n’est pas beaucoup respectée. C’est une industrie d’hommes. Même quand je faisais le Trilogy Tour, avec Jeff et Charlie, j’entendais tout le temps, «eh bien, c’est Jeff Smith et Charles Vess et un autre type». J’essayais de l’ignorer. Et maintenant je regarde autour de moi, et on dirait qu’il y a tout un tas de filles, de femmes qui se lancent dans les conventions et dans le comics, et qui n’ont pas à affronter les dix ou vingt années de «ce n’est pas un truc de femme». Elles croient en leur potentiel, et c’est super pour elles de pouvoir venir et dire «je veux faire de la bande dessinée».

XG : Pour finir, Château l’Attente a reçu un très bon accueil en France, comment percevez-vous cela ?

LM : Je suis plutôt surprise, vraiment. Je n’avais jamais réalisé que cela pourrait être aussi bien accueilli ici. J’étais un peu inquiète, parce que comme je l’ai dit, j’utilise des contes de fée Européens, et je pensais que les gens seraient plus négatifs. Vous savez, une Americaine qui ose reprendre des histoires Européennes. Mais je suis vraiment contente. De ce que j’en vois, je pense que les gens en France comprennent ce que je fais. Et ça me fait plaisir.

[Entretien réalisé à Paris, le 22 Janvier 2008.]

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Entretien par en avril 2008