Maarten de Man
Son entretien avec Voitachewski a donné à Lucas Méthé l'idée d'interroger certains de ses collaborateurs de la revue Tchouc-Tchouc. Deuxième de ces entretiens avec Maarten de Man, dessinateur des Pays-Bas, dont on peut voir le travail sur Tumblr et dans Tchouc-Tchouc n°7.
Lucas Méthé : J’étais très content de mettre de tes dessins dans Tchouc-Tchouc. Mais dans la vie réelle nous ne nous connaissons pas, et je ne peux pas vraiment imaginer quel âge tu as. Fais-tu des dessins et des bandes dessinées depuis longtemps ?
Maarten de Man : J‘étais un adolescent très malheureux jusqu’à ce que je découvre que j’adorais dessiner. C’était en 1974 … et me voici en 2019, toujours en train de dessiner. Bien sûr, il s’est passé pas mal de choses entre-temps.
Mes premières inspirations étaient en effet les bandes dessinées, ainsi que les pochettes de disques, les films de science-fiction, etc. Je me souviens d’avoir écouté des groupes comme Pink Floyd et Tangerine Dream tout en rêvant, en imaginant un monde que j’essayais de dessiner. Quelques années plus tard, je fus admis à l’Académie des Beaux-Arts, et ce monde fantastique s’est effondré. Mes goûts musicaux ont changé, passant de groupes symphoniques comme Pink Floyd à des groupes Punk et New Wave. Toute mon ambition devint d’aller à la découverte de l’art. J’ai commencé à peindre de façon “sauvage et expressive”, au contraire de ce que j’avais fait auparavant.
Après avoir quitté l’Académie des Beaux-Arts, j’ai tenté de gagner ma vie d’artiste avec plus ou moins de succès. Mes dessins rêveurs et fantastiques d’adolescence étaient une chose du passé, oubliés dans un tiroir où mes parents les conservaient encore. Des années plus tard, lorsque j’ai vidé la maison après la mort de mes parents, je les ai retrouvés. Les choses ne s’étaient pas si bien passées, et, troublé, j’ai compris que ces vieux dessins signifiaient désormais beaucoup plus pour moi que tout l’ambitieux travail d’art qui avait suivi. J’avais essayé d’être un artiste professionnel et je me rendais compte que je m’étais perdu en chemin…
D’une certaine manière, ce fut un tournant, j’ai cessé de me voir en tant qu’artiste. J’ai commencé à travailler dans un hôpital, à suivre des cours, je suis devenu infirmier et j’ai travaillé très dur pendant de nombreuses années. Lentement j’ai recommencé à dessiner … Les dessins que je publie sur Tumblr ont été réalisés depuis cette période jusqu’à récemment. Je ne me sens maintenant plus relié au travail qui précède cette nouvelle période.
Et me voici donc à 61 ans, essayant de ne pas perdre une autre fois ce garçon de 16 ans que je fus. (J’aime les chiffres.)
Lucas Méthé : As-tu déjà publié aux Pays-Bas ? Ou peut-être auto-publié ?
Maarten de Man : Je ne suis pas bon en tant qu’éditeur… J’ai fait quelques livres à 5 ou 10 exemplaires, je ne les ai jamais vraiment publiés.
Lucas Méthé : Travailles-tu parfois (ou peut-être toujours) à de longues histoires ? Les cases qu’on peut voir sur ton site sont-elles issues de récits achevés ? Ou sont-elles comme des bribes de bandes dessinées qui n’existent qu’en imagination ?
Maarten de Man : Une histoire complète, je rêve encore d’y arriver… Parfois je vois toutes mes tentatives comme un puzzle géant avec lequel je me bagarre. C’est incomplet, inachevé, j’ai l’impression d’être coincé dans une phase de pré-production, essayant toujours de comprendre quels sont mes concepts.
Lucas Méthé : N’aimes-tu que ce soit ainsi ?
Maarten de Man : Peut-être que j’ai accepté d’être perdu et que mes dessins ne soient rien d’autre que quelques souvenirs de toutes mes pérégrinations…
Lucas Méthé : Il y a une atmosphère de rêve dans ton travail, quelque chose de très doux. Te reconnais-tu dans cet univers ? Aimerais-tu vivre dans tes paysages, peut-être avec les animaux que tu dessines ?
Maarten de Man : J’ai une tendance à regarder les choses de façon passive et contemplative. La façon dont j’aborde le dessin me semble plutôt correspondre à « l’exploration » d’un monde qu’à sa création. Bien sûr, j’essaie toujours d’en être le directeur mais personne ne m’écoute. Pour la plus grosse part, ce monde et ses personnages semblent établir leurs propres règles. Alors, bon, très bien, faites ce que vous voulez… Ça reste un monde vague, inconstant. Il faut beaucoup d’efforts pour le rendre un peu plus substantiel, tout en se demandant si cela l’améliore. Mais oui, je me reconnais dans ce monde, beaucoup.
Lucas Méthé : Comment est la vie à ‘s-Hertogenbosch (Bois-le-Duc) ?
Maarten de Man : C’est une ville historique, vous savez, la ville natale du célèbre peintre du Moyen Âge [Jérôme Bosch]. Elle est en perpétuelle et agaçante construction et reconstruction. Si on laisse simplement les maisons en place, vous n’avez pas à les déterrer plus tard — c’est mon avis. Donc, la municipalité de Bois-le-Duc et moi allons chacun de notre côté…
Lucas Méthé : Aimes-tu d’autres dessinateurs ou bandes dessinées ? Peut-être des bandes dessinées des Pays-Bas ? Peut-être des choses anciennes ?
Maarten de Man : Mes voisins ont des chiens, quand ils sortent les promener je leur dis que je promène mon « chien intérieur ». Je n’ai pas non plus d’enfants mais j’essaie d’élever mon « enfant intérieur », ce qui est assez problématique, il a un goût pour les bandes dessinées que je ne suis pas toujours en mesure de suivre. J’espère que ça s’arrangera et vieillissant et qu’il deviendra plus sage.
Quoi qu’il en soit, il y a environ cinq ans, mon intérêt pour la bande dessinée a recommencé à croître, ma collection de bandes dessinées a commencé à s’étendre, conquérant lentement étagère après étagère (où cela va-t-il se terminer…). Je sens que je peux en apprendre beaucoup. Cela a changé mon attitude envers le dessin, cela m’a fait prendre conscience du fait que je manquais de beaucoup de compétences — alors — retour à l’école. Je pense que le Philémon de Fred est à l’origine de ce retour, bientôt suivi de tout ce que j’ai découvert, et qui figure plutôt dans ce que j’appellerais le département science-fiction / fantastique…
Des bandes dessinées des Pays-Bas… J’aime Marten Toonder, un grand conteur. C’était un grand nom aux Pays-Bas, il est décédé en 2005, maintenant il est un peu oublié. Je ne sais pas si vous en avez entendu parler. Bien sûr je dois mentionner Tobias Schalken, mon ami et voisin de ville.
Lucas Méthé : Sur le tumblr Phantatura on peut voir quelques belles peintures…
Maarten de Man : La peinture… Il semble que je reprenne lentement, je ne sais pas trop quoi en penser encore…
Lucas Méthé : Que veut dire “Phantatura” ?
Maarten de Man : Phantatura… ou Phantatura Station… J’ai demandé à Kluh le Chroniqueur, qui est une sorte de monsieur je-sais-tout dans mes histoires. Il dit que c’est un refuge, une petite cabane dans le désert, très difficile à trouver… mais je ne devrais pas vous le dire parce que c’est une info secrète ! « Il ne figure sur aucune carte ; les vrais endroits n’y sont jamais. » (Herman Melville)
[Entretien réalisé en novembre 2019]
Super contenu ! Continuez votre bon travail!