Marko Turunen
Marko Turunen, depuis Lahti, glaciale petite bourgade de Finlande, réinvente sa vie et son histoire d'amour à l'aide d'images d'un noir et blanc très dense.
L’imaginaire de Marko Turunen, rempli de superhéros et de créatures étranges, est l’envers onirique d’un quotidien de solitude, hanté par la peur de la mort. Intrus, sorte de Roswell miniature en plastique, est ainsi percé d’un trou dans la tête qui fait écho à la blessure par balle dans la hanche que reçut accidentellement Turunen, enfant. Quant aux temps contraires dans lesquels évoluent Intrus et son amoureuse R-Rapparegar, condamnés à avancer dans deux directions opposées, ils font écho à la tumeur au cerveau qui entraîne inéluctablement
Jeanine Floreani : Comment avez-vous découvert la bande dessinée ?
Marko Turunen : Enfant, j’ai trouvé un Spider-man dans une librairie d’occasion et ce fut un choc. Les couleurs, les dessins, les aventures… j’étais sous le charme. La bande dessinée finlandaise était peu présente à l’époque et même si je lisais quelques titres comme les Moomins, rien n’égalait à mes yeux les récits de superhéros. Pas même Tintin ou Donald Duck, que je lisais également. Et quand, en 1984, les X-men ont déboulé en Finlande, j’ai eu envie de devenir à mon tour dessinateur de bande dessinée.
JF : Aujourd’hui, vous exploitez beaucoup la culture du comics, néanmoins on peut clairement sentir une forme d’ambivalence dans votre rapport à ce genre populaire.
MT : Autant le dessin et les couleurs me semblent toujours exceptionnels, autant je ne supporte plus les intrigues. D’une certaine manière, on peut voir dans mon travail une approche qui consisterait à faire vivre à des figures superhéroïques des aventures telles que j’aimerais lire en tant que lecteur.
JF : Comment vous est venue l’idée du double, petit Alien en plastique qui s’appellerait «intrus» ?
MT : Son nom est ambivalent, il signifie «corps étranger» et «visiteur». Il m’est venu en ouvrant un œuf en chocolat à l’intérieur duquel se trouvait un extra-terrestre en plastique. A ce moment, je me suis dit que j’étais peut-être moi aussi né dans un œuf similaire. Je me suis longtemps identifié à cet avatar, mais c’est un peu moins vrai aujourd’hui, où je me sens plus intégré à la société.
JF : Je remarque, chez beaucoup d’auteurs finlandais, la même construction, même si elle prend différentes formes. Cette construction, c’est un héros finlandais, typique de la bande dessinée finlandaise du siècle dernier, recouvert par un vernis graphique de pop culture américaine, mais un vernis craquelé, qui ne marche plus.
MT : C’est vrai que les dessinateurs de ma génération ont fortement baigné dans la culture comics. Nous avons grandi dans les années 80, une époque durant laquelle il se disait que la Finlande était le plus américain des pays étrangers. Rien ne trouvait grâce en dehors des superhéros. Désormais cet engouement s’est largement effrité, et il règne même une certaine forme de défiance quant à la culture américaine en Finlande. Nous n’y croyons plus beaucoup, et nous trouvons ça cheap. C’est peut-être ça que nous exprimons sans vraiment nous en rendre compte. De la même manière, si cette image revient dans diverses œuvres de la scène finlandaise, c’est probablement parce que nous sommes un petit groupe d’auteurs qui travaille perpétuellement ensemble, au sein de structures éditoriales que nous avons le plus souvent montées nous-mêmes. Les influences circulent forcément des uns aux autres et prennent alors des formes personnelles chez chacun d’entre nous.
Ceci dit, il existe également une génération d’artistes qui eux épousent sans ambiguïté les codes de la bande dessinée américaine, mais ils ne jouissent pas de la même reconnaissance que nous, et nous jalousent un peu, je crois.
JF : Votre écriture, d’un point de vue critique, peut être observée comme la synthèse d’un siècle de bande dessinée finlandaise. La couche quotidienne et triviale du finlandais moyen, gentil mais naïf. Par-dessus repose la couche des références à la pop culture américaine, elle qui supplanta la tradition nationale par ses faibles coûts. Et enfin par-dessus la ligne de la bande dessinée underground surgissant à la fin du siècle.
MT : C’est probablement vrai, je n’y réfléchis pas. Ceci dit j’aurais du mal à vous contredire. Ce dont je suis certain, c’est que nous sommes dans une époque de reconquête ou de récréation d’une identité de bande dessinée finlandaise, même si aucun d’entre nous ne le fait consciemment, ni n’a de projet artistique à ce sujet. Cela se fait de manière naturelle, comme un reflexe à notre époque. Et c’est observable, pour celui qui prend du recul.
JF : Comment définiriez-vous votre écriture ?
MT : Pour moi, écrire c’est s’attacher à flatter les contrastes les plus forts. Je joue avec des éléments de la culture populaire et d’autres éléments plus savants comme l’autobiographie. Je viens d’un milieu populaire où la culture et le bon goût n’étaient pas vraiment présents. Ma chambre était peinte de sept couleurs différentes, c’est vous dire. Et je vous passe la taille de l’horloge accrochée au mur du salon de ma mère. Non, je crois que je reste attaché à ce choc de mes études supérieures, durant lesquelles je découvris tout un pan de la création artistique, sans pour autant m’y diluer totalement. Je n’ai jamais réussi à me fondre dans ce moule non plus, et depuis je reste en suspens entre ces deux approches artistiques que j’essaie de faire résonner.
JF : Quels sont vos prochains projets ?
MT : En ce moment je travaille sur La Vie de Marko Turunen, qui paraîtra en Finlande cette année. Mais c’est un projet de longue date. A l’occasion d’un déménagement, au début des années 90, je suis allé chercher mon registre de naissance à l’église. Et la personne qui tenait les registres m’a demandé lequel des cinq Marko Turunen présents dans les registres j’étais. Tant d’homonymes dans une si petite commune, j’étais scié.
Du coup, à partir de cette époque, j’ai commencé à en chercher autant que possible. Pour ce livre, j’ai traqué une cinquantaine de Marko Turunen différents. Certains exercent des métiers dans lesquels je me verrais bien ou que j’aurais aimé faire. D’autres ont carrément réalisé mes rêves, comme ce Marko Turunen qui travaille comme guide de safaris en Afrique. J’ai adoré voyager en Afrique pendant huit mois pour voir comme c’était la vie là-bas.
Pour ce livre, j’ai rassemblé les histoires de ces Marko Turunen, sauf que c’est un seul et même personnage nommé Marko Turunen qui les exerce en même temps.
JF : Pour finir, comment se porte le marché en Finlande ?
MT : C’est assez dur. Beaucoup de petites enseignes ferment, les maisons d’éditions sont de plus en plus en danger, ralentissent leur programme de parutions, et n’ont plus les moyens d’aboutir leur projet. Il y a cinq ans, un livre pouvait aisément trouver 800 à 1000 acheteurs. Désormais, la moyenne des ventes tourne autour de 300. J’ai pour ma part abandonné l’idée de publier Inside Moebius car il m’aurait fallu 30 000 euros de financement. Quant à Tommi Mutsuri, je ne suis pas allé chez lui mais j’ai entendu tellement de rumeurs folles au sujet des piles d’invendus qui envahissent sa maison…
Super contenu ! Continuez votre bon travail!