Ugo Bienvenu

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Du clip réalisé pour le Fog de Jabberwocky jusqu'aux pages publiées dans la cinquième livraison de Franky (et Nicole) chez les Requins Marteaux, on avait repéré le trait particulier d'Ugo Bienvenu, et son attachement pour une science-fiction résolument rétro. Un univers que l'on retrouve dans Paiement Accepté paru chez Denoël Graphic en 2017.

Xavier Guilbert : Pour commencer, ce qui m’a amusé dans Paiement accepté, c’est la biographie qui se trouve à la fin du livre. Elle est assez longue, elle explique que tu as une formation en animation, que tu as suivi tel et tel cours, que tu as participé à tel et tel projet, et la dernière ligne indique que tu es aussi auteur d’albums de bande dessinée. Ce qui est un peu incongru, finalement, puisque l’on tient l’objet en question entre ses mains. Donc en effet, tu viens de l’animation, tu as fait l’Ecole Estienne…

Ugo Bienvenu : Oui, je l’ai fait en illustration, en DMA [Diplôme de métier d’art]. Enfin, j’ai commencé en STI [Sciences et technologies industrielles] Arts Appliqués, à quinze ans. Après, j’ai fait un DMA illustration à Estienne, puis je suis entré aux Gobelins en animation. Je suis parti la troisième année aux Etats-Unis pour apprendre l’animation expérimentale à la Cal-Arts [Californian Institute of Arts], et en revenant j’ai commencé à travailler, j’ai commencé à réaliser, mais j’avais envie de continuer à faire de la recherche — parce que les études, c’est aussi le lieu de la recherche. Je suis entré en post-diplôme aux Arts Décoratifs de Paris. Et une fois que j’ai fini ça, en même temps que je produisais mes films et tout ça, j’ai vraiment fini ma formation en production, dans une formation européenne qui s’appelle l’ASF [Animation sans frontières] : on va dans quatre écoles situées un peu partout en Europe, pour apprendre les modèles économiques liés aux montages des films ; comment financer ses films dans le milieu européen ? Dans un milieu un peu hostile et… sympathique.

Xavier Guilbert : Beaucoup d’animation en effet — tu vas faire l’un de tes premiers stages chez Les Requins Marteaux, avec Winschluss. C’était il y a un petit moment, d’ailleurs.

Ugo Bienvenu : Ouais, c’était il y a dix ans, j’étais fan de Winschluss, et je m’étais dit — il avait plein de projets sur lesquels on pouvait travailler en tant que stagiaire dans différentes sociétés. Moi, je préférais aller sur des projets avec des financements moins gros, et où ce que je pouvais faire était plus important que dans d’autres sociétés, qui avaient moins besoin de mon apport. Et je voulais que ce film, qui s’appelait Les huiles Mérolles, voie le jour.

Xavier Guilbert : Tu es très investi dans l’animation alors que tu as commencé dans l’illustration, et j’ai l’impression que petit à petit le dessin revient progressivement : tu fais des illustrations pour un livre en 2009, des affiches de films, puis ta première exposition de dessins en 2012.

Ugo Bienvenu : En fait, je fais du dessin animé, et le dessin est vraiment partout, tout le temps. Quand je fais du dessin animé — chaque image, je la dessine, donc ça reste toujours du dessin. Mon dessin, en animation, est assez proche de mon dessin en bande dessinée, en affiche, en presse, en story-board, etc. Le dessin, c’est vraiment le centre de mon travail, il a toujours été là. C’est juste qu’il va plus vers le « print », maintenant, que… parce que je me focalise plus là-dessus, aussi.

Xavier Guilbert : Je n’ai pas eu l’occasion de visiter ces expositions quand elles se sont tenues, mais tu en as publié pas mal d’extraits sur ton site. Ce qui me marque, c’est que même si l’une des expositions de dessins s’appelle « fragments », on a l’impression de choses qui restent quand même toujours assez narratives. Il y a toujours des liens, il y a parfois des textes — c’est une manière de partir de l’animation et de la fragmenter ? Une évolution progressive qui irait, non pas un story-board, mais quelque chose d’intermédiaire ? Ça correspond à quel type d’envie ? D’autant plus qu’étant actif dans l’animation, il n’y a pas de frustration… ou peut-être y en a-t-il ?

Ugo Bienvenu : Non, je fais tout pour ne jamais être frustré. Les expositions, c’est le lieu pour moi, en fait — et je l’ai appelée « fragments » parce que depuis toujours, je pense que ce qui fait ce que l’on est, c’est ce que l’on isole, nous, c’est ce qu’on sélectionne dans le réel et ce qu’on décide de transformer, au travers de notre manière de vivre. Ce que j’aime bien quand je fais une exposition, c’est que c’est plus donner à une image un lieu, et révéler une image qu’on a pensée. C’est comme les peintres, ils s’attachent à un détail, et ils nous révèlent ce détail-là. Ce que j’essaie de faire, quand je fais des expositions, c’est un travail un peu différent de la bande dessinée ou de l’animation, mais qui participe un peu de la même approche.

Xavier Guilbert : Oui, le fait qu’il y ait du texte et des motifs récurrents, on n’est pas tout-à-fait dans l’image unique. Les choses se mettent en réseau. Et même dans les différentes expositions dont tu montres des images, il y a des choses qui reviennent, quelque chose qui s’installe.

Ugo Bienvenu : Oui, parce qu’on a tous, je pense, des obsessions qui nous sont propres, et que notre champ, on va dire, au début il est comme ça, et puis il s’élargit. Il reste autour d’un même cercle, mais tout simplement il gonfle au fur et à mesure, j’ai l’impression.

Xavier Guilbert : Une chose que l’on aperçoit bien dans ces premiers dessins, c’est le style assez particulier que tu adoptes. J’ai vu une vidéo dans laquelle tu montres comment tu dessines, en utilisant un bic, ce qui n’est pas forcément un outil que l’on utilise souvent — ce n’est pas un matériau « noble » par rapport au travail du dessin.

Ugo Bienvenu : Le bic, ce que j’aime bien, c’est que l’on ne peut pas tricher. Avec un pinceau, le pinceau a sa matière à lui, et il nous aide, mais en nous aidant il nous limite vachement, parce que… parce qu’il a déjà son écriture propre. Et j’aime bien travailler avec des objets qui n’ont pas d’empreinte, et qui me permettent — enfin, voilà. Sauf qu’il ne faut pas tricher, on est un peu tout seul. Et réussir à être juste avec un outil justement un peu pauvre, je trouve ça intéressant.
Là maintenant, je travaille de plus en plus avec le pinceau. Déjà, parce que ça va plus vite, et que j’ai un peu moins le temps. Mais aussi parce que maintenant, je me sens beaucoup plus libre dans mon dessin, parce que je me suis colleté tous les problèmes — beaucoup de problèmes en tous cas, et il m’en reste beaucoup et c’est génial — mais j’ai plus d’aisance. En tous cas, je me pose moins de questions anatomiques, je me pose moins de questions d’ordre technique, quoi. Je me pose plus des questions du cadrage ou de thème.

Xavier Guilbert : Puisque l’on parle de thème, il y a dans ton travail un rapport à la science-fiction qui s’inscrit dans une vision très rétro — avec la double particularité des pages que tu as pu faire dans The Parisianer : The Parisianer est un projet d’auteurs qui consiste à imaginer des couvertures pour une revue qui porterait ce nom, et qui est calquée sur les couvertures du New Yorker, l’hebdomadaire new-yorkais (comme le nom l’indique), dont la directrice artistique n’est autre que Françoise Mouly, madame Art Spiegelman.

Ugo Bienvenu : Ah, je ne savais pas du tout.

Xavier Guilbert : Françoise Mouly invite donc les plus grands auteurs de la bande dessinée alternative américaine à participer. Art Spiegelman en a fait partie, mais on y retrouve souvent Chris Ware ou Adrian Tomine, pour ne citer qu’eux. Pour revenir au projet du Parisianer, je trouve assez amusant d’avoir cette revue imaginaire, et d’y joindre ton travail empreint d’une science-fiction rétro, qu’on pourrait dater dans les années 1960-1970.

Ugo Bienvenu : Oui, parce que ce que je pense, c’est que la science-fiction se base toujours sur ce qui existe déjà. Par exemple, on a des meubles chez nous qui datent des années, allez, début 2000 et souvent avant, ou même des années 1950, et je pense que la condition d’existence du futur, c’est l’intégration de son passé. J’essaye toujours de construire mes images sur de l’existant, parce que quand on fait quelque chose, que ce soit un film ou une bande dessinée, on fait un pacte avec le spectateur : il faut lui donner du réel, pour qu’après il adhère à ce qui ne l’est pas. En tous cas, qu’il vienne vers le récit, qui l’emmènera peut-être ailleurs. Mais le pacte est hyper-important pour moi, surtout quand on fait de la science-fiction. Sinon, on est dans quelque chose où on est dans un espace flottant, où on ne sait pas où mettre notre pied et comment circuler dans ce récit.

Xavier Guilbert : Un autre élément qui revient aussi, c’est le rapport à une forme de sensualité et les corps. Ce dessin est tiré d’un livre Ad Libido

Ugo Bienvenu : Oui, avec Frédéric Poincelet, qui m’a invité sur ce livre.

Xavier Guilbert : Il y a aussi l’affiche que tu as faite pour le festival XXX. Il y a ce rapport au corps, en particulier féminin, que l’on retrouve en pointillé chez toi.

Ugo Bienvenu : Oui, je trouve que ce qu’il y a de plus beau dans le monde, c’est les femmes. C’est ce que j’aime le plus dessiner, et c’est ce qu’il y a de plus beau, c’est ce qu’il y a de plus difficile, avec les mains et les chevaux. C’est très étrange (rires). Il y a un truc très étrange là-dedans. Mais non… je ne sais pas, c’est juste une fascination, et puis… voilà.

Xavier Guilbert : J’ai parlé du premier livre que tu as fait en bande dessinée. C’est Sukkwan Island, l’adaptation d’un roman de David Vann. Il me semble que c’est ton éditeur qui t’a proposé le projet, alors que tu n’avais pas vraiment fait de bande dessinée avant…

Ugo Bienvenu : Non, je n’en avais pas fait du tout.

Xavier Guilbert : Je me demandais si ce n’est pas le truc le plus casse-gueule qu’on peut aborder, dans le sens où c’est une adaptation, donc c’est utiliser un langage de bande dessinée pour quelque chose qui est déjà écrit…

Ugo Bienvenu : Oui, qui vient d’un autre média.

Xavier Guilbert : … alors que tu ne maîtrises pas forcément l’outil. Et puis c’est aussi un projet assez long, je ne sais plus combien il y a de pages.

Ugo Bienvenu : Deux cents, deux cent trente, oui.

Xavier Guilbert : C’est donc un projet au long cours, ce n’est pas comme adapter une nouvelle de cinq pages. Comment as-tu abordé cela ? Avec enthousiasme, ou as-tu eu des moments où tu t’es dit : « mince, dans quoi je me suis embarqué ? »

Ugo Bienvenu : Non, en fait, quand Jean-Luc Fromental (qui est dans la salle) m’a contacté, on s’est rencontrés. J’écrivais pour l’animation, je venais de réaliser plusieurs films, dont un qui s’appelait Maman, qui était sur la famille, et sur comment on pouvait exercer sa violence. Où est-ce qu’on pouvait exercer le mieux sa violence ? c’était, dans mon film, la famille, parce qu’on était plus précis que dans n’importe quel autre cercle. Je pense que c’est — je ne sais pas si je me trompe, Jean-Luc, mais c’est après ça que tu m’as tendu ce livre en me disant : « bon, vu ton travail, je pense que ça va te plaire, et si ça t’intéresse, on peut en faire un livre. » Je l’ai lu, j’y ai retrouvé toutes les thématiques que j’avais déjà développées, et des thématiques que je voulais développer. Ça m’a révélé des choses, et je me suis dit : « je peux investir ce texte, je peux trouver… » J’avais des espaces où me mettre, et porter ma propre voix. Pour le côté peur ou quoi, quand on a la confiance de Jean-Luc, je pense qu’on n’a pas vraiment… moi, j’ai parié sur sa confiance, et je me suis dit que s’il me disait que c’était bon, je pouvais le faire. Et voilà.

Xavier Guilbert : C’est aussi un livre qui n’a pas un thème qui est aussi évident que cela à traiter. C’est un père qui récupère son fils alors qu’il est séparé de sa femme, et qui s’est mis en tête de s’installer dans un coin absolument perdu de l’Alaska, dans le grand Nord, et de vivre dans une sorte de cabane en rondins au fond des bois, et de passer…

Ugo Bienvenu : … un an, avec son fils.

Xavier Guilbert : Et bien sûr, le fils qui est un ado, n’est pas vraiment enthousiasmé par la chose. Il y a tout un huis-clos dans les grands espaces (ce qui est en soi assez étonnant) qui s’installe, et qui va prendre un tournant absolument terrifiant. Ce n’est pas forcément un sujet vers lequel on va, la fleur au fusil…

Ugo Bienvenu : Ah si, justement, parce que j’aime bien quand c’est brut, quand c’est des petits cailloux, c’est des petits diamants, et il faut les polir juste ce qu’il faut pour leur donner leur éclat. Il y avait toute la matière pour faire un bon livre, je le voyais, et je voyais que je pouvais faire un truc bien, quoi. Je me disais : j’ai les portes, j’ai une clé, voilà. Ce qui m’a vraiment motivé, c’était de voir ce père qui veut transmettre un truc, quelque chose à son fils, mais au fur et à mesure il se rend compte qu’il n’a rien à lui transmettre. Je trouvais que ça disait quelque chose sur — enfin, je ne sais pas si c’est sur nous, mais sur notre monde, sur : qu’est-ce qu’on va transmettre ? aujourd’hui, qu’est-ce que c’est que d’être un homme et de transmettre quelque chose à quelqu’un ? qu’est-ce qu’on a, qu’est-ce qu’on détient ? Voilà, c’est la question pour moi, de ce livre, et j’ai essayé d’orienter ça, comme ça.

Xavier Guilbert : Par rapport à cela, l’apport de Jean-Luc, le dialogue autour de ce travail, est-ce que tout cela a été l’occasion d’une transmission ? Comment s’est instaurée l’interaction avec lui ?

Ugo Bienvenu : J’ai une sorte de moteur interne qui m’empêche de montrer — j’essaie de dépasser toutes les bagnoles sur l’autoroute, en fait. Au moment où je suis sûr de ce que j’ai à proposer, je vais voir Jean-Luc. Mais je ne vais pas le voir avant, parce que je veux être sûr. Et pareil, dans tout mon travail, c’est que — je ne vais pas financer un film, si je ne sais pas que ce que je propose va tenir la route. En tous cas, si les fondations ne sont pas solides. Après, avec Jean-Luc, j’arrive avec le document, et il me dit — on discute de détails, peut-être des fois de l’ensemble si c’est le cas, mais là, dans ce cas particulier c’est ça, on a discuté de détails.

Jean-Luc Fromental : Il faut que je réponde ?

Ugo Bienvenu : Oui.

Jean-Luc Fromental : En fait, ce qui s’est passé sur ce livre, c’est qu’au départ, il y avait un adaptateur qui était prévu. C’est un garçon qui est par ailleurs connu dans la littérature, et qui avait apporté le bouquin de David Vann. Il traînait, il traînait, il traînait — c’est un quadragénaire. Il traînait, et la petite voiture rapide sur l’autoroute, un jour est arrivée en me disant : « voilà, j’en avais marre de l’attendre, et j’ai fait le story-board du bouquin. » Il y avait les deux cent trente pages du bouquin qui était faites.

Xavier Guilbert : Ça a pris combien de temps, justement ?

Jean-Luc Fromental : Ça a été super rapide.

Ugo Bienvenu : En un mois et demi ?

Jean-Luc Fromental : En deux mois, il avait plié le truc. Il s’était cogné, sans que je lui demande rien, sans que je lui donne un rond, le story-board, et il est arrivé avec ça. Là, il y a eu une gêne terrible avec ce mec qui était pressenti pour faire le scénario, qui a très bien compris, parce que c’est un garçon intelligent. David Vann est arrivé, et on a montré à David, l’auteur original, le story-board, et il s’est tourné vers son copain qui devait être l’adaptateur, et lui a dit : « ben qu’est-ce que tu fous là-dedans, toi ? c’est fait ! » Et donc Ugo est parti sur son story-board.

Ugo Bienvenu : Et le story-board a pas bougé des masses. On a changé deux-trois cases, et j’ai enlevé pas mal de dialogues du livre, mais j’ai essayé de garder tous ceux qui étaient importants. J’ai enlevé un peu de chronologie, et c’était juste pour les isoler sur cette île. Je ne voulais pas que les gens posent le bouquin quand ils l’avaient commencé. Je voulais qu’une fois qu’on arrive sur cette île, on soit avec eux, on soit bloqué avec eux, et qu’on ne ferme le livre qu’à la fin, quand tout est fini.

Xavier Guilbert : Il est difficile de s’arrêter en chemin, effectivement. Surtout quand on arrive à la moitié, avec ce retournement terrible — on se sent obligé d’aller jusqu’au bout.

Ugo Bienvenu : On a envie d’être soulagé.

Xavier Guilbert : Ça t’a pris combien de temps, pour faire ces deux cent trente pages ?

Ugo Bienvenu : C’est un peu difficile à quantifier, parce qu’en même temps je faisais un documentaire pour Planète+, et je tournais dans un film de Mia Hansen-Love qui s’appelle Eden. Du coup, j’ai mis, je crois, huit mois à faire toutes les planches en travaillant en plus à côté. A partir du moment où on a validé le story-board.

Xavier Guilbert : Ce qui est extrêmement rapide…

Ugo Bienvenu : Oui, mais une fois que l’écriture — que l’écriture globale, que le story-board est fait, c’est du… c’est du dessin, ça va assez vite.

Xavier Guilbert : On va enfin passer à ce dernier livre, Paiement Accepté, qui est sorti l’année dernière. On change ici complètement de registre : d’une part, c’est une création personnelle, dans laquelle on retrouve peut-être une partie de ce qui est ton univers. Le récit tourne ainsi autour des questions de cinéma, de financements de film, de réalisation, de la réception des films également. Il y a là le portrait d’un monde du cinéma qui est très acide, très critique, et qui le tourne souvent en ridicule. Il y a des personnages qui sont grotesques et vulgaires, et puis tout un questionnement autour de la légitimité.
On y suit un réalisateur qui s’appelle Charles Bernet, qui sort d’un grand succès d’un film d’auteur très reconnu et un petit peu abscons, et qui décide de faire un film de science-fiction — et qui se heurte alors à l’incompréhension de son entourage.

Ugo Bienvenu : Oui, c’était pour montrer le système du cinéma, combien il est compliqué de faire des choses, même quand on a déjà beaucoup de route derrière soi, et… sur des a priori, sur de la culture, aussi. Le cinéma, c’est quelque chose qui s’auto-cultive, et qui cultive aussi une crainte de certaines formes. Faire bouger cette forme qui coûte très cher (parce qu’il y a beaucoup de personnes impliquées), ça prend du temps, et chaque projet met sa pierre dans l’espèce de transformation globale du cinéma qui est très, très lente. Je voulais faire un mec qui — voilà, il veut réussir à faire ce film, mais il a des obstacles, comme nous on en a quand on fait un livre, quand on propose un film. Je voulais surtout poser la question qui dit que oui, c’est un réalisateur, il fait du cinéma, mais en réalité, il pourrait avoir un autre métier, et les questions seraient assez similaires. On est toujours en train de gérer les gens autour de nous pour arriver à nos fins, pour arriver à faire passer nos idées, et je pense que dans n’importe quel métier il y a des questions hiérarchiques, il y a des questions d’affect, des questions d’amour du métier, d’argent… et toutes ces choses-là se mélangent, et permettent ou empêchent de faire ce que l’on veut dans la vie. Est-ce que si on arrive à passer toutes ces étapes, à chaque fois, à chaque projet, est-ce qu’à la fin, avec cette espèce de bibliothèque de projets, cette espèce de bibliothèque de vie qu’on a formée, même si on réussit tout, est-ce qu’on est heureux à la fin ? C’est ça mon postulat de départ : si moi, aujourd’hui, je réussis tout ce que je fais vraiment parfaitement, je suis Charles Bernet, et est-ce c’est bien d’être Charles ? Est-ce que Charles Bernet est heureux ? C’était un peu l’idée de base.

Xavier Guilbert : On y trouve aussi tout un petit jeu avec le discours qui entoure le cinéma, et une certaine vision du cinéma d’auteur. Il y a notamment le personnage de la femme de Charles, qui essaie souvent de le ramener sur terre, et le remet beaucoup en question sur ce qu’il fait. Tout au début du livre, elle lit son dernier scénario, et lui dit : « ‘ils disent tout.’, c’est vide et prétentieux. » Cette réplique apparaissait déjà dans l’une de tes expositions. Cela me fait revenir sur cette idée de fragments à relier, de jeu intertextuel qui existe dans ton travail.

Ugo Bienvenu : Ça monte par strates, en fait. J’essaye de ne pas jeter ce que j’ai développé. C’est-à-dire qu’à chaque projet, je ne jette pas ce que j’ai fait avant, je construis dessus. C’était une phrase que j’avais dite à un copain : « tu sais ce qu’ils disent, quand t’es pas là ? » Il me répond : « non », je lui dis : « ils disent tout. » Et j’ai trouvé que — en fait, ça trahissait énormément de choses, cette toute petite phrase. Quand je l’ai prononcée, je me suis dit : « putain, c’est… en fait, en deux lignes, tu dis un univers. » Voilà, cette phrase, je voulais lui donner un cadre, et la narration me permettait de donner un cadre à ce moment-là, et à ce tout petit fragment qui, pour moi, révèle beaucoup de choses.
Là, c’est un peu ce qu’elle est en train de lui dire, dans cette scène : en fait, ce truc-là, c’est lui qui l’a saisi, c’est lui qui l’a isolé dans le réel, et ça résonne en lui. Mais en elle, ça ne résonne pas de la même manière. Ce que j’aime, dans cette femme, c’est qu’elle ne lui pardonne rien. Elle lui dit tout, elle lui dit la vérité, et je pense que c’est ça l’amour. Cette personne, c’est ma femme, en fait : c’est la seule personne qui me dit la vérité dans la vie, la vérité crue. Elle est parfois dure. Mais si moi je suis Charles, si je veux faire ce que je fais, il faut parfois que je n’écoute pas la vérité. Il y a quelque chose qui est intéressant, là-dedans. L’homme n’aime pas trop la vérité, en réalité. Quand je dis « l’homme », c’est la femme aussi, c’est l’homme avec un grand « H ». La vérité, ce sont des entraves aussi, et pour faire des choses, parfois, il ne faut pas écouter la vérité, il faut… en tous cas, des dessins.

Xavier Guilbert : C’est un personnage qui est central, et qui revient de loin en loin. Lui part, il la quitte et va voir tout un tas de gens, puis elle réapparaît, et c’est peut-être celle qui a le regard le plus franc sur son travail. Il n’y a pas d’enjeu, si ce n’est que quand il va tourner, il disparaît de sa vie, elle ne le voit pas pendant six mois, et elle déteste ça. On trouve ici la question des sacrifices.

Ugo Bienvenu : Oui, c’est vraiment une bande dessinée sur les sacrifices que l’on est prêt à faire pour ce qu’on produit. Elle, elle fait aussi des sacrifices parce qu’elle est peintre, et qu’elle est toute seule, elle s’isole pour peindre, c’est un métier très solitaire. Lui a besoin de monde pour fabriquer, et elle — ce que j’aimais bien dans leur couple, c’est qu’ils ont deux métiers qui convergent à un endroit, mais qui en même temps les placent dans deux situations complètement différentes de vie.

Xavier Guilbert : Un aspect intéressant également de Paiement Accepté, c’est que tu t’inspires de figures réelles pour tes personnages, et pas seulement pour le physique. J’ai l’impression qu’il y a aussi l’emprunt de leur personnalité. Il y a un personnage inspiré par Donald Trump, et il est extrêmement vulgaire, notamment dans son regard sur les femmes qu’il traite systématiquement de salope / connasse / bombasse / etc. On a aussi un Depardieu qui correspond bien à l’image que l’on peut en avoir. Et puis cette figure inspirée de Jean-Luc Fromental, et qui a un rôle assez particulier, puisqu’il est un révélateur de vérité, de ce qui est important. Par rapport à la manière dont tu as décrit la relation avec lui, c’est intéressant de le voir prendre ce rôle dans le livre.

Ugo Bienvenu : Alors, pour Donald, c’est vraiment particulier, parce que je voulais à la base que mon personnage s’appelle Donald. Ce qui est très étrange. A un moment-donné, je voulais que l’argent entre en jeu dans la bande dessinée, et je ne sais pas si tu as remarqué, mais Depardieu s’appelle Gontran. Il y a un truc, je voulais qu’il y ait Riri, Fifi et Loulou, mais je me disais — bon, là ça va faire un clin d’œil un peu trop…

Xavier Guilbert : Cependant, Donald est appelé « Junior » tout le temps.

Ugo Bienvenu : « Junior », parce qu’il ne supporte pas qu’on l’appelle comme son père, pour lequel il semble avoir un mépris absolu, et parce que son père a tout perdu aux États-Unis. Il y a eu une guerre civile, et lui s’est retrouvé à arriver en bateau comme un migrant, et à vivre à Belleville dans un petit appartement alors qu’il a vécu toute sa vie dans la Trump Tower, super riche. Ce que je voulais faire, c’était un mec qui s’était fabriqué. Un mec qui avait créé une identité, qui était constamment ramené à l’identité de celui qui l’avait engendré, et qui y arrivait, qui générait quelque chose de plus intéressant que son père, et qui était en constante lutte avec lui.
En fait, ce qui est intéressant, c’est que j’avais vu une photo de Donald Trump dans un journal, je n’avais même pas lu son nom, c’était juste une photo, et à l’époque, il n’était même pas encore candidat. J’ai commencé à écrire ça il y a trois ans, donc on ne savait même pas encore qu’il allait se présenter. Je m’étais dit : « ce mec a une tête de logo. C’est un peu comme Tintin, si je le représente, on va pouvoir rentrer dedans, mettre notre esprit à sa place. » Je pense qu’il n’est pas seulement crade, il n’est pas seulement — il a aussi une forme de poésie. C’est ça que j’aime bien chez ce personnage : il aspire à beaucoup mieux, mais il n’arrive qu’à certaines choses, en fait. Il n’arrive pas à se décoller de lui-même, et Charles est un peu la personne à laquelle il s’agrippe pour se décoller de lui-même. A l’inverse, Charles a une relation hyper amicale avec lui, et revient toujours à lui. Parce que ce personnage un peu crade porte en lui beaucoup de poésie, une poésie qui est (je trouve) moins présente chez Charles.
Pour Depardieu, c’est un hasard complet. C’est-à-dire que je n’ai vraiment pas essayé de le dessiner. C’est juste que je voulais un mec qui représentait la thune, et qui — voilà, qui pesait lourd, comme ça, qui était vraiment ancré dans le sol et qu’on ne pouvait pas déplacer. J’ai juste dessiné un mec avec des grosses paluches, et je voulais qu’il soit rouge parce qu’il est tout le temps bronzé, et qu’il ait les cheveux blancs. Et en fait, c’est Depardieu, je ne sais pas pourquoi. Mais je n’ai vraiment pas fait attention.
Et Jean-Luc, c’est parce que je cherchais aussi un personnage, un peu comme Donald. Je me suis dit : mais en fait, pourquoi tu tournes autour ? Pourquoi t’essaies d’aller chercher ailleurs, alors que c’est lui, ce personnage ? C’est lui qu’il faut utiliser. Il y a un moment où le physique s’impose.

Xavier Guilbert : Donc Jean-Luc, ce n’est pas un hasard…

Ugo Bienvenu : Ah non, Jean-Luc, ce n’est pas un hasard. J’ai vraiment essayé plein d’autres personnages, et je me suis dit : non, en fait, il faut que ce soit son physique. Il faut que ce soit ce physique-là, parce qu’encore une fois, c’est ma culture, c’est moi qui mets les choses dans les personnages. Il y a un peu de Jean-Luc en lui, mais ce personnage-là c’est aussi un peu moi. Ce n’est pas entièrement Jean-Luc, mais il y a une relation entre les deux personnages qui est belle aussi.

Xavier Guilbert : Je pose la question, parce qu’effectivement, quand on commence à voir Donald Trump ou Depardieu, ou encore Jean-Luc, on en vient à se demander si on n’a pas raté d’autres personnages qui seraient inspirés de figures réelles. A un endroit, on se dit : ah tiens, on dirait Steve McQueen. Et puis Charles me dit quelque chose, mais comme je ne suis pas cinéphile… il y a peut-être quelqu’un. Cela n’a pas été ton intention ? Comme c’est un récit qui critique le cinéma, avec un univers très mondain, on pouvait se demander dans quelle mesure tu aurais peut-être voulu pousser la satire en incluant d’autres figures.

Ugo Bienvenu : J’ai inclus scénaristiquement un mec qui s’appelle Rod Paradot, que je nomme Paradot dans la bande dessinée, qui a eu un César il y a un an, qui avait fait un film qui était assez impressionnant[1]. Je m’étais dit, ce gars, il a même pas seize ans, et dans mon film ce sera — pas un vieux monsieur, mais un homme mûr. Ces jeunes qui ont tel âge, vont devenir potentiellement les grands acteurs de demain. C’est le seul truc que j’ai utilisé. Je ne voulais pas faire un livre où il fallait aller trouver toutes les références. Mais voilà, il y a les deux physiques, Donald et Jean-Luc, qui incarnent deux choses très différentes, et qui me permettaient de donner un peu de réel. Et c’est vrai aussi, par exemple Jean-Luc, je le vois souvent, donc je sais comment il bouge, je connais ses attitudes, et ses attitudes m’aident parfois à écrire les dialogues. Je ne peux pas mettre n’importe quoi dans sa bouche, alors que pour Donald, je ne le connais pas, je connais moins ses attitudes — je les connais comme vous, je ne les connais que par la télé.

Xavier Guilbert : Tu parles de ne pas pouvoir lui mettre des paroles dans la bouche, mais en fait c’est un personnage qui ne s’exprime que par machine interposée. Ça donne un contraste étonnant : c’est un peu le personnage qui va faire entendre la voix de la raison à Charles, mais dont la voix est, on l’imagine, complètement mécanique et ne lui appartient pas. Il y a aussi une forme de symétrie, ils ont tous les deux eu un accident, et alors que Charles a perdu la mobilité, lui a perdu la voix.

Ugo Bienvenu : Je trouvais ça intéressant de faire un personnage qui — c’est le personnage qui dit les choses les plus intéressantes du livre, mais il n’a plus de voix pour porter ce qu’il a à dire, et du coup, c’est une sorte de machine qui est entre lui et le monde, qui la distribue. Je ne sais pas si c’est vraiment pensé, ce truc-là, mais en fait, je trouve ça cool, comme lecture. Je le redécouvre, je l’avais oublié. (rire)

Xavier Guilbert : Si on prolonge encore, cela se passe à un moment où le réalisateur est en train de faire son film — le fameux film de science-fiction dont il rêve — il a un accident, et brusquement, il ne peut plus être réalisateur. On lui enlève son film, il ne peut plus s’exprimer de cette manière, et il est confronté à quelqu’un qui ne peut plus s’exprimer « naturellement ».

Ugo Bienvenu : Charles, c’est vraiment — à chaque fois, je me dis : quand je suis en train de faire un film, ou une bande dessinée, et que je vois que ça avance et que je suis en train de « découper la montagne », un peu, et que ça ne va pas vite. Quand on fait un truc, on avance, on sent qu’on y arrive mais ça prend du temps, et je me dis : « j’espère que je ne vais pas mourir avant de finir ce truc. »

Xavier Guilbert : C’est assez fréquent, il y a beaucoup d’auteurs qui ont ce genre d’inquiétude terrible de ne pas arriver au bout…

Ugo Bienvenu : Oui, tu te dis : « je veux juste finir ça, et après, bon, ça peut aller. » Mais en général, on commence quelque chose assez vite après pour repousser encore un peu la mort, en espérant qu’on arrivera à nouveau au bout. Moi, c’est un peu ça. Et c’est un peu ça qu’exprime le personnage. Et pareil, pour le personnage avec la voix de synthèse, c’est présent chez lui aussi, mais il est plus calme. Et il aide Charles à se calmer par rapport au monde, et à revenir plus serein. Sa femme lui redonne sa sexualité, le ramène au monde définitivement.

Xavier Guilbert : Il y a là aussi un aspect assez particulier. Au moment où elle le ramène au monde, lui se retrouve dépossédé de son film — alors qu’elle a réussi à faire des toiles, notamment de lui, rendu invalide, puisqu’il y a cette toile où il est assis…

Ugo Bienvenu : Oui, sur une banquette.

Xavier Guilbert : Pendant longtemps, on a l’impression que c’est elle qui le ramène vers le réel, qui n’hésite pas à dégonfler la baudruche quand il se voit un petit peu trop beau. Alors que là, c’est finalement elle qui va tirer quelque chose de son malheur et de son incapacité. Même si cela se termine sur une sorte de renaissance pour lui.

Ugo Bienvenu : Oui, il y avait quelque chose d’intéressant, c’est qu’elle ne voulait pas le représenter au début. Il lui dit : « je peux poser pour toi, si tu ne sais pas quoi représenter, je suis là. » Et elle lui dit « non, picturalement, tu ne m’intéresses pas du tout. » Il ne devient intéressant, picturalement, qu’au moment où il est au plus mal. Et ça, je trouvais qu’il y avait un truc. Je n’ai pas poussé plus — parce que, voilà… Mais il y avait quelque chose qui m’intéressait dans ce truc-là. Finalement, ce qui est intéressant, c’est ce qui est un peu ébréché, un peu cassé.

Xavier Guilbert : Je voulais montrer cette planche, parce que c’est l’une des rares planches qui montrent le tournage — il y a quelques images, vers la fin, lors de la projection du film terminé. On parlait de science-fiction tout à l’heure, je trouve qu’il y a quelque chose de très étonnant dans cette image : c’est un film de science-fiction, dans une histoire qui est elle-même déjà de la science-fiction. Et puis, il y a ces costumes (notamment le personnage en costume vert) qui m’évoquent beaucoup les costumes d’Oskar Schlemmer, au Bauhaus.

Ugo Bienvenu : Ah, je ne connais pas.

Xavier Guilbert : Ce sont des costumes qui cassent complètement la forme du corps, avec des anneaux, des cônes. Tout cela est fait durant les années 1920, mais aujourd’hui encore reste totalement surprenant et inhabituel. Je te conseille d’y jeter un œil.

Ugo Bienvenu : Sinon, il y a encore un truc, avec le son. Je crois que ce qui m’a donné l’idée de ce costume, c’est l’isolation sonore dans le studio son. On trouve ce genre de pics.

Xavier Guilbert : Oui, les boîtes d’œuf.

Ugo Bienvenu : Ce personnage, je me disais — parce que j’ai essayé un peu d’imaginer le film qu’il était en train de réaliser, pour lui donner un peu de corps, qu’il existe un minimum. Et ce personnage-là absorbe le son.

Xavier Guilbert : Maintenant que tu as terminé ce projet — tu l’as porté combien de temps, ce livre ?

Ugo Bienvenu : Euh, j’ai mis un an, un peu plus d’un an pour trouver la ligne, la colonne vertébrale. Et après, j’ai mis un an à la fabriquer.

Xavier Guilbert : On a vu que c’est un travail en couleur. Cela a changé quoi, de ton approche au dessin ? C’est une évolution naturelle ? Ou est-ce que ça a changé ta manière d’aborder la page, ou même la construction du récit ?

Ugo Bienvenu : Moi, je ne pense pas graphiquement ma page. Je pense par séquence, je pense en rythme. Je n’aime pas penser ma page graphiquement, parce que ça m’empêche souvent de faire des rythmes — graphiques, justement, mais narratifs aussi. Et ce qui prime, dans mon esprit, c’est toujours l’efficacité narrative. La couleur, je l’ai amenée, parce que je trouvais que ça adoucissait, et que ça me permettait de manière douce, de dire des choses un peu plus violentes que si j’étais tout en noir et blanc, tout austère. Cela faisait une sorte de chape de plomb. Je trouve que cela amène de l’humour, que ça amène du second degré, que ça amène de l’ambiance aussi. Voilà, cela donne de l’air, en fait, à mon travail. Ça m’a pris du temps de trouver la couleur qui allait avec mon dessin, sans être binaire. Enfin, qu’elle apporte vraiment quelque chose.

Xavier Guilbert : Il y a quand même une présence du jaune — tu parlais de donner de la lumière à ton noir et blanc. Sur beaucoup de tes planches, on voit comment le jaune occupe une part très importante. Il contribue aussi à donner cette idée de science-fiction rétro. Notamment au moment où Charles a son accident et où il en train d’être entièrement reconstruit (puisqu’il a la colonne vertébrale en miettes), et qu’il est prisonnier d’un énorme poumon d’acier jaune. Dans cette séquence, le jaune est très présent, sur toutes les pages.

Ugo Bienvenu : Le jaune, dans celle-ci — c’est pour ça que j’ai pris un jaune un peu acidulé. Il y a une double-planche où Donald crie des chiffres, il est en train de négocier. Un jour, j’étais à Paris, il y avait des vendeurs de DVD un peu… à prix réduit, où les prix sont écrits dans des bulles de bande dessinée, avec des pics, comme ça. Je me suis toujours dit, c’est incroyable, cette idée de bulles de bande dessinée. Et ça a à voir avec l’argent. Et la première image de Paiement accepté, c’est vraiment Donald qui crie des chiffres, qui négocie, dans cette bulle jaune avec cette couleur hyper pop. Je crois que c’est pour cela qu’il y a beaucoup de jaune, cette image qui m’est resté d’un prix dans ce genre de bulle jaune, qui renvoie à l’argent, à la pop, à la culture de masse.

Xavier Guilbert : Et donc maintenant, est-ce que tu as décidé ce que tu vas faire ensuite ? Vas-tu laisser la bande dessinée de côté pour faire de l’animation ?

Ugo Bienvenu : Non, là je fais plus de bande dessinée que jamais. Je suis en train de faire la prochaine chez Denoël, qui sera sur… qu’est-ce que c’est que d’être le meilleur parent du monde, en gros. Pour ne pas déflorer, justement…

Xavier Guilbert : C’est lié à des choses personnelles ?

Ugo Bienvenu : Je pense que dans Paiement accepté, par exemple, la non-présence de l’enfant et sa présence totale aussi, c’est que le couple n’arrête pas de se demander — enfin, l’enfant est présent parce qu’il n’est pas là. Là, j’avais envie de faire un enfant présent. Mais non, rien de personnel là-dedans. Je me pose la question comme tout le monde, mais… mais non. La question que je me pose c’est : nos enfants, quel est leur futur ? Mais je ne peux pas trop en dire — parce que là, je commence, donc il faut laisser du temps.

[Entretien réalisé en public durant le Festival d’Angoulême, le 26 janvier 2018.]

Notes

  1. César du meilleur espoir masculin, pour son rôle dans La Tête haute, d’Emmanuel Bercot.
Entretien par en avril 2018