Angoulème 2013, compte rendu partiel et partial

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C’est avec en tête l’annonce de la décoration de Pénélope Bagieu (ainsi que Jean-Claude Denis et Emmanuel Guibert) en tant que Chevalier des Arts et des Lettres que j’entame les hostilités. Un festival qui démarre sous de tels auspices ne peut qu’être prometteur en sujets de raillerie, et bien que j’aie globalement passé quatre bonnes journées dans les rues humides et fraîches d’Angoulême, les raisons de râler ne manquent pas. Allons-y !

Les «grands» évènements

Parmi les grands évènements annoncés par l’organisation du festival, la plus familiale était l’exposition Mickey et Donald, dans la cour de l’hôtel de ville. À vrai dire, rien de bien passionnant pour les enfants, mis à part les jeux vidéo en fin de parcours et quelques statues à l’effigie des célèbres personnages qu’ils n’avaient même pas le droit de toucher. À 30 000 € pièce, on peut comprendre, mais les bambins furent bien déçus. Les amateurs avertis auront été eux aussi peu comblés : trop synthétique et sans véritables originaux, l’intérêt restait donc assez limité.
Accompagnant cette exposition, la venue de Don Rosa – héritier de Carl Barks – méritait néanmoins l’attention, mais fut masquée par celle de Leiji Matsumoto. L’auteur japonais, célèbre pour ses Albator et Galaxy Express 999, aura été présent une seule et unique journée où il participa à deux rencontres publiques au final peu intéressantes, ressemblant plus à une grand’messe qu’à une véritable rencontre, avec tout ce que l’on pourrait attendre de pertinence. Notons que le long métrage en image de synthèse d’Albator sera projeté en avant-première à Cannes. Vous l’aurez compris : il ne s’agit ni plus ni moins que d’une venue promotionnelle.
On pourrait dire la même chose de l’exposition Uderzo et de la venue de l’auteur le premier jour du festival. Rencontres, blabla, prosternation collective : tous célébraient le succès, faisant l’impasse sur les décevants albums d’Astérix commis en solo (dont au premier plan l’affligeant dernier album paru en 2005), mais n’oubliant évidemment pas de largement évoquer la sortie du dernier film de la franchise et celle du prochain album signé Ferri et Conrad (prévu vers la fin de l’année)… L’exposition en soit était essentiellement axée sur Astérix, difficile de découvrir une nouvelle facette du dessinateur, surtout au travers de reproductions ou d’agrandissements qui en ont déçu plus d’un. Mais le grand public fut visiblement conquis.
Au final, ces «grands» événements, surtout promotionnels, auront donné l’image d’un festival irrémédiablement tourné vers le passé, célébrant en filigrane le commerce et l’exploitation de la bande dessinée par d’autres médias.

Les conférences, rencontres et autres ateliers

Je n’ai évidemment pas pu assister à toutes les activités proposées par le Festival. Cependant, les conférences et rencontres auxquelles j’ai pu assister furent presque toutes décevantes, révélant un manque de professionnalisme alarmant de la part des intervenants : presque rien n’était préparé, et le propos sans grand intérêt. Pour exemple le premier jour, à peine arrivé, la conférence Musique et bande dessinée donna le ton. L’intervenant, Christian Marmonnier, commença sa présentation en nous expliquant qu’il ne savait pas trop ce qu’il allait nous présenter, avant d’entamer une énumération d’œuvres évoquant la musique, parfois de la manière la plus ponctuelle, et pensant surprendre l’assemblée en présentant… une planche d’Herriman. Il aurait plutôt été intéressant de s’attarder sur la démarche atypique de certains titres, comme l’album de Kent, L’homme de mars, où musique et bande dessinée s’accompagnent, se nourrissent et se complètent. Mais non, l’intervenant est passé dessus aussi vite que sur Astérix et son barde… Ce n’est qu’au bout de 35 minutes d’énumération sans intérêt que je décidais de quitter la salle, alors que débutait la projection de pochettes de disques illustrées par des auteurs de bande dessinée issus de la collection personnelle du conférencier…
La rencontre avec Frederik Peeters et Brüno fut du même acabit. Intitulée Renouveler la bande dessinée de genre, elle semblait pourtant particulièrement alléchante. Quelle déception de constater que le sujet n’a pas été abordé une seule fois. L’animateur donnant la furieuse impression de n’avoir rien préparé, ce fut un enchaînement de questions banales portées sur les derniers opus des deux auteurs issus de la Sélection Officielle, à se demander si le rendez-vous n’aurait pas été plus à sa place au sein des Rencontres sélection officielle. Notons que l’intervenant, Romain Brethes, a indirectement révélé son manque de professionnalisme en lançant à Peeters que son Lupus aurait pu très bien se passer ailleurs que dans un univers de science-fiction… chose que l’auteur a de nombreuses fois réfutée au cours de ces dernières années, et question à laquelle il avait déjà répondu à ce même Romain Brethes lors d’une précédente occasion — Frederik Peeters lui lançant même d’un ton ironique : «Pas du tout, et il me semble bien vous l’avoir déjà expliqué».
Heureusement la majorité des rencontres et conférences ne furent pas si lamentables, et souvent sauvées par des auteurs qui savent rendre la chose intéressante — surtout dans les rencontres dessinées, d’ailleurs. Mais on ne devrait pas tolérer un tel manque de professionnalisme au sein d’un festival de cet acabit.
Au final, pris dans son ensemble, le festival proposait un programme riche, même si quelques fois décevant ou incongru[1]. Reste que le grand thème central était clairement le numérique, avec pas moins de 26 rencontres-conférences-ateliers autour du sujet. Sujet certes toujours d’actualité (avec les promesses de Mauvais Esprit et de Professeur Cyclope), mais qui aurait dû être approfondi déjà depuis bien longtemps. Son omniprésence dans le programme laisse à penser que cette focalisation se fait au détriment d’autres thématiques, comme par exemple l’éclosion d’une bande dessinée culinaire, phénomène qui s’est énormément accentué en 2012 et sur lequel le Festival ferme les yeux. Nouvelle preuve que même s’il tente d’être moderne, il peine réellement à fournir une photographie réelle de l’état de la bande dessinée au même moment.
Ajoutons une chose qui devient de plus en plus problématique : la taille des salles accueillant ces évènements. À peine suffisantes pour les expositions, elles deviennent vraiment gênantes lors des conférences et rencontres. Imaginez que la rencontre avec l’équipe de Professeur Cyclope (qui compte en son nombre des « noms » comme Fabien Vehlmann) s’est déroulée dans une salle ne pouvant accueillir plus de 60 personnes. Ajoutez que pour faire tourner au maximum le public, il n’est pas autorisé de rester assis dans la salle, même si vous voulez assister à la rencontre suivante. Vu la taille de la file d’attente pour chaque rencontre (le Festival revendiquant cette année près de 220 000 visiteurs), il n’était pas la peine d’espérer assister à deux rencontres d’affilée un jour d’affluence comme le samedi.

Les expositions

Globalement bien pour les « petites », décevantes pour les « grosses ». Outre les expositions Uderzo et Disney que j’ai déjà évoquées, la carte blanche à Jean-Claude Denis était intéressante mais oubliait un immense pan de la bande dessinée : bien que sa sélection fut très variée, l’absence d’auteur japonais était particulièrement révélatrice d’un manque évident de connaissance à ce sujet. Ailleurs, l’exposition Bande dessinée et art contemporain n’a réellement réussi à m’accrocher que sur quatre ou cinq œuvres seulement, célébrant plus souvent le dessin et l’illustration que la bande dessinée elle-même. En fait, ce sont bien les découvertes qui ont brillé en exposition, celles de la variété de bandes dessinées étrangères et souvent méconnues dans notre pays : flamandes, algériennes ou asiatiques.

Le palmarès

Plutôt de bonne facture, le palmarès reste tout de même assez tiède, sans véritable audace — comme souvent d’ailleurs. Le prix du meilleur album décerné au volume 2 de Quai d’Orsay ne surprend guère, ni dans le bon, ni dans le mauvais sens. Le prix de la série décerné à un deuxième tome (Aâma de Frederik Peeters) me surprendra toujours. Le prix révélation décerné à un album qui n’est pas le premier de son auteur m’apparaîtra toujours comme une arnaque (la nomination de Gilles Rochier l’année dernière était aussi plaisante que ridicule). Le prix polar reste une hérésie, quel que soit l’album qui le remporte. Et le prix jeunesse décerné aux Légendaires : Origine reste incompréhensible à mon sens, surtout quand on voit les autres concurrents. Notez que la série jeunesse de Mathieu Bonhomme, Esteban, a été nominé trois fois en quatre albums, et n’a pourtant jamais rien eu, alors qu’elle est d’une qualité et d’une constance remarquable…

(je ne reviendrai pas ici sur la question de l’attribution du Grand Prix, qui a fait couler suffisamment d’encre virtuelle dans les forums et sur les réseaux sociaux)

Les bulles éditeurs

À vrai dire, je n’ai réellement passé du temps que dans la bulle de New York, Le Nouveau Monde, dédié aux petits éditeurs et aux alternatifs. La bulle du Champ de Mars, en plus d’être surchargée de monde, était trop clinquante pour moi. Il faut dire aussi que je ne viens pas à Angoulême pour acheter ce qu’on trouve chez n’importe quel libraire — pour moi ça n’aurait pas de sens.
Contrairement à certaines années, j’ai trouvé l’offre particulièrement abondante en titres alléchants, surtout chez les alternatifs, même s’il faut reconnaître que les gros éditeurs ont su mettre en avant quelques titres intéressants. Mais j’avoue avoir été impressionné par la qualité du travail des fanzines, et de quelques petits éditeurs que je ne connaissais pas ou peu, comme 2024 ou Tanibis.

En discutant avec un membre du jury du prix de la bande dessinée alternative, nous sommes arrivés au constat que le fanzinat d’autrefois avait quasiment disparu. Il est presque révolu le temps des revues papier photocopiées et agrafées. Aujourd’hui la qualité de l’objet prime, quitte à être onéreux. La frontière qui les sépare des petits éditeurs tend à s’atténuer, surtout qu’une forme de «professionnalisation» envahit parfois les sommaires. Il n’est en effet pas rare de retrouver des noms d’auteurs publiés chez de plus gros éditeurs, tel Fabcaro, Sylvain Moizie ou Gilles Rochier… Ces auteurs n’hésitent pas à continuer à participer à ces aventures bien souvent bénévoles, et si cela les honore, mais au final on tend de plus en plus vers une sorte de standardisation de l’offre. Ce qui est paradoxal, c’est qu’en tentant d’améliorer la qualité de leur production en proposant des noms et de beaux objets, les fanzines perdent ce qui faisait leur identité. À trop chercher à faire comme leurs aînés, ils risquent de leur ressembler et d’oublier ce qui faisait leur «alternativité».

Cette radicalisation du livre-objet, positionnant le livre de bande dessinée comme livre d’art, est une tendance typiquement franco-européenne, et c’est un véritable paradoxe qu’un art qui se dit populaire devienne un luxe, surtout en période de crise. Il serait grand temps que les éditeurs se posent enfin la question d’une alternative à ce phénomène qui atteint de plus en plus la sphère fanzineuse.
Un autre constat les concernant : l’abandon du propos au graphisme. Souvent très beaux, la plupart des fanzines «modernes» se regardent plus qu’ils ne se lisent. C’est fort de cette constatation que les membres du jury 2013 ont décidés d’élire le collectif édité par Misma, une micro-édition toulousaine qui représente une idée de fanzinat à l’ancienne, qui ne fait pas prévaloir la forme sur le fond, qui aime raconter par le dessin. Le récit n’est pas le prétexte à de belles images chez eux, même s’il ne l’empêche pas. Finalement, qu’on s’intéresse plus ou moins à la modernité graphique, au conceptuel ou à la provoc’ bien sentie, on revient toujours au récit, au plaisir de lire.

Au final ?

2013 aura été dans la moyenne, finalement. Une bonne année en matière de fréquentation, pour l’offre qualitative des livres proposés et pour l’innovation instaurée au niveau du vote (j’espère que cela perdurera et sera affiné par la suite, mais ça reste un grand pas), mais de mauvaises notes quant à la qualité des grands événements annoncés et de certaines conférences.
Au final, on aurait vraiment pu s’attendre à quelque chose de plus extraordinaire pour un 40ème anniversaire… Force est de constater que rien de bien grandiose n’a été réalisé cette année, pas ou peu de bouleversements, un programme parfois déconcertant, qui prouve une fois de plus que le festival est véritablement à la traîne, alors qu’il se voudrait on ne peut plus dans l’air du temps. 40 ans, l’âge où on se croit encore dans le coup ?

Notes

  1. Je n’ai certes assisté à aucun des ateliers proposés, mais leur programme m’a souvent laissé dubitatif sur le papier, entre création de marque-page ou de porte-clés en perles…
Humeur de en février 2013